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Copyleft : Bernard CHAMPION
1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...”
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5- L’“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12 - La chimie du rire : 3
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures
19- Enquête sur la forme humaine : 1
20- Enquête sur la forme humaine : 2
21- Enquête sur la forme humaine : 3
22- Quelques exercices de Travaux Pratiques
présentation

anthropologieenligne.com : unité de l’homme et diversité des cultures


english version:

IV - 12.3 Le rire comparé aux états émotionnels causés par la surprise
(suite)

L’ébriété de l’analgésie, déconnexion du cerveau sensoriel et du cerveau émotionnel, signalerait donc, non seulement une cause matérielle, exogène, du rire, mais en révèlerait aussi la fonction. (En sorte, d’ailleurs, qu’il ne serait pas nécessaire de postuler l’existence d’une hormone spécifique du rire, comme a pu le faire un professeur de médecine de l’université François Rabelais de Tours – qu’il a proposé d’appeler “rabelaisine” – si celui-ci est une conséquence banale d’une disjonction adaptative circonstancielle qui a pour objet premier de préparer le corps à braver la douleur). Dans cette optique positive, on pourrait comprendre le rire, “énergie contenue qui se libère soudainement”, selon la définition de Raymond Devos, détente de la tension vitale, (et symbolisant banalement l’activité de “détente”), non seulement comme une correction homéostatique résultant de la résorption naturelle des analgésiques cérébraux produits en situation de danger, comme la détente d’une peur sans cause (sérieuse), l’euphorie d’une analgésie sans objet, mais, à partir de ses effets, dans sa fonction objective d’adaptation au réel. Le spasme expulsif, l’explosion qui caractérise le rire – Novalis rapprochait le rire et l’étincelle électrique – brûle les poisons du stress et rétablit l’équilibre neuro-végétatif par une correction du parasympathique – sédatif, temporisateur, parégorique, anesthésique – au détriment du sympathique qui commande l’action.

Et c’est bien dans sa fonction, paradoxale mais nécessaire, d’adaptation au réel, dans son rôle dans l’apprentissage, que se révèle cette signification originelle du rire, comme le suggèrent et l’ontogenèse et la phylogenèse. Le rire-jeu que l’adulte engage avec le tout-petit est évidemment fonction de sa capacité de réponse, de la maturation de son équipement neurosensoriel et expressif. D’abord révélant à l’enfant son entité corporelle (balancements et chatouilles : “la petite bête qui monte…”), cette interaction se complexifie à partir du sixième mois dans des jeux sociaux où les limites somatiques et les rôles sont expérimentés, notamment dans le jeu – emblématique de l’attente et de la surprise espérée – de la disparition et de la réapparition de la face (“coucou !”). L’observation systématique de la naissance du rire chez le petit enfant (Sroufe et Wunsch, 1972 ; Sroufe et Waters, 1976), à partir de la douzième semaine, révèle que le rire sanctionne la maîtrise de situations insolites, l’exploration réussie de la nouveauté et la réassurance cognitive – dans des conditions de sécurité et de familiarité, avec des proches ou des figures connues, et dans un climat de détente et de jeu. À l'inverse, en effet, telle situation qui, dans ce contexte de sécurité, se dénoue par le rire, va provoquer les pleurs du petit si elle dure trop longtemps ou si la surprise est trop forte. Le rire est la récompense d’une peur maîtrisée.

Associé au jeu, le rire l’est phylogénétiquement à la découverte et à l’apprentissage. C’est précisément dans cet environnement que l’éthologie a pu établir, chez le primate, l’origine vraisemblable du rire (Van Hoof, 1972 et 1978). Le jeu apparaît d’évidence dans le règne animal comme étant le privilège du jeune. Dans les relations engageant la mère et son petit, ou des jeunes entre eux, les primates utilisent régulièrement des mimiques, que nous qualifierions anthropomorphiquement de “rictus”, qui paraissent être une ritualisation (au sens de Huxley) signifiant au congénère l’intention ludique de l’interaction proposée. Si l’euphorie du jeu, comme l’euphorie du rire, vaut insensibilité au réel, comme il a été noté, les signes de cette insensibilité – découvrir les dents : vide infra – peuvent annoncer cette intention. Un tel échange de signes accompagnant la “provocation pour rire” s’observe couramment chez l’homme. À l’occasion d’un arrêt, le jeune chauffeur d’un taxi-brousse subtilise à son coéquipier une mangue dans laquelle celui-ci s’apprêtait à mordre… Il lui signifie aussitôt en découvrant les dents et en riant bruyamment le caractère ludique de ce vol à l’arraché. L’autre ne peut que rire à son tour sous peine de se mettre hors-jeu, de se voir accuser de tout prendre au sérieux, de n’être pas drôle, etc. Le cerveau analytique des mammifères se caractérise aussi par des programmes d’apprentissage ouverts et une plus ou moins longue néoténie. C’est par imitation et par jeu que le jeune assimile les techniques d’alimentation, de chasse, de défense… et qu’il fait, sans risque (au seul risque de se faire corriger, c’est le mot, par les adultes qui surveillent les jeux infantiles et par la dure loi de la réalité), l’épreuve de la vie. Les jeux locomoteurs provoquent des modifications dans l’organisation synaptique du cerebellum et dans la distribution des fibres musculaires (Byers et Walker, 1995). Des chimpanzés privés de jeux (et notamment de jeux d’objets, soit de manipulations non fonctionnelles) s’avèrent moins compétents dans l'utilisation d’outils (Byrne, 1995).

