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Copyleft : Bernard CHAMPION
1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...”
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5- L“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques”...
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures
19- Enquête sur la forme humaine : 1
20- Enquête sur la forme humaine : 2
21- Enquête sur la forme humaine : 3
22- Quelques exercices de Travaux Pratiques
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SOMMAIRE

anthropologieenligne.com : unité de l’homme et diversité des cultures


Chapitre 9

Présentation du chapitre :

L’objet du chapitre est de produire quelques données représentatives de l’individualisme contemporain (9.1). On présente, par contraste et succinctement, les valeurs initiatiques (9.2) , puis éducatrices (9.3), idéalement développées dans ce que Georges Devereux a proposé d’appeler la “pseudo-homosexualité” grecque. Le propos étant la recherche d'invariants pédagogiques et la mise en vedette des attendus de l'éducation libérale, ces valeurs sont de nouveau caractérisées par des données ethnographiques et archéologiques concernant des procédures initiatiques et des mythes de souveraineté associées à l'établissement de la différence des sexes (9.4 et 9.5).
Première partie 9.1 : “La culture des analgésiques et l’individualisme : quelques données pour une approche anthropologique et culturelle de la douleur” ;
Deuxième partie : 9.2 : “L’homosexualité en Grèce ancienne : une préparation au mariage” ;
Troisième partie : 9.3 : L’homosexualité pédagogique : pour disposer au platonisme ? La transmission de l'humeur virile et la naissance de la philosophie”;
Quatrième partie : 9.4 (cette partie comporte trois pages : 9.4, 9.41 et 9.42) : “Quelques données ethnographiques sur l'homosexualité initiatique” (Grèce, Soudan et Nouvelle-Guinée) ;
Cinquième partie : 9.5 : “Un Œdipe sans complexes : souveraineté, pédagogie et différence des sexes”.
Sixième partie : 9.6 : “L'Unique et sa propriété”.

N. B. Les principales références sont reportées en fin de chapitre 9, soit page 9.5.

6ième partie :

L'Unique et sa propriété

III - 9.6

Il ne s'agit pas ici de savoir si les causes de l'homosexualité sont génétiques, hormonales, psychologiques, culturelles…, mais d'examiner la manière dont la société libérale évalue cette forme de sexualité (les évaluations en cause étant des faits sociaux). La dénomination officielle, qualifiant les intérêts sexuels en terme d'« orientation », caractérise d'ailleurs ceux-ci comme étant des faits. Orienter, c'est trouver l'orient, l'Est… et, comme l'aiguille aimantée est attirée par le pôle magnétique, c'est la matérialité de l'attirance sexuelle qui est visée par cette expression qui apparaît en 1973 au cours d'un débat tenu à l'American Psychological Association remettant en cause l'interprétation aliéniste de l'homosexualité. « Sexual orientation disturbance » devient alors « sexual orientation », à la fois pour respecter la neutralité du fait et dans l'idée (alors développée par des défenseurs de la cause homosexuelle) qu'il existe un fondement génétique à l'homosexualité. Que l'on invoque des causes démographiques, avec Aristote (« Pour la restriction de consommation qu'il juge utile, le législateur a nombre de vues ingénieuses ; pour l'isolement des femmes, afin qu'elles n'aient pas trop d'enfants, il a permis les relations homosexuelles » - Pol. II, X, 9) biologiques (principalement, un déficit dans l'exposition aux hormones pendant le développement embryonnaire) ou culturelles (une couverture du magazine Jeune Afrique titre sur « Le continent homophobe »), ce qui est ici marqué, c'est la constatation que la représentation de l'homosexualité est congruente avec une ingénierie sociale donnée, en l'espèce avec l'axiomatique de la société libérale.

