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1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...”
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5- L“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures
19- Enquête sur la forme humaine : 1
20- Enquête sur la forme humaine : 2
21- Enquête sur la forme humaine : 3-21.4
22- Quelques exercices de Travaux Pratiques


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SOMMAIRE

anthropologieenligne.com : unité de l’homme et diversité des cultures

Chapitre 21

IV - 21.4 L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (1) : liaisons


Plan du dossier :

19.1 Exorde
19.11 "Et ta sœur !" Différence des sexes et territorialité : relevé des grafitti de la Sorbonne, mars 1982
19.2 Variations sur le prochain
19.3 Quand la théorie de la société est la théorie du marché
19.4 Les "30 glorieuses" et les 30 pleureuses
19.5 De Tati à Tati
19.6 Gradations dans l'expression de l'allophobie et dans son aveu
19.7 Territoire, proxémie, proximité : le proche et le lointain
19.8 Appartenance commune
19.9 Guetteurs au créneau
20.1 Othello, ou la tragédie de l'apparence
20.2 Phénotypes et stratification sociale : la naturalisation du droit
21.1
L'empire de la liberté : la techno-structure par l'exemple, neutralisation des fonctions et des genres
21.2 Loi du renouvellement technique et conséquences...
21.3 Hormones et territorialité : la dominance à l'épreuve de la valeur morale de la différence
21.4 L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (1) : liaisons
21.5
L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (2) : déliaisons
21.6 Logique du vivant, morale du vivant
21.7 Médialangue et culture-jeunesse, distance réfractaire et période réfractaire


La moitié du ciel…

« Les femmes supportent la moitié du ciel. »
(proverbe chinois)

Faire l'histoire d'homo sapiens, c'est écrire, pour des raisons qui tiennent à la fois au dimorphisme sexuel et à l'anisogamie - mais principalement à la culture - le martyrologe la condition féminine. Tandis que la femme a la charge de l'enfantement et du maternage, alors que, dans des conditions nutritionnelles et sanitaires égales, sa résistance aux maladies et sa longévité sont supérieures, la mobilité et la force brutale (vraisemblalblement sélectionnée par la compétition pour les femelles) à l'avantage de l'homme, sont généralement données comme les causes immédiates de l'assujettissement féminin.

Cette servitude fonctionnelle met la femme en situation de dépendance dans la généralité des stratégies sociales qu'on peut observer touchant les tractations matrimoniales : ce sont des hommes qui « échangent » des femmes et non l'inverse. La répartition des tâches, la position sociale et religieuse, le marquage corporel, les règles de conduite sont conditionnés par cette dépendance. Comme il a été rappelé ici, de surcroît à ses charges reproductives, la femme assume, dans les sociétés d'agriculture extensive, l'essentiel des tâches agricoles (et l'approvisionnement du foyer) ; dans les sociétés où la terre est appropriée, elle est claustrée et cantonnée à la sphère domestique. Exploitée et surveillée pour sa force de travail et sa capacité de reproduction. La sexualité féminine est soumise à une stratégie de reproduction biologique et sociale mise en œuvre par les hommes. La police chirurgicale de cette stratégie, l'excision, en résume l'idéologie. Aucune autre femelle de mammifère n'est à ce point marquée et asservie aux fonctions de son genre.

Un rapport des Nations unies de la Commission des Droits de l'Homme, daté de janvier 2002 (Rapporteuse spéciale : Mme Radhika Coomaraswamy) dresse, sous le titre « Pratiques culturelles au sein de la famille qui constituent des formes de violence contre les femmes », un état des lieux de ces pratiques : mutilations génitales, crimes d'honneur, placement de fillettes dans des temples, chasse aux sorcières, ségrégation de caste, mariage forcé, polygamie, lois discriminatoires, infanticide et fœticide frappant sélectivement le sexe féminin…

Les mutilations génitales

L'Organisation Mondiale de la Santé classe en quatre types (2008) les « mutilations sexuelles féminines » soit : toutes les opérations dont l'objet est l'ablation, partielle ou totale, ou la lésion, des organes génitaux externes de la femme, opérations pratiquées à des fins non thérapeutiques.
Type I - Ablation partielle ou totale du clitoris et/ou du prépuce (clitoridectomie).
Lorsqu'il est important de distinguer entre les principales formes de la mutilation de type I, les subdivisions ci-après sont proposées: Type Ia, ablation du capuchon clitoridien ou du prépuce uniquement ; Type Ib, ablation du clitoris et du prépuce.
Type II - Ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres (excision).
Lorsqu'il est important de distinguer entre les principales formes qui ont été constatées, les subdivisions ci-après sont proposées: Type IIa, ablation des petites lèvres uniquement; Type IIb, ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres; Type IIc, ablation partielle ou totale du clitoris, des petites lèvres et des grandes lèvres.
Il convient également de noter qu'en français, le terme «excision» est fréquemment utilisé comme un terme général recouvrant tous les types de mutilations sexuelles féminines.
Type III - Rétrécissement de l'orifice vaginal avec recouvrement par l'ablation et l'accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres, avec ou sans excision du clitoris (infibulation).
Type IIIa, ablation et accolement des petites lèvres; Type IIIb, ablation et accolement des grandes lèvres.
Type IV - Toutes les autres interventions nocives pratiquées sur les organes génitaux féminins à des fins non thérapeutiques, telles que la ponction, le percement, l'incision, la scarification et la cautérisation.
Le Courrier International n° 210 du 10 au 16 novembre 1994 rapporte :

Le deuxième jour de la conférence du Caire sur la démographie, la chaîne américaine CNN a diffusé un reportage montrant l'excision d'une petite fille égyptienne - deux minutes d'images brutales et sanglantes -, qui a soulevé une tempête de réactions.
Selon la télévision égyptienne, le président Hosni Moubarak a immédiatement alerté le ministre de l'Information, lequel a appelé le ministre de l'Intérieur qui a fait arrêter les personnes ayant participé à l'opération ou qui ont permis qu'elle soit filmée. Figuraient sur la liste, outre la correspondante de CNN - relaxée par la suite -, le père de la petite fille et le « barbier chirurgien ». Ceux-ci sont apparus, stupéfaits, sur les écrans de télévision égyptiens, semblant ne pas comprendre la raison de leur arrestation. Ils n'avaient « rien fait d'exceptionnel ». Comment s'étonner de leur étonnement ? 3600 petites filles sont excisées chaque jour en Egypte selon les statistiques du Ministère de la Santé, et 85 % des opérations sont pratiquées hors des hôpitaux et des cabinets médicaux.

Un article du Monde du 23 janvier 2006 intitulé « Femmes mutilées au bord du Nil », cite les justifications d'un gynécologue égyptien qui enseigne à l'université d'Ain Chams : « L'excision, il est pour. Il la pratique dans sa clinique […] Il pousse le militantisme jusqu'à pratiquer l'opération - source de réels profits - gratuitement ». « Le prophète a approuvé l'excision. Donc le faire, c'est bien », argumente-t-il. « Il est très difficile pour une fille qui a pratiqué la masturbation, explique le gynécologue, de se diriger ensuite vers l'orgasme vaginal. » L'excision lui permet « de se diriger vers une vie de couple épanouie ». De surcroît, « l'excision empêche beaucoup d'infections et limite les cancers de la vulve. » Le dernier argument est patriotique : « Tout en Egypte repose sur la famille. Faire que la sexualité devienne chez nous ce qu'elle est en Occident est un plan pour la détruire. Qui, en 1997, a voulu interdire l'excision ? Les étrangers, surtout les Américains. » Un expert en droit islamique de l'université de Caire constate d'ailleurs que « l'excision […] source de pudeur, d'honneur et d'équilibre psychologique […] ne peut provoquer la frigidité chez la femme. Depuis de nombreuses générations, les musulmanes pratiquent l'excision tout en ayant une vie conjugale épanouie. » La séquence de CNN en cause se termine par l'expression de la satisfaction du père : « La fillette est propre maintenant ». Dans une émission diffusée le 5 avril 1991 sur FR3, intitulée « L'Afrique accusée », un médecin malien compare l'excision à la cueillette saisonnière des amygdales et des végétations.