Le jeu est cet état d’esprit où s’apprend le réel, l’essai gratuit de situations “à vide”, “pour rire”, un entraînement. C’est juste pour rire, c'est pas pour de vrai. Le spectacle de la réponse inadéquate, qui nous fait rire, nous replonge immédiatement dans cette enfance de l’art, quand on ne sait (presque) rien, dans ce vert paradis des enfantillages, bain d’innocence formatrice qui prépare à affronter le réel. Avec ce surplus de vitalité, tel le cabri qui cabriole et décolle du sol des quatre pattes à la fois ou le chiot qui guenille à mort la savate de son maître, le petit est infatigable et incorrigible : il faut souvent le rabrouer d’un bon coup de dents ou d’une chiquenaude pour qu'il vous fiche la paix et qu’il apprenne – il couine un peu, et remet ça cinq minutes plus tard. Un proverbe japonais dit qu’il est tout aussi impossible d’empêcher les enfants de grimper que la fumée de monter. Le naturel du jeu enfantin, associé à l’insouciance et à la joie de vivre, nous stupéfie donc d’autant plus quand nous regardons jouer les enfants des rues dans les villes du Tiers Monde, qui nous paraissent avoir… toutes raisons de souciance. Il y a dans l’état d’esprit du jeu et dans l’état d’esprit du rire une fraternité originelle. C’est vraisemblablement parce qu’il est programmé pour apprendre, c’est-à-dire pour se tromper, que le petit doit être “blindé”, protégé de l'erreur, insensible. Toutes choses égales d’ailleurs, certes. C’est en effet une évidence de dire que l’enfant pleure plus souvent que l’adulte, mais c’est en une autre, complémentaire, de dire qu’il rit et qu’il joue davantage. Entre les deux rails de l’heuristique qui permet de découvrir le monde, innocente cyclothimie de parties débridées et de gros chagrins, le monde enfant, sous la protection de l’adulte qui surveille et console, n’est que jeu. L’insouciance et l’irresponsabilité, l’“inconscience” et l’“ivresse”, l’insensibilité, propriétés du jeu et de la curiosité infantile, sont nécessaires pour surmonter l’appréhension de l’inconnu – pour découvrir. C’est en jouant qu'on apprend à gérer des situations dont on peut ensuite se jouer. Il faut répéter, engrammer la bonne réponse. Mais pour ce faire, il faut y aller bille en tête. Pour apprendre, mieux vaut donc être hors de la réalité – qui oblige, qui impose la vigilance et le sérieux –, habiter la bulle de l’enfance. (Le plaisir du rire, l’“euphorie”, note Freud dans Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten, exprime “l’humeur de notre enfance”). Le jeu et le rire, incitation et prime à l’apprentissage, permettent ainsi d’observer le passage de la position passive à la position active : ce qui a provoqué l’amusement du petit est à son tour activé par le petit. Il existe d’ailleurs un comique spécifiquement destiné aux enfants, celui du clown. Le clown est un adulte qui fait tout à l’envers et en dépit du bon sens et qui fait rire des enfants qui savent le bon sens. Dans le dialogue qui, généralement, s’engage entre l’artiste et son public, les enfants enseignent cet adulte grotesque et sympathique qui fait l’enfant des enfants.


The Tickle Song

There's a terrible big green monster
And he's looking right at me---
a hairy big, scary big, monster I wish I didn't see.

He's getting so much closer,
It's looking pretty bad.
I know...
I'll tickle his nose.
I'll tickle his toes.
I hope it doesn't make him made.

We'll tickle, tickle, tickle, tickle,
Tickle, tickle, tickle, tickle,
Tickle his hairy green face.

We'll tickle, tickle, tickle, tickle,
Tickle, tickle, tickle, tickle,
Tickle him every place.

We'll tickle his foot.
We'll tickle his knees.
We'll tickle where he hears.
We'll tickle where he sees.

Then the monster laughed:
"Ha, ha, hoo, hoo--
You guys tickled me.
Now I'm gonna tickle you.

Tickle, tickle, tickle, tickle, tickle.

www.imagineproject.org/ tickle.html.