De fait, la prévention de maladies pouvant toucher les homosexuels fait partie des recommandations banales de santé publique. Le cancer de l'anus étant vingt fois plus fréquent chez les hommes homosexuels que chez les hétérosexuels, le Haut Conseil de la Santé Publique français recommande ainsi aux homosexuels de moins de vingt-six ans la vaccination contre les papillomavirus ainsi que la vaccination contre le ménigocoque C (spécifiquemet aux « personnes âgées de 25 ans et plus qui fréquentent les lieux de convivialité ou de rencontre gays », où « circule un variant particulier de méningocoque C ») (Avis du HCSP du 10 février 2017, du 7 novembre 2014 et du 1er juillet 2013, respectivement). « En moins de trente ans, alerte dans une tribune du Monde du 16 mai 2018 un collectif de proctologues, l'incidence du cancer anal a été multipliée par au moins trois dans [la population générale de] la plupart des pays occidentaux ». Les signataires rappellent que la multiplication de ce cancer « sous-médiatisé » (en raison de « sa localisation et parce qu'il est lié à des éléments de vie intime »), autrefois « rare [et] ne concern[ant] que les femmes âgées » justifie aujourd'hui la vaccination des jeunes garçons contre le papillomavirus (HPV). (Il aurait donc suffi de trois décades pour faire des jeunes garçons des pays occidentaux des candidats virtuels au papillomavirus.)

On rappellera au préalable, ainsi que la diversité des évaluations concernées le confirme, le caractère ouvert, labile, latitudinaire de la sexualité humaine, conformément au scénario de la formation du petit d'homme, en pointant d'abord plusieurs traits génériques constitutifs de cette formation qui intéressent, par voie de conséquence, la question. Un trait significatif de l'humanité, c'est que le petit d'homme vient au monde avec une grosse tête ce qui, si l'on peut dire, l'oblige à naître quasi prématurément, la part la plus importante de sa croissance cérébrale et de ses apprentissages s'effectuant après la naissance. La forme particulière du bassin humain est une conséquence adaptative de la bipédie et de la télencéphalisation. la bipédie a entraîné un basculement du bassin vers l'avant et, s'agissant du bassin féminin, une courbure du canal obstétrical. Au cours de ce que les obstétriciens dénomment la “confrontation fœto-pelvienne”, le fœtus s'adapte à la plus grande dimension du canal en changeant d'orientation au cours de sa progression. La tête effectue plusieurs de mouvements de rotation pour se présenter généralement en position occipitale antérieure. L'augmentation du volume du cerveau a donc entraîné une modification de la conformation du bassin féminin (qui diffère notablement du bassin masculin) avec un canal adapté au passage du crâne et à l'axe des épaules, relativement rigide. Le canal obstétrical, uniforme chez les primates non humains, est irrégulier : plus large à l'entrée, plus long, l'orifice inférieur étant plus étroit. Alors que chez les primates non humains et les autres mammifères la mise bas est généralement solitaire, la naissance, chez l'homme se produit presque toujours dans un environnement social où des aides sont en mesure d'accompagner la parturiente dans son travail de mécanique obstétricale (voir : Trevathan, W. R., 1987, Human Birth : An Evolutionary Perspective, New York : Adelin de Gruyter ; 1988, « Fetal emergence patterns in evolutionary perspective », American Anthropologist 90 : 674-681).

A la différence des autres primates, le nouveau-né humain n'est pas autonome et ses capacités motrices sont limitées. Alors qu'à la naissance, le cerveau du macaque représente 70 % de son volume définitif (rapport de 2,5 sur le poids total), le cerveau du nouveau-né ne représente qu'environ 25 % de son volume adulte (et un rapport de 7,5 sur le poids total). Il double pendant la première année et sa croissance se poursuit jusqu'à l'âge de 8 ans. L'essentiel de sa croissance cérébrale se passe donc ex vivo, hors du ventre maternel, dans l'amnios de sa société. Affrontant le monde extérieur à l'état d'embryon, le petit d'homme interagit avec son entourage et cette interaction joue un rôle primordial dans sa maturation cérébrale. C'est pendant cette longue période de développement post-natal, dont la privation ou la réduction affectent ses capacités d'apprentissage et notamment ses compétences linguistiques, que se spécialisent les aires corticales concernées. La sexualité de ce mammifère « dénaturé » a pour propre une labilité qui explique que, dans la plupart des sociétés, on la considère inachevée, incapable de remplir son objet si l'éducation ne la met pas en forme. La sexualité du garçon, qui n'a pas d'équivalent de la ménarche de la fille signalant sa maturité sexuelle, fait principalement l'objet de ces rites d'adolescence qui sont comme des prothèses culturelles qui redoublent les transformations hormonales et physiologiques et produisent ce que la culture appelle les injonctions de la nature. Pour faire simple, on peut citer ici ce qu'Itard dit de l'éveil à la sexualité de Victor, l'enfant sauvage de l'Aveyron, une pulsion qui ne connaît pas son but :