Pour l'Égypte, les statistiques officielles indiquent que 91,8 % des Egyptiennes ont été excisées (source : Planning familial) et que plus d'un million d'excisions sont exécutées chaque année (la majorité étant pratiquées par des matrones et des « barbiers chirurgiens »). Selon l'Association égyptienne des obstétriciens, l'excision est cause de nombre de stérilités et d'inflammations chroniques. L'article cité du Courrier international liste les « complications » entraînées par l'excision :

- Hémorragie violente, qui, dans des conditions non hygiéniques, entraîne souvent la mort.
- Douleurs insoutenables - l'opération est effectuée sans anesthésie sur une zone riche en terminaisons nerveuses [voir infra] - qui peuvent perdurer très longtemps.
- Difficultés d'uriner - l'urètre étant souvent endommagé [voir infra] -, ulcères.
- Tétanos, septicémie et inflammation chroniques de la vessie, des reins des organes génitaux.
- Douleurs violentes lors des rapports sexuels. La femme est soumise à une nouvelle épreuve lors de la nuit de noces, lorsque le mari élargit l'orifice étroit en l'incisant avec un couteau ou un bistouri.
- Accouchement éprouvant, parfois précédé d'une nouvelle incision quand le femme a été de nouveau infibulée. Souvent, le nouveau-né étouffe ou meurt à son passage par cette ouverture mutilée.
- Traumatismes psychologiques et nerveux.

Évalué de cent à cent-quarante millions (dont cinquante mille en France), c'est le nombre de femmes ayant subi des mutilations sexuelles dans le monde, selon une étude publiée en octobre 2007 par l'Institut National des Études Démographiques (« Les mutilations sexuelles féminines : le point sur la situation en Afrique et en France », Armelle Andro, Marie Lesclingand, Population et Sociétés, n° 438, octobre 2007).

Le « crime d'honneur » est la sanction de ce manquement à l'ordre des mâles.

« En réalité, note le rapport des Nations unies de la Commission des Droits de l'Homme cité, ce qui se cache sous le terme « honneur », c'est le besoin qu'ont les hommes d'exercer un contrôle sur la sexualité féminine et de restreindre la liberté des femmes […] L'honneur définit le statut d'une famille. Dans les sociétés patriarcales et patrilinéaires, la responsabilité de sauvegarder l'honneur de la famille incombe aux femmes […] Les femmes sont perçues comme la propriété des hommes, et l'on attend d'elles qu'elles soient obéissantes et passives et non pas qu'elles s'affirment et qu'elles agissent […] A ce titre, il leur incombe de préserver leur virginité et leur chasteté. Les crimes d'honneur en Asie occidentale trouvent leur origine dans un dicton arabe crûment formulé : « L'honneur de l'homme repose entre les jambes de la femme » (§ 27 et 28).

Et l'esclavage sexuel rituel une expression de la servitude sacrificielle et médiatrice de la femme : tel le trokosi, « pratiqué au Bénin, au Nigéria, au Togo et au Ghana », ou le devadasi en Inde (devaki au Népal) où des fillettes sont données aux prêtres, investis d'une fonction de médiation entre les hommes et les dieux, pour obtenir une grâce ou racheter une faute (§ 38 à 42).

« More Than 100 Million Women Are Missing. »
Amartya Sen (prix Nobel d'économie en 1998) The New York Review of Books, 20 décembre 1990.

L'inégalité des sexes apparaît crûment dans l'infanticide et le fœticide sélectif des filles ; quand la fillette survit, cette sélection natale est à l'origine de discrimations alimentaires, sanitaires et éducatives. Il naît davantage de garçons que de filles (105/100), mais celles-ci vivent normalement plus longtemps (92,7/100). En Chine et en Inde, dont la population représente plus du tiers de la population mondiale, plus de soixante millions de filles auraient été éliminées en raison de leur sexe. Depuis le signalement d'Amartya Sen de 1990, cité plus haut, c'est cent-cinquante millions de femmes qui manquent à l'appel. La préférence accordée au fils est expliquée par la transmission du patrimoine (et du nom), la retraite des parents et la célébration des rites funéraires. La dévalorisation des filles est principalement liée à son statut matrimonial dans les sociétés où le mariage est virilocal et contracté à la faveur d'une dot payée par les parents de la fille. L'éducation d'une fille, qui va quitter le foyer, coûte sans contre-partie. Un proverbe indien énonce qu'élever une fille, c'est arroser le champ du voisin. Fatalité ou stratégie d'ascension sociale, les familles s'endettent pour marier leurs filles. La politique de l'enfant unique en Chine, instituée en 1979, et la diffusion des techniques modernes de dépistage prénatal (« Dépenser 5.000 roupies aujourd'hui plutôt que 500.000 roupies [pour la dot] demain… »), ont accentué un déséquilibre démographique qui condamne au célibat des millions de jeunes hommes, signifiant la fin de lignées qu'ils étaient supposés perpétuer et qui les a fait préférer à leurs sœurs. Ce déséquilibre peut affecter le simple renouvellement des générations (qui suppose, dans ces conditions, une fécondité accrue des femmes) - et aggraver la pénurie de filles. Aux frontières des pays concernés, des réseaux transnationaux se mettent en place, exploitant les disparités de revenus.

Dans un environnement aux ressources limitées, le contrôle des moyens de production et spécifiquement de la terre est vital. Les stratégies de reproduction sont aussi des stratégies d'héritage et de sélection sexuelle. Les nécessités liées à la transmission des patrimoines favorisent ainsi le plus souvent les fils et d'abord l'aîné. Le cas Rajput où, dans certains groupes, l'élimination des filles est de tradition (on les surnomme localement les Kuri Mar, ou Kudi Mar, « destructeurs de filles »), illustre cette stratégie à l'extrême. En 1789, Jonathan Duncan (arrivé en Inde en 1772, gouverneur de Bombay de 1785 à 1811), avait révélé la pratique de l'infanticide des filles chez les Rajput de Jaunpur au Gujrat et chez la plupart des tribus dominantes du nord et du nord-ouest de l'Inde. Évoquant la place-forte des rajahs de Mynpoorie, un magistrat britannique écrit, au milieu du XIXe siècle, alors que la naissance d'un fils, d'un neveu, d'un petit-fils du souverain est annoncée avec faste, que « les siècles ont passé et qu'il n'y a aucun souvenir d'un sourire de petite fille dans ces murs » (cité par Barbara D. Miller, « Female Infanticide and Child Neglect in Rural North India », in Nancy Scheper-Hugues (ed.) Child Survival, Dordrecht : D. Reidel Publishing Co. 1987, p. 92). L'explication donnée par l'administration britannique pour cette pratique tient en deux mots : pride and purse. Pride : pour ne pas avoir à donner des filles en tribut à des groupes supérieurs. Purse : parce que le mariage d'une fille nécessite une dot qui profite à la famille du mari. Parce qu'ils occcupent les sommets de la hiérarchie sociale et qu'ils ont la propriété des moyens de production, les clans en cause, sans fille à marier, prélèvent ainsi un impôt supplémentaire en épouses dotées sur les clans inférieurs. Par ce tribut, ceux-ci (ou les enfants de leurs filles) s'élèvent socialement et se rapprochent économiquement et génétiquement des dominants. Une étude portant sur l'ADN mitochondrial et le chromosome Y montre comment « la stratification génétique du système de castes hindou [qui compte quelque deux mille castes réparties sur les cinq varna] est liée à la mobilité sociale des femmes » : relevant une forte sédentarité du chromosome Y (transmis de père en fils) et une plus grande mobilité des marqueurs transmis par la mère, franchissant les barrières de caste officielles (Michael J. Bamshad et al. « Female gene flow stratifies Hindu castes », Nature, 395, 1998, p. 651-652). Dans les sociétés fortement inégalitaires, les filles sont une charge aux dominants, puisqu'elles les appauvrissent sans contre-partie et peuvent être une chance aux dominés à qui elles peuvent offrir une opportunité d'ascension sociale.