La primatologie (Plooij, 1979 ; Fossey, 1983) invite également à considérer l’interaction de la mère et de son petit dans cette activité qui a aussi le rire pour effet (et pour objet), les chatouilles. La question du chatouillement est une discussion fort sérieuse, doctrinalement ouverte par le Stagyrite (Parties de animaux, 673 b 7-10 ; Problèmes, section XXXV) (pour l’époque moderne, voir : Joubert, 1579, en continuité avec les discussions aristotéliciennes sur la fonction du diaphragme dans le rire ; Darwin, 1872 (1877) ; Hecker, 1873 ; Weiskrantz, 1971 ; Blakemore, 1998 ; Pankseppe, 2003) quand il fait état de cette observation selon laquelle une chatouille attendue est moins efficace qu’une chatouille qui arrive par surprise et qu’on ne peut se chatouiller soi-même.


www.touchneeds.com

Le cerveau (le cervelet) annule, en effet, les sensations proprioceptives (produites par le propre corps du sujet : “personne est étranger à soy”, explique Joubert - op. cit. p. 204) et l’irruption de la chatouille attendue est tempérée par cette représentation. Pour (se) chatouiller il faut donc au moins être deux. Les chatouilles peuvent être réciproques, “agonistiques”, mais il existe souvent une dissymétrie dans cette interaction qui indique vraisemblablement sa portée “pédagogique”. L’ivresse du jeu (les parents préviennent : Ça va mal finir !... Ça va tourner en eau de boudin ! Il va bientôt y avoir des larmes !...) à laquelle se livrent les enfants l’est particulièrement des chatouilles auxquelles, provoqués par des adultes familiers (qui, d'ailleurs, se font aussi rabrouer : Jeux de mains, jeux de vilains... une loi fédérale, en Virginie, interdit de chatouiller les petites filles), les provoquant aussi, ils s’abandonnent jusqu’à la suffocation, s'enfuyant devant l’adulte taquin tout en se laissant attraper par lui (Attrape-moi si je veux...), dérobant ces zones offertes à la stimulation, appelant cette sensation insoutenable, recherchée et repoussée... Le plaisir spécifique des chatouilles signale à la fois la contenance et la perte de contenance et permet de distinguer le soi du non-soi, de faire l’expérience d’une impossible fusion (Je t’aime, moi non plus) dans l’épreuve des échanges corporels.

Alors que la sensibilité tactile de la surface peau est sous contrôle et peut être gérée avec sagesse : Trop gratter cuit, trop flatter nuit, le contact des zones gélogènes paraît engager, sinon des réactions réflexes au sens strict, du moins une sensibilité spécifique des parties les plus vulnérables du corps – les zones gélogènes ne sont pas normalement accessibles. Le chatouillé paraît à vif, tel un écorché, et le chatouillement, comme le montrent certaines pratiques sado-masochistes, peut être un supplice. (On trouve sur le Net, d’où sont extraites les illustrations qui suivent, des sites dévoués à cette pratique : The definite source for tickling fiction & art, proclame l’un d'eux...)


www.mtjpub.com/ ecomics/vu.html

Cette hyperesthésie, défaut dans la cuirasse de notre contenance, est une voie d'accès à l'intimité – quand le simple contact corporel, l’hétéroception, de même que la pénétration d’un étranger dans la proxémie, suscitent esquive et retrait. Les chatouilles font partie des préliminaires sexuels, comme le rappelle cette devinette sexiste : Entre quels orteils une [blonde/brune] est-elle le plus chatouilleuse ? Réponse : Entre les deux gros orteils.

C’est lorsque le corps est sans défense, en supination, que ces zones réservées sont ouvertes ou offertes. Éducatrices ou sensuelles, les chatouilles du parent ou du partenaire, ces petites bêtes qui montent, qui montent..., “car la main du chatouilleur est suspendue, ores touchant, ores se retirant” (dans les “parties caves” du corps) (Joubert, op. cit. p. 198), qui s’immiscent soudainement dans l’intimité avec les bras multipliés, touchers hécatonchires et doigts fourmillants (de la divinité indienne ou du “monstre” représenté plus haut), mise en scène de l’abandon provoquant à la fois un relâchement convulsif du maintien et une reprise de la contenance, constituent une sténotypie ludique de l’expérience des limites, à la fois du corps et du supportable. “Vray est que cette volupté déplait [“ce sentiment du plaisir déplaisant”] parce que les parties fort délicates, refusent l’attouchement étranger, tant soit-il léger et mignard.” (ibid. p. 201-202) Sur le mode de la fermeture plaisante de la vérité (le haussement de sourcils du “non” des grecs ; peut-être la racine – I.-E. *smey-, grec meidos, lat. mirus – qui a donné le mot grec pour “être ébahi” , “bouche bée” puis “(sou)rire”), le chatouillé profère un “oui” qui dit “non”, quand le rieur émet un “non” qui dit “si”.

Mais le caractère ambigu du chatouillement ne doit pas masquer à l’observation son caractère social. Le fait que l’on ne puisse se chatouiller seul (alors qu’on peut rire seul) souligne la fonction communicative tant des chatouilles et des agacements qui provoquent le rire que des vocalisations qui le caractérisent. Et c’est, précisément, aux défauts de la cuirasse individuelle, aux zones gélogènes, que se décompose l'individu et que se compose le groupe. Quand la maman primate accède à la demande de chatouilles de son petit, elle ne lui apprend pas seulement les limites individuelles, elle éprouve aussi, dans un jeu partagé, sa capacité relationnelle. Si l’autisme – en contre-exemple – paraît exprimer une inappétence à la société (signalant une inaptitude à lire les émotions sur le visage – in facie legitur homo – et, selon une observation récente (Gervais et alii : "Abnormal cortical voice processing in autism", Nature Neuroscience  7, 801 - 802, 2004), une incapacité neurologique à distinguer la parole du semblable dans le bruissement du monde : la voix humaine porte, en effet, des informations non-verbales constituant une sorte de signature ou de “visage auditif” de l’émetteur dont l’interprétation mobilise des régions corticales spécifiques, le long du sillon temporal supérieur – qui, en l’espèce, restent inactives) alors le jeu des chatouilles, à l’inverse, démontre un goût de l’échange, préalable et nécessaire à la communication, qui augure favorablement de la socialisation.