Mais ce qui dans le système affectif de ce jeune homme paraît plus étonnant encore, et au-dessus de toute explication, c'est son indifférence pour les femmes au milieu des mouvements impétueux d'une puberté très prononcée... J'ai vu arriver ou plutôt éclater cette puberté tant désirée, et notre jeune sauvage se consumer de désirs d'une violence extrême et d'une effrayante continuité sans pressentir quel en était le but et sans éprouver pour une femme le plus faible sentiment de préférence... C'est ainsi que, dans une réunion de femmes je l'ai vu plusieurs fois, cherchant auprès d'une d'entre elles un soulagement à ses anxiétés, s'asseoir à côté d'elle, lui pincer doucement la main, les bras et les genoux et continuer jusqu'à ce que, sentant ses désirs inquiets s'accroître au lieu de se calmer par ces bizarres caresses, et n'entrevoyant aucun terme à ses pénibles émotions, il changeait tout à coup de manières, repoussait avec humeur celle qu'il avait recherchée avec une sorte d'empressement.
(Rapport sur le sauvage de l'Aveyron, E. M. Itard, Paris : Imprimerie impériale, 1807, p. 78)

Chaque cerveau humain est l'agrégation singulière de structures enchâssées où phylogenèse et épigenèse collaborent. L'imagerie cérébrale révèle que cette variabilité concerne les connexions des zones du cerveau les plus récentes à l'échelle de l'évolution. Alors que les structures anciennes sont communes, ce sont les localisations cérébrales où la maturation est ontogénétiquement la plus tardive qui montrent la connectivité la plus variable. Si les éléments de l'organisation du cortex au niveau macroscopique sont constants et présentent des connexions stables, il existe une importante variabilité dans les connexions entre neurones dans ces régions corticales où le nombre de dendrites et de synapses varie d'un sujet à l'autre. Ce qui différencie les individus, au-delà des invariants fonctionnels – le petit d'homme exécute un programme dont il partage les fondamentaux avec les primates – concerne ces zones dépendantes de l'environnement et de l'apprentissage. Les dispositions qui distinguent l'espèce humaine en propre sont aussi celles qui sont le plus susceptibles de variation. La culture est ainsi une superstructure posée sur un programme ouvert (« Maître cerveau sur son homme perché » disait Valéry). Cette capacité adaptative – qui explique, entre autres, le succès planétaire d'homo sapiens qui a su s'adapter à quasiment tous les écosystèmes – repose sur une plasticité cérébrale native et c'est précisément le rôle des formations collectives et de l'éducation d'adapter le petit d'homme à son environnement.