Deux images pour résumer ce drame :
o Madame Luo, la fille qui a survécu à 26 aiguilles

Luo Cuifen, 30 ans, se cache sous un grand chapeau pour masquer le dernier symbole de féminité qu'on lui a enlevé. «Ils m'ont coupé les cheveux pour les opérations.» Pendant des années, croyant à une «maladie très grave», elle a ressenti des douleurs à la poitrine et dans les reins, et vu du sang rougir son urine. En 2004, lors d'une visite médicale à Kunming, le chef-lieu de la province, les radiographies de son corps ont révélé « l'incroyable », et donné le vertige aux médecins. Vingt-six traits blancs se découpaient sur les radios au niveau du ventre, du dos, du cou, des poumons et de la tête. Des aiguilles à coudre de «4 à 5 centimètres», raconte Song Ming, radiologue de l'hôpital.
[…] L'élimination des bébés filles, un mal, qui aura pour effet de produire 30 millions d'hommes célibataires en Chine, d'ici à 2020. Aujourd'hui, le ratio homme-femme atteint parfois dans les provinces pauvres, 140 garçons pour 100 filles. Mettre au monde une fille, dit-on dans les campagnes, c'est vouloir cultiver «une terre sans semis», ou regarder «l'eau qui passe». Une fois mariées, les filles appartiennent à leur belle-famille […] (Libération du 8 juillet 2008)


oLa sélection par le genre

La photographie ci-dessus, extraite de Blaffer-Hrdy, Mother Nature, a History of Mothers, Infants, and Natural Selection (New York : Pantheon Books, 1999, p. 323), prise à l'hôpital pour enfants d'Islamabad, représente des jumeaux, fille et gaçon, à l'âge de cinq mois. La fille a été élevée par la belle-mère et nourrie au biberon. Le garçon, resté avec sa mère, a été nourri au sein. Quand ils ont été réunis à l'hôpital, la différence entre les jumeaux était criante. Mais il était trop tard pour intervenir. Décharnée et apathique, la fille est morte quelques jours après la prise de ce cliché.


La « ponte ovulaire »

Jusqu'au milieu du XIXe siècle, on considère généralement que l'acte de chair engage symétriquement l'homme et la femme dans un partage fonctionnel de la génération - et dans la volupté. C'est la théorie des « deux semences ». Les progrès de la physiologie vont ruiner cette symétrie naturelle quand les conceptions scientifiques confortaient les conceptions de sens commun. A partir des années trente, la science médicale s'emploie à analyser le processus de la génération animale. En 1827, Baer von Königsberg (De ovi mammalium et hominis genesi, Lipsiae, 1827) avait isolé l'ovule chez le Chien. Alors que Georg Ludwig Kobelt (voir infra) étudie avec une minutie inspirée l'« organe de la volupté » de la femme, la physiologie découvre le mécanisme cyclique de la production ovulaire. Plusieurs biologistes, parfois en querelle de priorité (ce paraît indiquer, en vertu de la « marche progressive des idées » selon l'expression de Pouchet - référence infra : p. 476 - que la découverte était « mûre »), y contribuent.


Soit : Theodor Ludwig Whilhelm Bischoff, en fr. Traité du développement de l'homme et des mammifères: suivi d'une histoire du développement de l'œuf de lapin (Paris : J.- B. Baillière, 1843), Adam Raciborski, De la puberté et de l'âge critique chez la femme, au point de vue physiologique, hygiénique et médical, et de la ponte périodique chez la femme et les mammifères (Paris : J.-B. Baillière, 1844) ; Du Rôle de la menstruation dans la pathologie et la thérapeutique, (Paris : J.-B. Baillière, 1856), Félix Archimède Pouchet, Théorie positive de l'ovulation spontanée et de la fécondation des mammifères et de l'espèce humaine basée sur l'observation de toute la série animale (Paris : J.-B. Baillière, 1847).



Au bénéfice de l'apport de Félix Pouchet (défavorablement connu pour avoir été, au terme de sa carrière, l'adversaire malheureux de Pasteur dans la controverse sur la génération spontanée) : une bibliographie exhaustive et circonstanciée des auteurs modernes ayant contribué à la connaissance de la reproduction. En conclusion de ses travaux (couronnés « le prix de physiologie expérimentale à l'Académie Royale des sciences de Paris au concours de 1845 et illustrés par un atlas où sont représentés, chez plusieurs espèces, dont l'Homme, l'évolution de la vésicule de Graaf - la planche V représente ainsi « des ovaires de grandeur nauturelle et sur lesquels on peut voir plusieurs cicatrices de vésicules de De Graaf indiquant l'émission de leurs ovules » - l'émission de l'ovule, la formation des corps jaunes, les phases de la menstruation…), il écrit : « Dans toute la série animale, l'ovaire émet ses ovules indépendamment de la fécondation. C'était là le point capital de ce travail » (p. 452). Les phénomènes de la génération humaine, « quoique l'espèce paraisse pouvoir se reproduire en tout temps » « sont soumis à des périodes intermittentes qui, quoique très-rapprochées, peuvent être fixées avec précision, comme il est possible de le faire à l'égard de tous les autres êtres de la série zoologique » (p. 458). « Si pendant le temps de sa translation et de son séjour dans l'appareil génital, c'est-à-dire durant les douze premiers jours qui suivent les règles, et rarement jusqu'au quatorzième, il y a un rapprochement, la fécondation peut avoir lieu, mais elle ne saurait jamais s'effectuer plus tard, l'œuf ayant été, évidemment, entraîné au dehors par la decidua » (p. 467). Il n'est donc plus possible de « professer que c'est l'influence du fluide séminal qui suscite la production des ovules et leur chute » (p. 459). « Il existe une coïncidence intime entre les phénomènes menstruel et l'émission des ovules » (p. 466). « L'émission du flux cataménial de la femme correspond aux phénomènes d'excitation qui se manifestent à l'époque des amours chez les divers êtres de la série zoologique, et spécialement chez les femelles des Mammifères » (p. 460). Il existerait donc un équivalent de l'œstrus dans l'espèce humaine…