William Bouguereau (1825 - 1905)

Sur ce substrat évolutif de l’association et de la grégarité, les diverses formes du rire peuvent être comprises dans la continuité d’une telle fonction : le rire, faculté primaire d’agrégation. Chatouiller, c’est sortir de ses propres limites et pénétrer dans l’espace privé d’autrui, c’est – problématiquement – faire société avec, si la victime (consentante) entre dans le jeu. Si l’on extrapole au groupe les pratiques duelles du chatouillement, son ambivalence disparaît et se révèle alors sa fonction sociale. Le chatouillement privé (pédagogique, sensuel ou sadique) exploite vraisemblablement un dispositif de récompense à la formation du groupe, dans l’esprit des rituels de mise en condition des prédateurs sociaux avant une chasse : poussées, jappements, morsures..., ébats codifiés qui préparent les membres de la meute à ne faire qu’un seul. La reconstitution publique des liens sociaux, telle qu’on peut l’observer au point de rencontre “Arrivée” des aéroports : embrassades, accolades, étreintes, tapes…, manifestations et congratulations riantes et bruyantes des retrouvailles, met en œuvre de tels échanges physiques qui baissent progressivement d’intensité quand le groupe est reformé et que chacun se reprend. Il n’est guère de composition de groupe qui ne fasse appel à ces échanges corporels. Monômes (d’étudiants), équipes (sportives ou professionnelles – cf. la gymnastique fusionnelle dans l’entreprise japonaise), brigades, cercles, troupes, bandes, cliques, communautés, foules… se constituent et vibrent à l’unisson dans les raouts, foires, noubas, messes, ramdams, sabbats, meetings, concerts, matches..., assemblées panmictiques où les transports et les vociférations (holas, clameurs…) expriment les sentiments et les impulsions de l’ochlos, l’animal collectif.


Obligé – pédagogique – dans l'apprentissage des tout-petits (exemples infra),
insoutenable quand on est adulte.

Fingerplays Booklet - Tickles and Lovies
http://www.pcl.lib.wa.us/fingerplays/tickles.htm

"Rhymes, poems, fingerplays, tickles, movement games – besides being fun, also enhance your child’s:
• memory skills
• vocabulary
• imagination
• humor
• spatial awareness
• motor coordination
• relaxation
• and so much more
Games, rhymes, wiggles and tickles have inspired laughter and joy in infants, toddlers, and young children for generations, strengthening the bonds between children and the loved ones in their lives."

Hurry Scurry Little Mouse
Hurry scurry little mouse
Starts down at your toes. (touch child’s toes)
Hurry scurry little mouse
Past your knees he goes. (touch child’s knees)
Hurry scurry little mouse
Past where your tummy is. (touch child’s tummy)
Hurry scurry little mouse
Gives you a mousy kiss. (give child loud kiss)

These are Baby’s Fingers (touch child’s fingers)
These are baby’s fingers, (touch child’s toes)
These are baby’s toes,
This is baby’s belly button, (touch child’s tummy)
Round and round it goes! (tickle child’s tummy)

Round and Round the Garden (make a circle in child’s palm)
Round and round the garden
Goes the teddy bear (fingers walk up child’s arm)
One step, two steps, (tickle child under arm)
Tickle you under there

Round and round the haystack (make a circle in child’s other hand)
Goes the little mouse
One step, two steps (fingers walk up child’s arm)
Into his little house (tickle child under arm)