Dans les sociétés à parenté descriptive, le noyau familial et l'individu sont au centre des intérêts, au détriment ou en opposition avec les formations pédagogiques communautaires. Parmi les causes du retrait des formations collectives (rites de fécondité, cultes de la nature…) le rôle de l'Église, avec sa critique de la chair, fonctionnelle dans la stratification sociale associée à la monogamie (on l'a rappelé ici : - Que signifie "Porter la bonne parole" ? Mission et colonisation ; - La fonction missionnaire : sur la mission lazariste à Fort-Dauphin (1648-1674) I, in fine ; - Roberto de Nobili et la “querelle des rites Malabares”, in fine ; - Note sur le destin marial du prêtre :_l'ascèse terrestre de l'homme de Dieu, in fine) est patent. Le succès économique de ce modèle de comportement, à l'origine de l'expansion démographique et politique de l'Europe du XVIIe au XIXe siècle, met en vedette l'innovation et la liberté individuelle, le culte de ce qui libère de toute appartenance (« Ni Dieu ni maître ») et qui autorise le sujet à instruire et à entretenir sa singularité. En parenté descriptive, les modèles comportementaux se déplacent de la sphère communautaire à la sphère familiale et composent avec l'égalité des sexes dont le mariage à dot constitue l'armature. Ce dispositif a en effet pour principe (ou pour terme) une égalité juridique des genres qui se marque par la dot et la dévolution divergente. Dans un environnement de concurrence des unités domestiques, le mariage est d'abord une union entre deux familles qui ménage, au moins formellement, l'égalité des contractants. Nam, quae indotata est, ea in potestate est viri ; / Dotatae mactant et malo damno viros (« Une femme qui n'apporte rien est soumise à son mari ; / une épouse richement dotée lui est un fléau »), dit un personnage de la Marmite de Plaute (acte IV, sc. 5, v. 60-61). Cette indépendance économique des époux renvoie à l'identité propre des patrimoines respectifs des familles alliées. Le mariage est ici pris dans une stratégie de légitimation sociale. Un conte hassidique met en scène un riche, ancien boucher qui vendait de la viande impure et qui veut marier sa fille, « s'engageant à donner une grande fortune pour un jeune homme de bonne famille. Ce fut en vain. Personne ne voulait s'apparenter à cet homme répugnant » (I. L. Peretz, Contes hassidiques, « Le sacrifice » 2011, Paris : Mercure de France, p. 138)… D'Hésiode à Jouhandeau, conformément à la dialectique de la parenté descriptive, l'espace domestique devient le champ clos de la confrontation des genres : « II y en a qui se battent à Marathon, d'autres dans la salle à manger » (Kafka, Lettres à Milena, trad. fr. 1972, p. 180). La principale « révolution » du XXe siècle a été celle, silencieuse, de la formation et de l'emploi des femmes. La loi du 13 juillet 1907 autorise les femmes mariées à exercer une profession séparée, sauf opposition de leur mari et à disposer librement de leur salaire. La loi du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux modifie le régime légal du mariage du couple se mariant sans contrat : les femmes peuvent gérer leurs biens propres, ouvrir un compte en banque sans l'autorisation de leur mari et exercer une activité professionnelle indépendante.

Concurrence des unités domestiques, équivalence des rôles et assomption du sujet, c'est cette matrice qui est à considérer pour comprendre les données constitutives de l'apprentissage en cause. L'excentricité (on emploie ici ce mot dans son acception géométrique : quand il n'y a que des centres…) est une donnée constitutive de la civilisation occidentale. Eccentricity exists particularly in the English, écrit Edith Sitwell dans The English Eccentrics, and partly, I think, because of that peculiar and satisfactory knowledge of infallibility that is the hallmark and birthright of the British nation ; This eccentricity […] may even, indeed, be the Ordinary […] ([1933], Penguin Books, 1972, p. 16). C'est cet « ordinaire » qui nous intéresse ici. Une spécificité de l'expansion européenne tient dans sa culture de la liberté et dans la fonction motrice des potentialités individuelles qu'elle développe. Le principe de la concurrence n'a de limite que celles de la viabilité des unités en concurrence et celle-ci est démontrée par la « réussite », en l'espèce l'épopée de l'individu solitaire qui redouble et officialise l'obsolescence des formations collectives. L'individu qui a désormais les moyens matériels de son « originalité » doit aussi en avoir la légitimation juridique et morale – quel qu'il soit.