L'idée admise était que l'orgasme féminin accompagnait ou provoquait (ordinairement) la « ponte ovulaire », constituant l'équivalent féminin de l'émission de semence du mâle, sa part naturelle dans la volupté et dans la génération. Aristote, qui notait que, si l'on excepte le fait de rendre la copulation désirable et de la provoquer, le plaisir féminin était sans rapport avec la fécondation - qui peut avoir lieu sans orgasme, tout comme il peut y avoir orgasme sans conception (Génération des animaux, I, XIII, 14 ) - l'emporte donc sur Galien, qui estimait, lui, que le spasme féminin, accompagnant une émission de semence propre, était favorable à la formation de l'embryon (De semine, II). Avec cette découverte du processus autonome et cyclique de l'ovulation, l'instruction de synchronisation d'émission des « deux semences » (justifiant fonctionnellement le spasme féminin) qui figurait en bonne place dans les manuels des confesseurs devient médicalement caduque. L'émission de l'ovule n'est pas liée à la voluptas. La pollutio féminine est étrangère à la génération… Avant la fin du siècle, avec les travaux d'Oscar Hertwig, qui montre, à partir de l'Oursin, que la fécondation résulte de l'union du noyau d'un gamète mâle avec un gamète femelle (O. Hertwig, « Beiträge zur Kenntniss des Bildung und Theilung des thierischen Eies », Morphologisches Jahrbuch, 1876) et ceux Edouard van Beneden, qui révèle le mécanisme de la méïose (réduction des chromosomes des cellules sexuelles) sur l'Ascaris du cheval (E. van Beneden, « Recherches sur la maturation de l'œuf et la fécondation (Ascaris megalocephala) », Archives de Biologie, 1883, 4, 265-640, p. 583) les fondements scientifiques de la reproduction sont posés.

Ce savoir se diffuse rapidement dans le siècle. A la date du 5 juin 1857, Michelet note dans son Journal sous le titre « Règles, rut » :

« L'assimilation des règles de la femme au rut que je vois dans Béraud-Robin [Éléments de Physiologie de l'Homme, 1856], Burdach [auteur d'un manuel d'Anthropologie pour les gens du monde, 1847], etc., accuse une part de fatalité très forte de fatalité naturelle dans la vie de la femme […] L'amant qui saura exactement de la femme de chambre les époques de sa maîtresse peut d'autant mieux dresser ses plans. Que serait-ce si Lisette disait indiscrètement : Venez, mademoiselle est en rut ? » (Michelet, Journal, 2, 1857, p. 329).



Le terme oistros désigne le taon en grec ancien, insecte parasite du bétail domestique (taon, ou œstre, du bœuf, du cheval, du mouton…) ; oistrôdes signifie semblable à un animal piqué par un taon ; oistros signifie par extension désir furieux, folie. Oppien décrit la réaction des bovins piqués par cet insecte :
« Ils ne se soucient plus de la voix du pasteur, non plus que du pâturage et du troupeau, mais quittant la prairie et les étables, ils s'élancent tout en fureur […] Ils ne craignent ni les précipices, ni les rochers inaccessibles ; en un mot, rien ne peut arrêter l'impétuosité d'un taureau vivement pressé par la douleur qui lui cause l'aiguillon du taon qui le pique. Il remplit toute la contrée de ses mugissements…» (Halieutica, II, 521 et s.)
La nymphe Io, transformée en génisse par Zeus, fut chassée jusqu'au bout du monde par la piqûre d'un taon, fruit de la jalousie d'Héra.



Phylogénétique et anatomie génitale

A la différence des mammifères chez qui l'ovulation est déclenchée par la monte (félins, ursidés, camélidés, lagomorphes, mustélidés - où l'intromission engage une réponse réflexe de l'utérus déclenchée par la libération de noradrénaline par les fibres nerveuses sympathiques), l'ovulation des primates est périodique et indépendante de l'accouplement. La première option maximalise les chances de reproduction d'animaux solitaires, la seconde, caractérisée par une réceptivité associée à l'œstrus, est adaptée à la compétition d'animaux sociaux, l'ordre des primates se distinguant des autres mammifères par une réduction du rut (les signaux sexuels pouvant d'ailleurs être utilisés à des fins spécifiquement sociales). Alors que l'orgasme masculin est la forme ordinaire du transfert de gamètes dans le tractus génital féminin, la fécondation est donc indépendante de l'orgasme féminin (le don de gamètes est chirurgical chez la femme et réputé jubilatoire chez l'homme).

Climax face in female stumptail monkey (Macaca arctoides) [Macaque à face rouge, M. brun]
Oregon Regional Primate Research Center, 1970, dessin de Joel Ito.
La récurrence de ce faciès caractéristique paraît être en corrélation avec la position hiérarchique de la femelle. (L'étude en cause repose sur l'enregistrement, à la faveur de capteurs radiotélémétriques, des principaux rythmes physiologiques et des contractions utérines. « Orgasm in non-human species », A. K. Slob et alii, in : Proceedings of the First International Conference on Orgasm, Bombay : VRP Publishers, 1991, p. 128).

Il paraît évident que si l'orgasme était nécessaire à la fécondation, à la manière de l'ovulation réflexe visée plus haut, vraisemblablement accompagnée d'orgasme, le cas le mieux documenté étant celui du Chat (e. g. Holmes, J. E., Egan, K., « Electrical activity of the cat amygdala during sexual behavior », Physiology Behavior, 1973, 10(5) : 863-7), les mutilations génitales n'auraient pas cours. C'est bien parce qu'il est accusé de faire concurrence à l'anatomie masculine et à sa prépotence - qu'il est inapproprié dans une logique patriarcale - que le clitoris, embryologiquement équivalent du membre mâle, est intentionnellement et expressément mutilé.

Affranchie de l'accouplement, la cyclicité de l'ovulation peut-elle avoir eu des conséquences sur l'évolution de la configuration génitale femelle - et être en mesure d'expliquer, à la manière de la psychanalyste Marie Bonaparte, l'anorgasmie féminine ? Dans un article signé d'un pseudonyme, elle explique, en 1924, que la (trop) grande distance entre le clitoris et l'orifice vaginal est cause de frigidité (A. E. Narjani, « Considérations sur les causes anatomiques de la frigidité chez la femme », Bruxelles-Médical, 1924, p. 768-778). Souffrant de ce trouble (qu'elle caractérisera comme une « psychologie d'avaleur de sabre » : j'avale les sabres, mais je ne sens rien… - « Note sur l'excision », Revue Française de Psychanalyse, vol. 12, n° 2, 1948, p. 225), Marie Bonaparte se fera opérer, à trois reprises, pour remédier à cette dissociation de la fonction reproductive. Sans succès. C'était ignorer, à l'école de Freud, et alors que les travaux de Georg Ludwig Kobelt, publiés en 1844, l'avait parfaitement illustrée, la structure profonde de l'« organe de la volupté » chez la femme.

Dans un article de cinq pages, sobrement intitulé « Anatomical relationship between urethra and clitoris », (The Journal of Urology, vol. 159, p. 1892-1897, June 1998), Helen O'Connell, du Royal Melbourne Hospital, « suggère » de reconsidérer les descriptions anatomiques courantes du système génital féminin. Ses conclusions seront rapidement diffusées dans le public. Le site BBC News du 29 juillet 1998 rapporte ainsi :

Ms O'Connell has done detailed dissections of female corpses and discovered the length of the clitoris, whose external tip or glans is connected to a mass of erectile tissue inside the woman, was twice as large as was depicted in most anatomy books and 10 times bigger than the average person thought. She also found that the dorsal nerves which carry sensory messages from the organ were bigger than previously thought.