Ces interactions s’expriment identiquement dans ce chatouillement sans contact qu’est le rire de groupe : un rire sans autre objet que de faire savoir (aux membres du groupe et à la cantonnade – et à soi-même) qu’on est bien “en phase”, sur la “même longueur d’onde”, etc., un test de connivence. Provine et Fischer (1989) ont judicieusement souligné, alors que la tradition philosophique focalise la réflexion sur le rire cognitif, le rôle de contact, entre les membres d’un même groupe, d’un rire sans autre raison que cet assentiment : le plaisir de faire bande. C’est, banalement, faire société avec. Rire ensemble signifie ici qu’on est membre du même club. (Cela est si vrai que les “clubs de rire”, qui mettent en œuvre le “rire sans raison” ou le “yoga du rire”, n’ont pas d’autre objet et tiennent, au moins le temps d’une séance, par ce seul ciment). La constitution du groupe requérant une porosité élective des individus qui le composent, la mise en contact que le chatouillement réalise (avec l’ambiguïté associée au toucher), le bain d’hilarité du rire, cette vapeur hilariante qui paraît flotter autour des rieurs, la met en œuvre aussi. Les émotions contradictoires révélées par la dialectique du chatouillement (non, oui puis non ; plaisir déplaisant ; mais oui, au bout du compte – jusqu’à un certain point...) peuvent constituer un “modèle” pour comprendre la formation et l’économie de ce super-organisme, composite et temporaire, qu’est le groupe. Les réunions, conseils, séminaires professionnels... font ainsi apparaître une administration du rire conforme à la hiérarchie du groupe concerné. Si le rire peut difficilement être contrefait (infra), en revanche il peut être commandé. Ce sont les “chefs” qui font rire, et beaucoup plus rarement les subordonnés. Quand il y a un boute-en-train dans le groupe, ses sorties sont canalisées et avalisées par le “chef”. Celui-ci, qui mesure sa position à la qualité de la rétroaction qu’il engendre, aux retours de sa parole ainsi qu’aux rires en écho suscités par ses bons mots, ne peut se permettre de voir le groupe se reconstituer sur des bases qui lui échappent. Le rire (l’auteur du bon mot) polarise, en effet, et prend en otage, tel l’électro-aimant de l’IRM le spin des noyaux d’hydrogène qui se tournent vers lui comme un seul, tous les membres du groupe – et les éventuels électrons libres...

Ce que le chatouillement opère mécaniquement et avec ambiguïté, le rire de situation l’opère sémantiquement et apparemment sans réserve (sauf à exclure les non-rieurs) : détendre l’atmosphère, “briser la glace”, faire fondre les préventions, souder les individus... Et ses manifestations peuvent être tout aussi mécaniques : bruyantes vocalisations, tapes dans le dos, bourrades, claque dans la main de celui avec qui on en partage une “bien bonne”, toutes formes de contact à rapprocher du rituel de mise en condition et des sténotypies cités. Le rire sémantique se déploie alors dans le registre du contact et de la connivence. C’est de la société en partage et en acte, un frotti-frotta corporel, émotionnel, intellectuel... Investissant le circuit récréatif et roboratif de la formation des groupes, critique bruyante de la différence (contre), en même temps qu’assentiment tapageur de l’identité (avec), le rire administre ainsi une correction subjective (endocrine) en même temps qu’une correction objective de l’erreur sociale (défensive : le groupe se referme sur les rieurs et offensive : rire, c’est montrer les dents – infra : 12.8).

L’exploration par le rire, ostensible et bruyante, extériorisation de la joie dans un environnement sécurisé, permettrait donc à l’enfant de faire l’épreuve de son corps, d’apprendre et de faire société, de mettre sur le monde des balises de vérité, d’expérimenter la causalité matérielle et sociale. Si le rire, empreint de cette excitation intellectuelle et psychique, de cette intensité qui caractérise le jeu est un moyen d’apprendre, l’indice de la découverte de la vérité, la récompense et la douce intempérance de la dure école de la vie, alors le spectacle de l’erreur replonge immédiatement celui qui sait – “Non ! ça n’est pas vrai !”– dans ce bain d’ivresse où se découvre la vérité. Le rire d’homo sapiens est l’expression du plaisir du vrai. Moyen (positif) d’accès à la vérité, il devient le moyen (négatif) de son authentification. Plaisir du vrai et plaisir du faux. Le plaisir du rire est le shoot qui récompense la reconnaissance de l’erreur.

Si nous n’avions pas besoin d’apprendre, nous n’aurions pas nécessité de rire. La maîtrise du réel, l’adresse, de même que la vérité, ne font pas rire. Elles provoquent l’acquiescement tacite ou l’admiration. Alexandre : – Papa, raconte-moi une histoire drôle. Papa : – D'accord. C'est une devinette. Est-ce que tu sais pourquoi il y a un trou au fond des pots de fleur ? Alexandre – Euh ! Bof !... Pour que l'eau puisse s'écouler ? – Mais non, Alexandre, c'est vrai donc ça n'est pas drôle... La vérité ne fait pas rire. C’est celui qui ne comprend rien à rien qui fait rire. Deux quidam se croisent par hasard après s'être perdus de vue : – Mais qu'est-ce que tu deviens ? Cela fait un bail qu’on ne te voit plus ! – Ah ! J’ai trouvé du boulot. – Ah bon ! Et qu’est-ce que tu fais ? – Je suis fakir dans un cirque – Ouah ! Et ça consiste en quoi ? – Je suis allongé sur une planche à clous et je dois jeûner pendant quarante jours. – Et c'est bien payé au moins ? – Non, mais je suis nourri et logé... Le succès du bouffon tient évidemment au plaisir que nous prenons à nous repaître de l’erreur. Le spectacle, le cirque en particulier, est justement ce cercle où l’on se refait une santé anthropologique, et notamment aux dépens de la déformation et de la difformité. Le rire sanctionne la dégradation, l’“incongruité descendante” de Spencer. Jamais, en effet, l’élévation. Si le clown du cirque Franconi (selon l’exemple de Spencer), qui se prépare à exécuter le saut que vient de réaliser l’acrobate au-dessus des chevaux, répétait à son tour l’exploit auquel les spectateurs viennent d’assister (au lieu de s’arrêter tout à coup au premier cheval après avoir pris un élan formidable, se contentant de brosser la poussière de la croupe là où il était supposé prendre ses appuis) alors ce ne sont pas les “ah ! ah !” brefs et sacccadés du rire qui jailliraient du public, mais bien un long “Aah !” d’admiration, celui qui sanctionne le dépassement de l’humaine condition.