On a rappelé le rôle du christianisme dans la constitution et dans la vie de la famille domestique au sein des sociétés stratifiées. Prenant en considération les manifestations provoquées en France par le projet de autorisant le « mariage homosexuel », on notera que cette opposition est animée par des notables de l'Église et qu'elle fédère majoritairement des mouvements chrétiens. Le christianisme n'a donc pas dit son dernier mot sur la famille… Au-delà des aléas et des tribulations de l'histoire, la cellule domestique sur le modèle de la reproduction sexuée est bien le « cœur de cible » de la prédication chrétienne. L'apologie de la liberté redouble, en effet, la teneur du dogme chrétien qui dévalue voire inverse le sens des formations collectives ayant la sexualité pour objet (sur ce site : « Le Christ et le mock-king : […] Notes pour une lecture anthropologique de la Passion »). On ne peut écarter l'idée qu'une inspiration du magistère chrétien, dans son dénigrement du sexe (du sexe i. e. du « beau sexe ») est démographique : les Pères de l'Église, dans leur apologie de la chasteté et de la virginité pensaient le monde « déjà plein » (Jérôme, Adversus Helvidium, 21 ; Chrysostome, Perì parthenías, 14, 17 et 19), et qu'une conséquence, directe ou collatérale, de cette conviction (ce sera la conclusion de certains gnostiques) est l'idéalisation ou la résignation à l'homophilie.

Une démonstration du rôle de l'Église dans l'ouverture de la société à l'homosexualité tient dans le constat, banal et non contradictoire avec l'injonction qui précède, du nombre d'homosexuels exerçant le métier de prêtre. Dans la préface à la traduction française de l'ouvrage de Donald Cozzens The Changing Face of the Priesthood. A Reflection on the Priest's Crisis of Soul (2000, Collegeville : The Order of St. Benedict, Inc., Minnesota), Bruno Chenu demande : « La prêtrise va-t-elle devenir une profession homosexuelle ? » (Le nouveau visage des prêtres, Bayard, 2002, p. 11). On peut lui répondre qu'elle l'est – au moins idéologiquement, si l'on considère sa mise en cause théologique et sociétale du sexe féminin – depuis l'origine. Cozzens, théologien et ancien responsable de séminaire, fait pertinemment référence à ce titre aux travaux de John Boswell, principalement à Christianity, Social Tolerance, and Homosexuality : Gay People in Western Europe from the Beginning f the Christian Era to the Fourteenth Century (1980, Chicago : The University of Chicago Press). S'appuyant sur Boswell, il explique que c'est l'attrait de la communauté de même sexe qui est en cause dans le choix du célibat consacré : « En entrant au séminaire, ils n'ont plus besoin d'expliquer à leur famille et à leurs amis pourquoi ils ne fréquentent personne ou ne se marient pas » (p. 185-186 de la traduction française). Mais le phénomène irait croissant : « Depuis plus de dix ans, des voix se sont fait entendre pour exprimer leur inquiétude devant le nombre croissant de prêtres et de séminaristes homosexuels » (p. 172). Cozzens poursuit : « Dans son livre Gay Priests (1989), le sociologue James G. Wolf arrive à la conclusion que 48,5 % des prêtres et 55,1 % des séminaristes étaient homosexuels. Le pourcentage apparaît plus élevé chez les prêtres de moins de quarante ans » (p. 174). Cozzens cite Pastor Ignotius qui écrit dans The Tablet du 24 avril 1999 : « Il semble bien qu'il y ait davantage de prêtres homosexuels en ce début de XXIe siècle qu'au milieu du XXe » (p. 176). « Je connais un séminaire où, il y a deux ans, 60 % des étudiants se reconnaissaient comme « gays », 20 % ne savaient pas bien quelle était leur tendance sexuelle et seulement 20 % se considéraient comme hétérosexuels » (p. 177, note 9). Pour expliquer cette évolution, Cozzens avance la raison suivante : « Vingt mille prêtres environ aux Etats-Unis ont aujourd'hui quitté le ministère, la plupart pour se marier. On peut penser que leur absence dans les rangs du clergé change sensiblement la proportion d'homo et d'hétéro et contribue donc à accroître cette disproportion du nombre des prêtres ayant une tendance homosexuelle » (p. 176). Abordant la question de « l'impact de ces groupes de culture homosexuelle sur les prêtres et séminaristes hétérosexuels » (p. 177), il évoque une « déstabilisation […] analogue au malaise ressenti par des gens en voyage circulant dans des régions dont ils ne pratiquent pas la langue » (p. 178) ; « … il a l'impression [le prêtre hétéro] d'être quelque peu déphasé […] et cela peut lui laisser croire qu'il n'est pas appelé à la prêtrise » (p. 179).