Et le numéro du 1er août 1998 de New Scientist commente, sous le titre « The truth about women » :

Penis envy may be a thing of the past. The clitoris, it turns out, is no « little hill » as its derivation from the Greek kleitoris implies [kleitorizein signifiant « titiller» et kleitoris, « monticule », les Grecs faisaient probablement un jeu de mots licencieux, tel qu'en français « frotte » rime avec « motte »]. Instead, it extends deep into the body, with a total size at least twice as large as most anatomy texts show, and tens of times larger than the average person realises, according to new studies by Helen O'Connell, a urology surgeon at the Royal Melbourne Hospital in Melbourne.

En effet, ce que les manuels d'anatomie (qui arment la main des chirurgiens - un objet de la recherche en cause étant de préserver l'anatomie de la femme au cours d'éventuelles opérations chirurgicales) et le savoir commun désigne comme « clitoris » se révèle, sous le scalpel du Dr O'Connell, la partie apparente d'une structure dont la lilliputian reputation (selon l'expression de la journalitste de New Scientist) tient à l'ignorance de sa structure profonde. De par sa fonction et ses proportions, le clitoris est bien une manière d'équivalent (cryptique) du pénis. Et l'« envie du pénis », en effet, antienne de la psychologie freudienne, n'aurait pas de raison d'être pour qui en possède en propre : une structure érectile dont les composants sont analogues, en volume et en office, au corps spongieux de la verge et qui, œuvrant comme un organe associé au vagin et à l'urèthre, est aussi « indépendant ».

Dans un environnement scientifique et idéologique où l'anatomie périnéale féminine est décrite en termes de différence avec l'anatomie masculine (le clitoris est ainsi dit différent du pénis parce que l'urèthre « ne le traverse pas » : Cunningham's Textbook of Anatomy, 12th ed. Oxford : Oxford University Press, 1981 ; « Par beaucoup de ses détails, le clitoris est une version en petit du pénis, mais il en diffère fondamentalement par le fait d'être entièrement séparé de l'urèthre » : Gray's Anatomy, 38th ed. New York : Churchill Livingstone, 1995), le premier objet de la recherche de l'équipe d'O'Connell était « de déterminer la configuration des nerfs caverneux pour savoir s'ils étaient analogues à l'anatomie masculine » (p. 1892). Le premier matériel de dissection a été prélevé sur le cadavre de petites filles décédées de mort subite (des recherches comparables ayant été faites sur le cadavre de garçons) et la recherche a été étendue, à fin de comparaison, au cadavre d'adultes. Le but de la dissection était de mettre en évidence le tissu érectile dans la configuration concernée, ce qui s'est avéré plus facile chez les specimens jeunes où celui-ci est plus volumineux et bien défini.

Le complexe de tissu érectile révélé (le clitoris) consiste ainsi : - en un corps central pair, situé au sommet des petites lèvres, de un à deux centimètres de large et de deux à quatre centimètres de long, qui se prolonge - en deux bras symétriques, de cinq à neuf centimètres de long, plus étroits, et - en deux bulbes, également symétriques, de trois à sept centimètres de long. (Quand la littérature scientifique fait mention des bulbes, leur relation avec les autres tissus caverneux n'est pas mentionnée.) La partie visible de l'organe s'avère ainsi être la réunion de deux paires de faisceaux érectiles qui encadrent le vagin et l'urèthre. De fait, le nerf dorsal du clitoris est particulièrement dense, visible à l'œil nu, d'une largeur supérieure à deux millimètres. Dans les années 1840, Georg Ludwig Kobelt, un auteur dont O'Connell présente les « superbes » observations et les dessins des « organes de la volupté », dans un article postérieur, publié en 2005 (« Anatomy of the Clitoris », The Journal of Urology, november 2005, vol. 174(4 Pt 1), p. 1189-1195) avait noté, à propos des nerfs du gland du clitoris : qu'« avant même leur [insertion dans le gland], ils sont si épais qu'on a peine à imaginer comment une telle masse nerveuse peut trouver place au milieu des innombrables vaisseaux sanguins de cette minuscule structure » (Die männlichen und weibleichen Wollustorgane des Menschen und einiger Säugethiere, Freiburg, 1844, p. 39, cité par O'Connell). Kobelt est en réalité le précurseur méconnu de la découverte en cause. Il relève: « On regarde encore le gland du clitoris comme un petit corps rudimentaire presque sans aucune importance. Sa structure intérieure, ses rapports, son union avec les autres parties de l'appareil du sens génital chez la femme, la source de sa turgescence, n'ont été que très-imparfaitement, ou même pas du tout étudiés au point de vue anatomique » (1844, p. 38). O'Connell rend également justice au Traité d'anatomie humaine de P. Poirier et A. Charpy (2° ed. Paris : Masson, 1901), dont les descriptions sont « excellentes » (elles héritent probablement de Kobelt, qui a été traduit en français en 1851 : De l'Appareil du sens génital des deux sexes dans l'espèce humaine et dans quelques mammifères, au point de vue anatomique et physiologique, par le Dr Kobelt, traduit de l'allemand par H. Kaula, Strasbourg : Berger-Levrault). Il est significatif que, si l'on excepte également Human sex anatomy, de R. L. Dickinson (New York : Robert E. Krieger, 1949), les ouvrages destinés aux étudiants en médecine méconnaissent le plus souvent cette partie essentielle de l'anatomie génitale féminine.


Georg Ludwig Kobelt
Die männlichen und weibleichen Wollustorgane des Menschen und einiger Säugethiere, Freiburg, 1844, Tafel III.
(Die menschliche clitoris vergrössert.)
a. Corpus clitoridis ; b. Knie desselben ; c. glans clitoridis ; d. vena dorsalis clitoridis ; e. e.
feinste Wurzeln derselben aus der glans clitoridis ; f. aus der Tiefe kommende Wurzeln der vena dorsalis ; g. dieselben von der andern Seite; h. arteria dorsalis penis, abgeschnitten ; i. i. i. nervi dorsales ; k. k. pars intermedia ;
l. l. deren Uebergang ins Innere der glans clitoridis ;
m. m. aufsteigende Communicationsvenen zwischen der pars intermedia und dem corpus clitoridis; n.n. n. seitliche Aeste der vena dorsalis von den Windungen der pars intermedia kommend ; o. o. die der anderen Seite ; p. p. Venen, die aus den grossen Schaamlippen kommen ; q. q. Arterien, welche die Venen der pars intermedia und die Communicationsvenen umranken ; r. Venen des frenulum clitoridis ; s. frenulum.

Kobelt met l'accent, non sur la différence, mais sur la symétrie des deux sexes. « La physiologie ne s'est pas encore prononcée positivement sur cette question, à savoir quelles parties spéciales des organes sexuels se rattache, dans les deux sexes, la sensation voluptueuse ; elle n'a pas encore expliqué, comment ces diverses portions de l'appareil du sens génital concourent à une action simultanée pour produire l'excitation vénérienne dans l'individu même et dans le sexe opposé ; elle n'a pas encore démontré les rapports d'analogie que ces organes présentent dans les deux sexes, la concordance d'action, dont ils sont le siège, la succession des phénomènes qu'ils éprouvent, afin d'arriver au but de la nature, à la copulation, et par là à la conservation des espèces « (Préface de l'auteur)
.
« Le forme du gland du clitoris, relève Kobelt, prolongeant une observation de Cuvier, concorde entièrement avec la forme du gland du pénis […] Cette analogie est surtout frappante chez les mammifères, où le gland présente chez le mâle des particularités bien marquées. Ainsi le gland de la jument présente non seulement la même forme extérieure que le gland du cheval, avec ses deux tubercules et le renflement de la couronne, mais encore, comme chez l'étalon, on trouve un prolongement saillant du gland sur le dos du corps du clitoris, et une cavité en forme de cloche à l'intérieur du gland. Chez la chienne, le gland du clitoris est même pourvu des bourrelets caractéristiques qu'on voit chez le mâle. Chez la truie, cet organe est allongé, mince et effilé, contourné en spirale tout comme le gland du verrat »  (op. cit., p. 38).