Mais cette maîtrise est aussi culturelle. Les blagues ethniques démontrent à l’envi (notamment) que nous (le cercle des rieurs) sommes dans le vrai et que l’expertise de la réalité que fait l’autre est fausse, tellement fausse qu’elle fait rire. De more satis risi. C’est ma coutume, c’est ma théorie du réel qui est la bonne. L’autre homme est stupide : inadapté. Il ignore les “fondamentaux”, ceux, justement, que l’apprentissage, que la culture, permet de faire siens.


Florilège

L'autre ignore :

- La classification des êtres (et confond, par exemple, le mécanique avec le vivant) :

Comment reconnaît-on un [...] dans un aéroport ? Réponse : Il donne des graines aux avions...

- la nature même du vivant :

Au cours de son procès, on reproche à Bokassa le bilan particulièrement meurtrier de ses camps d'internement. Il argumente pour sa défense :
"– Quand on vient me prévenir d'un décès, il est parfois trop tard"...
[cet ancien caporal de l'armée française avait probablement lu Mark Twain :
The reports of my death are greatly exaggerated...
]

- idem (extrait d'un recueil antique de 265 blagues et facéties intitulé Philoghelos, attribué à Hiéroklès et Philagrios) :

Lors des funérailles d'un illustre citoyen de Cumes, un quidam, étranger à la ville, demande à ceux qui suivent le cortège : "– Qui est le mort ?" Un habitant se retourne et répond en montrant le corbillard : "– C'est celui qui est couché dans le cercueil."

- les divisions élémentaires du règne animal :

Un joueur [de foot], philosophe Thierry Roland, commentateur vedette de TF1, peut être fauché comme un lapin en plein vol.

- La nature des éléments :

Pourquoi les [...] ne font-ils pas de ski nautique ? Réponse : Parce que chez eux, il n’y a pas de lac en pente...

- La signification de l’espace :

Un pilote [...] atterrit sur une piste dont on lui a dit qu’elle était extrêmement dangereuse en raison de sa très faible longeur. Il réussit à se poser en mordant généreusement l’herbe et, l’avion immobilisé : “– Ils ont bien eu raison de me prévenir de la faible longeur de cette maudite piste, mais alors ! qu’est-ce qu’elle est large !”

- Les marques élémentaires de la civilisation :

Comment reconnaît-on un [...] dans un magasin à chaussures ? Réponse : Il essaie les boîtes…

- À l’inverse, il applique les conventions humaines au règne animal :

C’est un [...] qui, au temps de César, est jeté aux lions. Quand il constate qu’il est seul avec le fauve et qu’il n’y a pas d’issue, il se met à courir autour de l'arène. L’animal l’observe quelque temps, puis se met à courir après lui. Les spectateurs encouragent le [...] et, comme le lion se rapproche dangereusement, l’avertissent : Attention ! il va te rattraper ! Le [...] se retourne alors et crie aux spectateurs : Ne vous inquiétez pas ! J’ai un tour d’avance !”

- L'autre ignore, bien entendu, la polysémie :

En révélant à ses lecteurs qu'"un trou de balle [avait] été découvert à la base du dos de la victime", Le Provençal du 23 février 1960 a incontestablement réalisé un scoop (à raison souvent cité) ;

Pourquoi les [...] se mettent-ils en pyjama pour faire de la moto ? Réponse : C’est pour mieux se coucher dans les virages…

- Il incarne le dépit du bon sens :

C'est deux SDF qui se croisent dans la rue :
– Dis donc, ça fait un bail que tu as disparu, dit l'un ! Qu'est-ce que tu deviens ?
– J'ai trouvé du boulot.
– Ah bon ! et qu'est-ce que tu fais ?
– Je bosse dans un cirque : je dois jeûner pendant 40 jours et rester allongé sur une planche à clous.
– Ouaouh !!! C'est bien payé au moins ?
– Non, mais je suis nourri et logé.

Que fait un[e] [blond[e]/brun[e] quand on lui donne un éventail ? Réponse : Elle [Il] agite la tête.

Un hélicoptère s’écrase sur un cimetière en [...]. La police [...] a déjà identifié 300 victimes…

- L’autre, en somme, est la sottise personnifiée, plus lourdingue que la matière même :

Quand un [...] s’appuie sur un mur, le mur s’écroule. Pourquoi ? – Parce que c’est toujours le plus intelligent qui cède…

- Bien évidemment, les chances de transmettre ses gènes (comme dit la vulgate évolutionniste) de cet autre inadapté sont quasi nulles, ainsi que le signifie ce type d'histoire :

C'est un [...] qui est sur la plage avec un [...]. Il s'étonne des succès amoureux de son voisin et lui demande comment il s'y prend pour “lever” autant de filles. L'homme à femmes répond : "C'est facile ! Je vais te dire le truc que j'utilise : Tu prends une belle pomme de terre et tu la mets dans ton maillot de bain. Tu te promènes sur la plage avec ça. Tu vas voir. C'est radical ! Tu auras toutes les femmes à tes pieds.” Une semaine plus tard, les deux protagonistes se retrouvent sur la plage. “Alors ? imparable mon truc, non ?” – “Je ne comprends vraiment pas, répond l'autre, j'ai fait comme tu m'avais dit et je n'arrive toujours à rien !” Le [...] examine alors le [...] et lui demande : "Lève-toi un peu, pour voir ?” Et il s'exclame :“Mais non ! crétin ! pas derrière ! devant !