Avec ce havre identitaire détourné de son objet (la réserve vis à vis du sexe et la prédication de l'idéal monogamique), le modèle social du prêtre est évidemment quelque peu brouillé. Le prêtre traditionnel prêche l'union sexuelle par défaut (dans les limites des ressources économiques du couple et de sa capacité à transmettre un capital viable) ; le « prêtre nouveau » renoue, lui (certes sous d'autres attendus), avec l'encratisme des gnostiques ou la bougrerie des bogomiles. Quoi qu'il en soit, et quelle que soit l'orientation sexuelle de ces instituteurs du sexe, cette suspicion théologique des valeurs de nature, expressive et formalisatrice d'une organisation familiale spécifique, donne sens à ceux dont l'histoire génétique ou biographique se retrouve dans cette scotomisation du sexe féminin. Animadversion de la nature et culpabilisation de la sexualité focalisée sur la figure d'Ève, le succès du dogme chrétien tenant à sa fonction civile, l'union monogamique et l'héritage vertical, encadre la reproduction sous les espèces de la suspicion. Alors que l'acquisition des rôles sexuels paraît résumer l'éducation dans les sociétés traditionnelles, c'est presque par défaut et c'est parce qu'il doit perpétuer son bien que le couple chrétien engendre. Pour mémoire et par exemple, les comptes effectués par Jean-Louis Flandrin au chapitre de « la vie sexuelle des couples respectueux des interdits », lui permettent d'affirmer « qu'au cœur du VIIIe siècle, période où les pénitentiels foisonnaient », « il restait chaque année quatre-vingt-onze à quatre-vingt-treize jours [aux « conjoints pieux »] pour s'unir, à condition que l'épouse ne fut pas impure ou grosse » (Un temps pour embrasser, aux origines de la morale sexuelle occidentale, VIe-XIe siècle, Paris : Seuil, 1983, p. 42). Avec sa philosophie contraire, cet achèvement de la sexualité ne laisse pas d'être quelque peu latitudinaire et l'homosexualité des prêtres, philosophique ou charnelle, démontre, s'il était besoin, ad augusta per angusta, le caractère « impie » (ou facultatif) du sexe féminin et des voies de la nature.

Quoi qu'il en soit, l'anthropologie chrétienne conventionnelle a continué à infuser les valeurs de la vie quotidienne. L'Église ne tient plus l'état civil, le registre des naissances et des unions, mais ses évidences ont continué à codifier implicitement la reproduction biologique et sociale. En France, en 1950, 90 % des mariages enregistrés à l'état civil donnaient lieu à un mariage religieux. Partie visible de ce phénomène : les « athées cathophiles » (« atei devoti », en Italie – rien à voir avec les « dévôts païens » du Père Festugière… qui étaient grecs) et, signe anecdotique de l'évolution des mentalités, la disparition des blagues populaires ou des plaisanteries de cour de récréation mettant en scène la sexualité des prêtres et des « bonnes sœurs ». Le crépuscule de cette emprise idéologique de l'Église sur la société s'est manifesté dans les « évènements de 68 », à la fois libération des mœurs, selon la formule consacrée, et crise du plein emploi dont le slogan était : « Jouir sans entraves ». Dans l'environnement économique et sociétal en cause, la rencontre de trois données indépendantes : labilité de la sexualité humaine, culte de l'individualisme et pouvoir de la biomédecine ouvre en effet un champ neuf à la parenté descriptive. Parce que la forme juridique mariage en cause (ni la polyandrie, ni la polygynie ne sont conviés au contrat du « mariage pour tous ») est à la fois une consécration de l'attachement sexuel et un programme d'accomplissement économique, elle aussi est revendiquée par ceux qui ne se reproduisent pas par les voies naturelles. En parenté descriptive, la fonction du mariage est de produire des enfants légalement, naturalisant la transmission des biens et des statuts. Par la vertu de la « société de mariage », les descendants deviennent des héritiers. Mais la famille ainsi définie n'est pas en relation biunivoque avec la propriété et sa transmission. Les aléas de la reproduction et ceux de l'éducation produisent des variantes à ce programme. La stérilité, le célibat, l'adoption, le legs, la déshérence… sont des exceptions à cet idéal qui consiste à se survivre physiquement dans ses biens. Elle reste toutefois le modèle juridique référent. Blandices de l'amour charnel et reconnaissance sociale, le destin humain s'y trouve résumé et l'objet du « mariage pour tous » est de permettre à quasi toute forme de relation sexuelle d'émarger à ce plan de vie.