Le clitoris est donc composé d'une partie non érectile, le gland, et de parties érectiles, le corps du clitoris, les piliers et les bulbes. Vu de face, l'ensemble affecte, , la forme d'une pyramide dont le sommet serait constitué par l'attache du corps du clitoris à la symphyse pubienne et la base par l'assise des éléments en cause dans le plancher pelvien. De profil, O'Connell compare la forme du clitoris à la forme d'un boomerang, le ligament suspenseur maintenant cette position fléchie (genou) et l'empêchant de devenir rectiligne (à la manière du pénis). (Une image commune consiste à comparer l'ensemble de l'organe à un céphalopode à quatre « pieds ».) O'Connell propose donc d'inclure sous le terme « clitoris » l'ensemble des tissus érectiles responsables de l'orgasme féminin, appelant à « mettre un terme aux discussions artificielles » fondées sur l'opposition de deux types d'orgasme, clitoridien contre vaginal.

A ce propos, Kobelt relevait en précurseur : « le petit nombre de nerfs sensitifs qui s'enfoncent isolément dans le conduit vaginal, placent sous ce rapport ce dernier tellement au-dessous du gland du clitoris, qu'on ne peut accorder au vagin aucune participation à la production du sentiment voluptueux dans l'organisme féminin » (Kobelt, 1844, p. 56). Et il concluait sa monographie en prenant un parti assuré dans la querelle associée au savoir du devin Tirésias, qui fut homme et femme tour à tour (Apollodore, Bibliothèque, III, 6, 7) :

Avec ces données anatomiques et physiologiques, si nous essayons de résoudre la question, controversée tant de fois, relativement à la somme de volupté ou d'orgasme qui revient à chacun des sexes dans 1'acte de la copulation, nous trouverons, quant à l'individu féminin, que la dimension considérable de ses bulbes, comparée au volume du gland du clitoris, que leur action immédiate sur cet organe, que la compression énergique qu'ils éprouvent de la part de la verge, et surtout le grand nombre de nerfs concentrés dans un si petit espace (multum in minimo), tout cela joint à la grande sensibilité générale de la femme, sont autant de raisons pour nous faire admettre que la part qui lui revient est la plus considérable (p. 61)
.
La structure paire du clitoris avec ce dédoublement des formations spongieuses, le découvre comme un équivalent du pénis enserrant le conduit vaginal. « L'appareil auxiliaire féminin, écrit Kobelt, est complètement dédoublé et symétrique, de telle sorte que l'organe passif, à partir du gland, se divise en arrière et en bas en deux moitiés égales, pour embrasser le vestibule et l'entrée du vagin » (p. 40) (les bulbes vestibulaires sont en effet analogues au corps spongieux chez l'homme, mais dédoublés de chaque côté de l'orifice vulvaire)..


Ainsi représenté, le clitoris n'est pas sans évoquer le pénis « bifide » obtenu par la subincision pratiquée par les aborigènes australiens… Que le clitoris, ainsi réapproprié, s'apparente à un pénis bifide, c'est aussi ce qu'explique la théorie de la différenciation sexuelle des Sambia de Nouvelle-Guinée (voir supra : Gilbert Herdt, The Guardians of the Flutes, New York : McGraw-Hill, 1981) :
Quand le/la partenaire du premier humain manifesta les premiers signes de conception, son « pénis » se rétracta à l'intérieur de la peau. Alors, le premier homme coupa et ouvrit la peau, créant le vagin, il fendit le reste du pénis à part, de telle sorte que son nez [le gland] se place au sommet formant le clitoris, tandis que le prépuce aussi découpé à part formaient les lèvres du vagin, les testicules étant absorbés par le tissu vaginal (p. 257, note 4).
A partir d'une même configuration embryologique, le processus de différenciation sexuelle, sous influence hormonale, spécialise fonctionnellement l'anatomie. Le clitoris n'est pas un « dard » concurrent du pénis, comme le soutiennent les conceptions qui justifient l'excision, mais un témoin du tractus génital femelle dévolu à la réception des gamètes mâles.


O’Connell, sans valider la revendication des féministes des années 70 qui, rappelle-t-elle, annexaient les bulbes « et même l’urèthre » comme faisant partie du clitoris, met en évidence la relation étroite du clitoris et de l’urèthre. Cette connexion pose la question de l’évolution phylogénétique de la structure uro-génitale chez les mammifères, du cloaque des monotrèmes (mammifères ovipares) à la spécialisation des voies d’échange avec l’extérieur, l’Hyène tachetée (Crocuta crocuta) possédant, elle, par exemple, un clitoris qui incorpore aussi le canal de l’urèthre (c’est également le cas du Loris, Nycticebus coucang, signalé par Daubenton dans les Œuvres complètes de Buffon, suivies de ses continuateurs…, tome V, Les mammifères : Buffon et Daubenton, Bruxelles : Lejeune, 1830, p. 255). Le canal uro-génital de l’Hyène tachetée prend en effet la forme singulière d’un clitoris et c’est par cet orifice qu’elle s’accouple et met bas. Le clitoris ne peut être pénétré que lorsqu’il se retourne et s’invagine. La copulation is a difficult feat, écrit un auteur, et la mise bas « coûteuse » (« Reproduction in the Spotted Hyaena, Crocuta crocuta », L. Harrison Matthews, Philos. Trans. R. Soc. B-Biol. Sci., No. 565 Vol. 230, pp. 1-78 5 July 1939, p. 69). Érigé dans une première phase de la rencontre sexuelle, le clitoris se rétracte et laisse apparaître deux crêtes qui correspondent à l’ouverture uro-génitale. La position ventrale du canal en cause rend l’intromission particulièrement difficile et son étroitesse explique la morbinatalité. (Le faciès sexuel mâle de la femelle adulte, pourvue d’un clitoris de taille égale ou supérieure au pénis du mâle et d’un pseudo-scrotum a pu faire croire à l’hermaphroditisme de l’espèce. Le seul moyen de distinguer mâle et femelle est de tâter le scrotum pour déceler la présence de testicules. C’est le taux élevé d’androgènes qui paraît expliquer cet état de fait : ni l’Hyène rayée, ni l’Hyène brune ne présentent ces caractéristiques qui sont associées à une organisation sociale spécifique à dominante femelle.) Origine embryologique commune, identité anatomique et tissulaire, la nécessaire disparité de conformation entre les organes mâle et femelle, liée à leur fonction gamétophore respective, manifeste aussi leur similitude foncière.