- Toute espèce d'hétérodoxie, aussi bien, peut faire l'objet de cette dérision qui conforte l'orthodoxie. On trouve dans la comédie d'Aristophane – vide supra : chapitre 7.4 : Altération et altérité de la norme anthropologique : le recours de la dérision – un florilège de cette hétérophobie qui entend cacophonie dans la langue du métèque (apparentée aux cris des volatiles - Paix, 681) et dénonce les mœurs privées sous les espèces des aberrations de la nature (Cavaliers, 364, 140 ; Paix, 11), dont voici deux variantes modernes :

Comment faire rentrer trois cents lusophones dans une 4L ?
– T
[u] mets Santos d[e]vant et Dos Santos d[e][r][r]e...

Pourquoi les homosexuels ne se reproduisent-ils pas ?
– C'est parce qu'ils manquent de sérieux et de conviction : quand deux homos sont ensemble, il y en a un qui fait le con et l'autre qui s'emmerde...


Le rire est communicatif et l’on rit ensemble d’un autre contre qui et grâce à qui se fait et se soude l’unanimité et l’unité des rieurs (soudure physique, solidarité qui s’observe, par exemple, quand un groupe d’enfants qui se moquent d’un adulte, pouffant et se détournant, l’un d’eux montrant du doigt, se forme en un cercle resserré, dos au ridicule). Rappel inversé des “communs” et de la koinè, cérémonie sociale de la réfection de l’unité sociale et de la remise en ordre des ordres, le rire est l’art de redécouvrir les fondements avec le plaisir de l’enfance. Pour filer une image primitive, on pourrait dire que, de même que les cellules du corps sont histocompatibles, les antigènes tissulaires causant le rejet du corps étranger (et du greffon), de même, le rire “immunitaire” (de protection) du chatouillement enseignerait et réaffirmerait l’unité corporelle, mais préparerait aussi (aux défauts de la contenance que sont les zones gélogènes) la constitution du super-organisme qu’est le groupe – dont le rire commun sanctionne la socio-compatibilité des membres. Je ris : j'apprends le corps ; je ris : j'apprends le groupe ; je ris : j'apprends la vérité. Chorus (silencieux) des cellules : cœnesthésie ; rire bruyant du chatouillement et de la culture : expérience des limites du corps (C'est bien moi !) et de la corporation (C'est bien vrai ! ...que c'est faux), apprentissage et réassurance des êtres sociaux que nous sommes, de la contenance et du quant à soi, de la vérité et de l’erreur. Hyperesthésie plaisante de la ratification des limites. Les zones gélogènes, en effet, ont pour siège le refuge de notre intimité et les certitudes de nos intimes convictions, ces points sur lesquels nous sommes particulièrement chatouilleux, sourcilleux (infra : 12.8), susceptibles... et dont l’agacement ou l’irritation (inoffensifs) provoquent le rire.

L’amygdale réagit, ainsi qu’il a été rappelé plus haut, aux signaux de danger et de détresse. Et gère ce que nous appelons banalement les peurs “instinctives” : la phobie des serpents, par exemple. Avec, d’ailleurs, un système dual – ocytocine-vasopressine – dont la nature a récemment été mise en évidence (Huber et al. 2005). Elle assure sécurité et communication. La voie courte (supra) étant propre à l’administration des situations de surprise, elle anticipe aussi le sens “vital” des mots. Ainsi, une expérience conduite sur des patients épileptiques (le traitement de certaines formes d’épilepsie justifie la pose d’électrodes intracérébrales et constitue une voie d’accès à la connaissance de cette région inférieure du lobe temporal) montre-t-elle que la valeur émotionnelle d’un mot peut être perçue avant son sens. À la différence d’un mot émotionnellement neutre, un mot connoté “danger” (e. g. le mot “poison”) affiché pendant 29 millisecondes au milieu d’une série de signes dénués de sens (technique de l’amorçage masqué) provoque une activité électrique de l’amygdale. (Naccache et al. 2005) Quand il s’avère que la voie courte n’était pas la bonne : e. g. le tuyau d’arrosage pris pour un serpent ou le tigre empaillé introduit dans la réserve des chimpanzés, qui déclenche d'abord des cris de frayeur et de menace puis, quand il se révèle n’être qu’un “tigre de papier” est bientôt réduit en charpie, chaque chimpanzé mettant un point d’honneur à venir donner le coup de pied de l’âne au roi des animaux : triomphe romain.