Il y a bien sûr des résistances à cette théâtralisation de l'identité telle qu'elle peut s'exprimer dans les « Gay Prides » mais, au fond, il y a une utilité pédagogique (ici évoquée : La techno-structure par l'exemple :
neutralisation des fonctions et des genres
) à ces démonstrations qui ne font que rendre manifeste ce qui permet à la norme de prospérer. L'environnement politico-économique est en effet quasi à l'inverse de ce qu'il était quand le slogan « Il est interdit d'interdire » se voulait loi. « 68 » a été une crise du plein emploi (cent mille chômeurs recensés en France) et le mot d'ordre sanctionnait cette opulence. La loi dite de « mariage pour tous » relève bien du même esprit, mais elle signe la libéralité d'un système économique qui n'a plus les moyens de maîtriser le réel (avec, au-delà des chiffres officiels, probablement 9 millions de chômeurs réels, 30 % du PIB consacré à l'aide sociale et une dette publique de plus de deux mille milliards d'euros), quand le recours aux valeurs de conservation paraît s'imposer.
Elle a ainsi pu être reçue comme une provocation – ou une dérision du mariage : « Les actes homophobes ont fait un bond de 78% en 2013 en France par rapport à l'année précédente, selon le rapport annuel de l'association SOS Homophobie qui y voit une conséquence des débats sur l'ouverture du mariage aux homosexuels ». Résistance brutale ou muette. Il y a une marge entre la tolérance intellectuelle et morale (le respect de la liberté de l'autre) et l'acceptation, quand celle-ci doit composer avec une répugnance physique qui engage les circuits neurologiques primitifs du dégoût. Irréfrénable, mobilisant l'insula, l'hippocampe, les noyaux gris et le thalamus, le dégoût peut certes relever d'un conditionnement culturel. Mais ce qui est significatif ici, c'est, le plus souvent, la nature à la fois irrévocable et exclusive de l'« orientation », caractérisée par l'impossibilité physique, démontrée par un sentiment de répulsion, précisément, d'une autre orientation.

Une fonction du couple monarchique – c'est aussi une fonction des contes de fées – tient dans son rôle de modèle matrimonial. Il n'est besoin de nulle autre compétence pour être monarque : Elizabeth II est persuadée que Socrate est le nom d'un cheval et elle a expliqué un jour les trucs qu'elle utilisait pour ne pas éternuer pendant les cérémonies protocolaires. Son champ d'expertise s'arrête là. Les frasques des familles princières – « Monaco, Monacul, Monafric… » titrait un numéro de l'Echo des savanes – illustrent médiatiquement à peu près toutes les variations et les vicissitudes du mariage monogamique. L'année 2013 qui est celle, en France, du mariage homosexuel, est aussi celle de la naissance du « royal baby » britannique. Si, aux dires des études des médias, les Français, eux qui sont supposés se désintéresser de la monarchie (sauf, précisément, sous les feux des magazines people) se sont passionnés pour cette naissance (« Royal baby fever grips... la France »), c'est probablement aussi parce que ce royal baby rappelle que le bonheur du sexe procure aussi le bonheur de faire des enfants – alors qu'il est question avec le « mariage homosexuel » : d'identité, de confort, de sexe stérile, et, en sous-entendus graves ou graveleux, de masturbation réciproque ou de sodomie.