La fin de siècle ressuscite la figure de Lilith : à la différence de celle du mâle, la volupté féminine, indépendante de l'émission de « semence », peut être assimilée à la luxure de la démone, succube stérile dont la condition est d'assécher Adam. Quoi qu'il en soit, alors que la stimulation sexuelle engage la réussite de la conception chez les mammifères à ovulation induite, la dissociation de l'ovulation et de l'orgasme a pour conséquence un effacement fonctionnel du clitoris - que la culture patriarcale a mis à profit pour exercer sa domination. C'est bien en tant qu'agent d'une gratification sexuelle propre, privée, que le clitoris est spécifiquement mutilé, visant à cantonner la femme dans sa fonction d'assignée à dépendance et de reproductrice du lignage de son époux. Si l'intérêt évolutif de l'ovulation cryptique est la multiplication des rapports sexuels et la multiplication des partenaires, dès lors que le processus de la génération est compris et que s'exprime la volonté collective des hommes de contrôler leur progéniture (cette affiliation de générations constituant le cœur de l'organisation politique), le contrôle de la sexualité féminine est planifié. Avec des moyens culturels et chirurgicaux, l'ordre patriarcal « milite » pour un retour phylogénétique à l'ovulation induite.

Malgré la cruelle matérialité de ces mutilations et le caractère avéré de leur intention, cette amputation charnelle paraît pouvoir être neutralisée, aussi incroyable que cela puisse paraître, par la réalité neuro-anatomique. Une enquête conduite dans le sud-ouest du Nigéria, dans les maternités de Benin City et d'Irrrua, en 1998 et 1999 (mettant en œuvre questionnaire et examen clinique, mille huit cents questionnaires étant exploitables), avait pour objet de déterminer les conséquences de l'excision sur la santé des futures mères et de comparer l'activité sexuelle des femmes excisées par rapport aux femmes non excisées (« The association between female genital cutting and correlates of sexual gynaecological morbidity in Edo State, Nigeria », Okonofua, F.E. et alii, An International Journal of Obstetrics and Gynaecology, 2002, 109, p. 1089-1096). La conclusion générale de cette étude est que les mutilations sexuelles sont source de pathologies affectant le système uro-génital et qu'elles ne diminuent pas les sensations sexuelles. Ces pratiques, qui se donnent pour objet de réduire l'activité sexuelle des femmes, sont donc, conclut l'étude, inutiles et dangereuses : « Il n'existe pas de différence significative entre les femmes excisées et les autres […] Ce qui suggère que l'ablation du clitoris et des petites lèvres ne diminue pas l'intensité des sensations pendant les rapports sexuels. S'il fallait noter une différence ce serait que l'excision augmente légèrement le désir des femmes d'engager des relations sexuelles avec leur partenaire régulier » (p. 1094).

Ces observations « mettent sérieusement en question l'importance du clitoris comme un organe qui doit être stimulé pour produire l'orgasme féminin, ainsi qu'il est souvent affirmé dans la littérature sexologique occidentale ». Cette conclusion d'une autre enquête, conduite auprès de femmes infibulées au Soudan pourrait résumer l'enseignement de celle qui vient d'être citée (« The Sexual Experience and Marital Adjustment of Genitally Circumcised and Infibulated Females in the Sudan », Hanny Lightfoot-Klein, The Journal of Sex Research, vol. 26, n° 3, Aug., 1989, p. 375-392, p. 375). En effet, les entretiens conduits par Lightfoot-Klein au Soudan concernant la forme extrême de la mutilation génitale, l'infibulation, révèlent également, qu'en dépit du caractère castrateur de cette pratique : ablation des organes génitaux externes et couture des grandes lèvres ne laissant qu'un orifice pour la miction et l'écoulement des règles, ce qui rend les premiers rapports sexuels et l'accouchement particulièrement douloureux (et parfois impraticables sans intervention chirurgicale), les femmes interrogées font état, en termes non équivoques, d'orgasmes pendant les relations sexuelles :

o I feel as if I am trembling in my belly. It feels like shock going around my body, very sweet and pleasurable. When it finishes, I feel as if I would faint.
o All my body begins to tingle. Then I have a shock to my pelvis and my legs. It gets very tight in my vagina. I have a tremendous feeling of pleasure, and I can not move at all. I seem to be flying far, far up. Then my whole body relaxes and I go completely limp
(1989, p. 387).
o I feel as if I am unconscious and shaking. It is almost unbearably sweet in my whole body, and if my baby fell out of the bed, I could not pick it up (Prisoners of Ritual. An Odyssey Into Female Genital Circumcision in Africa,
Hanny Lightfoot-Klein, New York : Harrington Park Press, 1984, p. 250).
o She has a strong orgasm with him 30% of the time…The strongest sensation is experienced at the contact of his penis with her cervix, and her orgasm, when it occurs, is precipitated by his ejaculation. She has strong vaginal pulsations, and feels as if she were under sedation
(id., p. 255).

Ces témoignages montrent que la mutilation extrême des organes sexuels externes ne bride pas nécessairement, alors que c'est son objet, l'activité sexuelle des victimes. C'était la conclusion de l'enquête conduite à Ifé, citée plus haut. L'orientaliste et explorateur Richard Burton jugeait ainsi les conséquences de la circoncision pharaonique :

The moral effect of female circumcision is peculiar. While it diminishes the heat of passion it increases licentiousness, and breeds a debauchery of mind far worse than bodily unchastity, because accompanied by a peculiar cold cruelty and taste for artificial stimulants to « luxury (R. F. Burton, Love, War and Fancy. Notes on the Arabian Nights, ed K. Walker, London : Rimber, 1954, p.108).

Si ces mutilations n'empêchent pas l'accès à l'orgasme de ses victimes, cela pose la question, formulée par Lightfoot-Klein, du rôle du clitoris dans cet accès. Dans un colloque consacré au sujet, cet auteur se réjouit que the sexual nervous system in women is a great deal more extensive, versatile and resilient that we have often assumed dit to be (Proceedings of the First International Conference on Orgasm, Bombay : VRP Publishers, 1991, p. 128). Ou bien ce sont les parties non atteintes du clitoris (tel que rappelé ci-dessus) qui sont en cause, ou bien d'autres réactions sont en jeu. A ce titre, les témoignages cités par Lightfoot-Klein évoquent des perceptions liées aux contractions utérines en réponse aux stimulations cervicales qui rappelent les effets de l'ocytocine (utilisée à cette fin dans l'insémination animale). Le marché des vibromasseurs confirme empiriquement l’existence de zones de sensibilité spécifiques à cet égard : point A (AFE : anterior fornix erogenous zone), point U, point G… ; il existe en effet des appareils spécialement conformés pour stimuler ces zones.

L'ovulation cyclique et cryptique du primate humain, avec sa dissociation reproductive, ouvre le champ de la culture. Pour le meilleur et pour le pire… La femelle primate (il y a des variantes et des exceptions notoires) ne sollicite ou n'accepte les rapports sexuels qu'en période de fécondité. Exemple extrême chez le galago africain, prosimien nocturne découvert par Michel Adanson au Sénégal (voir sur ce site), dont la femelle ne s'accouple que pendant une période de quelques jours, une membrane épithéliale rendant l'intromission impossible en dehors de cette période. A l'inverse, la disponibilité sexuelle quasi permanente caractérise les mœurs humaines. C'est la remarque, banale, du Mariage de Figaro (II, 21) : « Boire sans soif et faire l'amour en tout temps, madame, il n'y a que ça qui nous distingue des autres bêtes ». La sexualité humaine emprunte une autre voie avec ce caractère non visible de l'ovulation. Si l'ostentation de l'ovulation a pour effet de limiter les rapports sexuels à la reproduction, à l'utile, à l'inverse, son caractère imperceptible autorise, gratification de l'accouplement à la clé, détournée de son objet premier, une activité sexuelle virtuellement permanente. Affranchis de l'assujettissement hormonal, les organes sexuels affectés à la prime copulatoire sont, eux aussi, si l'on peut dire, en mesure de s'émanciper. Mais la société veille, on l'a vu, et l'ordre patriarcal règne… La « circoncision pharaonique », visée plus haut, relève de cette logique policière. Elle révèle aussi, à suivre les expériences rapportées par Lightfoot-Klein, une information importante sur l'orgasme féminin. Dans leur contexte et leur précision - Lightfoot-Klein a interrogé plus de trois cents femmes infibulées - les expériences rapportées au cours de ces entretiens illustrent ce que serait une sexualité humaine où la dissociation reproductive évoquée, au moins sa version féminine, n'existerait pas, la censure masculine s'exerçant socialement et chirurgicalement et la jouissance féminine étant, dans cette hypothèse, associée à l'ovulation.