Si donc il existe une continuité entre le rire provoqué par le chatouillement et le rire sémantique (ce que Joubert, par exemple, dans son chapitre : “A savoir si c’est un vray Ris, celuy du chatoulhement”, récuse, s’appuyant notamment sur “Moyse, medecin Arabe”), il faudrait voir dans le rire provoqué par le chatouillement le support physique (et le modèle neural) de la coopération (supra). Le chatouillement n’est toléré que de familiers. Même consenti, toutefois, il provoque ce réflexe d’esquive, comme a pu l’observer Darwin à propos d’un enfant (le sien) de sept jours. C’est ce qui peut expliquer son caractère insupportable quand il est insistant et répétitif. “Or que le chatoulhement soit facheus, deplaisant et non agreable, comme et l’occasion du vray Ris, note Joubert, plusieurs choses le confirment : mais ceci principalemant que nul veut etre chatoulhé”. (op. cit. : 193 ; les italiques sont nôtres) Il déclare, quant à lui, redouter le chatouillement et “l’estime à grand’ injure et tort”, il s’en “venger[oit] volontiers, si ce pouvoit faire honetemant”. C’est en effet un “grief mal, poursuit-il, quand on et contraint de l’andurer longuemant : dont il n’et fort etrange ce qu’on m’ha dit, d’un jantil homme qui voulut donner un coup de pognard à un sien familier, qui le chatoulhoit trop : mais il n’eut pas la force, etant rompüe de ce ris, et un autre lui ota le pognard.” (pp. 194-195) Banalement, le rire du chatouillement sanctionne une surprise maîtrisée, une intrusion venant d’un proche. Au-delà de ce caractère ludique, la fonction pédagogique du chatouillement révèle une signification sociale.

C'est, nous l'avons dit, aux défauts de la cuirasse individuelle que se décompose l'individu et que se compose le groupe. La dialectique du chatouillement : oui et non, expérience des limites individuelles, contenance et débridement, amorce de l'incorporation au super-organisme qu'est le groupe, pourrait ainsi manifester le substrat éthologique, grégaire ou social, de la “passion risoliere” (Joubert : 39). Cette dialectique, en effet, est aussi celle du sujet dans ses rapports avec le groupe. Le sujet n'est rien sans cette appartenance au groupe et il doit pourtant prospérer en tant qu'individu, séparé. Le groupe, organisme à la fois omniprésent et absent, individuellement intériorisé et décliné, redevient physiquement manifeste, réactivé, régénéré à la faveur de procédures d'association, de réassurance et de complicité sociale. Spécifiquement dans le rire, conjoncturel (le rire spontané) ou rituel (la Comédie), quand l'individu ne se contient plus et (re)devient groupe. Le rire est banalement dit "contagieux", trouvant là sa principale fonction sociale. L'expérience commune du rire, qui met en œuvre les ressources neuronales du "circuit de la récompense", comme la dopamine et l'acéthylcholine, mais aussi l'ocytocine, dite encore "hormone de l'attachement", révèle et conforte l'intelligence du groupe, l'esprit de corps.

"Plus on est de fous, plus on rit". La contagion, effet collatéral du rire, en révèle peut-être l'origine et la fonction première. De la "socialisation" par la "chatouille", plaisant apprentissage dyadique de la communication, au rire sémantique qui sanctionne le partage d'une même expertise, en passant par le rire "pour rien" qui exprime le plaisir d'être entre soi (à deux ou en groupe), la contagion du rire paraît souder sous une même peau les corps disjoints. Cette contagion, tout esprit critique suspendu, tout quant à soi ravalé, est réflexe et irrépressible. Plus on est de fous, plus les fou-rires explosent. Il y a une corrélation entre la baisse de vigilance, le rire et la fusion du groupe. L'alcool, qui fait tomber les préventions et les inhibitions, déchaîne le rire collectif de la compagnie des buveurs, secouée à l'unisson comme si elle ne faisait qu'un seul corps. Le principe moteur de ce corps temporairement chevillé par des blagues ou des situations de moins en moins drôles et de plus en plus lestes au fur et à mesure que la fête avance est foncièrement régressif. L'enrôlement organique de ce type de rire est inverse à celui de l'"esprit" (ainsi nommé parce qu'il ne flatte – analytiquement – que les neurones). Quand le rire reconstitue le groupe ainsi, l'ochlos prend vie et la sélection naturelle reprend ses droits. C'est ce rire provoqué par la différence (i. e. en réponse à la provocation de la différence) qui précède l'exclusion et l'exécution du bouc émissaire ou du mock-king.


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Plan du chapitre :

IV - 12.1 Introduction
IV - 12.2 Le rire et la reconnaissance de la forme humaine
IV - 12.3 Le rire comparé aux états émotionnels causés par la surprise
IV - 12.4 Une peau de banane sémantique Une présentation en diaporama
IV - 12.5 La théorie du rire de Giambattista Vico
IV - 12.6 “Nous bricolons dans l’incurable” (Emil Cioran)
IV - 12.7 Le rire et la reconnaissance de la forme humaine (bis)
IV - 12.8 “Il n’y a pas à pas à dire, quand on parle, ça découvre les dents” (Francis Ponge)




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