L'homme moderne, c'est la maîtrise de la maladie, de la mort, de l'infortune, de la fatalité… Cette maîtrise signifie aussi l'obsolescence des contraintes traditionnelles de l'éducation. Le sujet moderne, flotte ainsi, idéalement libre de toute attache, dirigeant sa barque en n'ayant d'autre clinamen que celui de son intérêt et de son appétence. Est normal ce qui est produit par la norme. Il faut « faire avec ». Cela fait partie des conséquences collatérales – peut-être inattendues, en tout cas insignifiantes – de l'éducation libérale. La société technicienne n'a pas inventé la distinction entre la paternité biologique et la paternité sociale (même si les sociétés occidentales se singularisent par l'évidence contraire d'une assimilation des deux), pas plus que la procréation pour autrui : le lévirat ou le mariage des veuves ayant pour objet de procréer pour le frère ou le mari défunt. Sa véritable innovation consiste à donner les moyens techniques, et pas seulement juridiques, d'une reproduction des individus appariés. Alors que la fiction biologique de l'adoption était la ressource banale du couple infécond ou de l'épouse bréhaigne, les techniques de procréation assistée ou de gestation pour autrui confèrent un pouvoir de procréation à la gamme des configurations stériles de la relation sexuelle. La technique des cellules souches IPS (induced pluripotent stem cells « cellules pluripotentes induites »), qui peut permettre de fabriquer des spermatozoïdes et des ovules à partir de fibroblastes, pourra produire (sous peu) des enfants qui seront le fruit biologique du couple homosexuel et non seulement, comme c'est le cas aujourd'hui, d'un seul des deux parents (avec cette exception que l'enfant d'un couple d'homosexuelles sera, avec cette procédure, une XX). Au fond, la technique permet de réaliser aujourd'hui ce que l'être humain a vraisemblablement toujours recherché : profiter du plaisir du sexe sans avoir à en supporter – si l'on peut dire – les conséquences, dissocier la jouissance de sa raison d'être. Le couple stérile est d'autant plus trendy qu'il peut, lui aussi, se reproduire.
La procréatique supplée aux stéréotypes qui induisent au rapprochement sexuel à visée génésique : maintenant qu'on sait (pour qui le souhaite) se reproduire ex vivo et par ventre interposé quelle est l'utilité de ces (douloureux) poncifs qui, secondant la nature, construisent la différence des sexes et programment la rencontre sexuelle à fin de reproduction ?

« L'enfant est le père de l'homme ». Cette citation de Wordsworth que Sigmund Freud faisait sienne résume le propos. En effet : le « pervers polymorphe » de la psychanalyse (l'enfant, selon les Trois essais sur la sexualité, en 1905) est bien le père de ce jouisseur polymorphe qu'est homo liberalis liberalis en 2013 (la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a été publiée au Journal officiel du samedi 18 mai 2013). Le mode d'être du progrès technique, qui met la programmation de l'innovation au cœur de la reprogrammation sociale (et qui renverse idéalement l'ordre des générations, voir : Loi du renouvellement technique et conséquences...) se donnerait ainsi à voir dans ce parangon de la singularité : loin de « retourner à l'espèce » et à la loi commune, le sujet sexuel éduqué sans tutelle multiplie héroïquement les écarts avec « la nature ». Art d'agrément de la singularité, la sexualité d'homo liberalis liberalis, la reproduction biologique étant déportée ex vivo ou dans des ventres mercenaires, accompagne et symbolise son errance créatrice et lui permet enfin de « jouir sans entraves ».


Le Monde du 19/06/2009 (S. Clair).

Fin du chapitre 9



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