Rappel :

La morale sexuelle en cause est extrêmement rigoureuse et la culture soudanaise réprouve toute expression du plaisir féminin jusqu'à interdire d'en faire simplement état ou de marquer un quelconque intérêt pour le sexe. Les rôles sexuels assignent à la femme une passivité absolue.

La coutume décrète que la femme doit rester totalement passive pendant l'acte sexuel. Elle doit rester comme un morceau de bois et ne doit participer à l'action en aucune façon. Elle doit adopter cette immobilité affectée, car si elle se montrait sexuellement active, on la considérerait « comme un animal » […] Si une femme a un orgasme, elle le cache, et si elle n'est pas capable de contrôler l'intensité de sa réaction, elle rejette le fait que cela ait quelque rapport avec une extase sexuelle (Lightfoot-Klein, 1989, p. 383).

L'épouse dispose néanmoins de moyens traditionnels pour signifier son souhait de rapports sexuels. Pratiquement toutes les femmes, rapporte l'auteur, utilisent le « rituel de fumigation » à cette fin :

Elle signale son désir et sa réceptivité en imprégnant sa peau de la fumée issue de la combustion de santal, d'encens et de myrrhe. Enveloppée dans une robe qui la recouvre comme une tente, elle s'accroupit, nue, au-dessus du foyer de parfums, afin que sa peau absorbe les huiles volatiles, puis elle se masse avec une grande quantité de graisse pour fixer le parfum sur sa peau (p. 382-383).

L'association de ces deux facteurs : initiative féminine (sous œstrus) et orgasme par stimulation cervicale (voir plusieurs témoignages cités par l'auteur) paraît en effet caractériser la forme archaïque de la jouissance féminine. L'impossible « expérimentation » qui aurait pour objet de savoir en quoi consiste la rétribution féminine du rapport sexuel quand l'organe du plaisir a été retranché, si elle existe, c'est ce que met en œuvre, de fait, cette sexualité qui, neutralisant l'adaptation de l'espèce, dénie ce qui fait le propre de l'homme.

*


Il est manifeste que, comparée à la sténotypie reproductive d'autres mammifères où l'ovulation, provoquée par une poussée d'œtrogènes, s'accompagne d'une émission de composés volatiles qui attirent le mâle et où celui-ci, en stimulant les organes concernés, source de ces composés, provoque un automatisme d'accouplement de la femelle (parfois exprimé par un réflexe de lordose) et l'ouverture du tractus génital (asvini mudra, clignement de la vulve), le protocole humain de la sexualité est autrement élaboré. Une conséquence évidente de l'ovulation cryptique est l'hypersexualisation des formes corporelles - et des esprits. Hypersexualisation, quand la coutume oblige la femme à se dissimuler sous des voiles (à dérober sa chevelure sous des postiches, à teindre les parties visibles de son système pileux) ou quand elle justifie, on l'a rappelé, la mutilation des organes sexuels ; socialisation de la sexualité, quand, à la manière de certains primates, les humains font un usage détourné, ludique, rituel, diplomatique ou comminatoire de la sexualité.

Une mise en perspective rapide des images de la différence des sexes et des valeurs qui lui sont associées dans la tradition occidentale fait apparaître une transformation des représentations, évoluant d'un standard se réclamant de la nature (supposé universel) à un modèle qui exprime un idéal de neutralisation des genres. Sur le socle phylogénétique de la différence des sexes, le spectre des orientations propre à la modernité compose une partition originale qui procède de la révolution scientifique, elle-même produit du matérialisme qui unifie les sexes dans leur fonction économique. Un trait récurrent des sociétés anciennes est la division des fonctions entre les sexes et l'impossible réversibilité des rôles. Cette intangibilité est évidemment ébranlée par l'égalité juridique et économique des sexes propre aux sociétés libérales qui, à la faveur des avancées scientifiques qu'elles sont en mesure de commanditer, instruisent l'égalité… biologique. L'idée triviale qui veut que les principales différences entre homme et femme tiennent à leurs intérêts divergents dans la reproduction (que le couple met face à face deux races dirait Strindberg - citation infra), constitue donc la corde chantante de la recension qui suit, avec sa dénégation libérale.

Après un rappel sommaire de quelques contraintes de l'infrastructure biologique de la différenciation sexuelle et de la reproduction, c'est donc, dans un environnement bien spécifique, celui de la société techno-libérale, un catalogue de stéréotypes touchant la différence des sexes qui sera servi, avec le propos de caractériser la relation nécessaire entre l'axiomatique de la modernité et ses innovations sociétales touchant la différence des sexes. On notera incidemment que, si les sciences ordinaires se construisent contre les évidences de sens commun, il y a une étonnante convenance entre le savoir vulgaire et le savoir académique de la différence des sexes. La connaissance du premier genre, selon Spinoza, celle qui met le soleil à deux cents pieds, est ainsi utile mais trompeuse et il faut élaborer un modèle théorique rigoureux, mathématique ou formel, pour accéder au vrai, à la description du comment : Hypotheses non fingo, prononce Newton. A l'inverse, les amateurs de stéréotypes et les savants paraissent disserter d'une même voix sur les causes finales. Les observations courantes et les croyances les plus éculées deviennent ainsi des « lois ». Vérité commune et partage de nécessité, cette psychologie ordinaire qui soulage la conscience et excuse la « bêtise », ouvre un espace de liberté à la faveur de l'inévitable drôlerie suscitée par le spectacle de sa propre prison de nécessité.


Pariades…

« Mais c'est une haine raciale ! Et s'il est vrai que nous descendons du singe,
il faut au moins qu'il y ait eu deux races de singes. Nous nous ressemblons si peu ! »
(August Strinberg, Père, 1887).


La rencontre de ces deux « races » que tout oppose requiert une dialectique signalétique susceptible de mettre en phase des intérêts divergents. Une preuve de cette divergence tient dans le fait que ce qui rapproche les deux sexes tire matière de l'endocrinologie qui distingue leur destin respectif. L'hormone éponyme de la naissance, l'ocytocine (ôkutókos : naissance rapide), est impliquée tant dans les actions de maternage que dans l'activité sexuelle, l'allaitement pouvant d'ailleurs déclencher des réponses de type érotique. Cette amphimixie, ou confusion, des processus de reproduction renvoie les partenaires à cette anisogamie qui résume leur fonction. Dans une recension qui comporte 192 références, C. Sue Carter (« Oxytocin and Sexual Behavior », Neuroscience and Biobehavioral Reviews, vol. 16, p. 133-144, 1992) relève que si la présence de cette hormone est attestée chez les deux sexes dans différentes espèces et si les effets induits peuvent être identiques, ils se révèlent aussi contrastés. Cette hormone, aujourd'hui baptisée l'hormone du lien (mais aussi communément engagée dans l'administration des fonctions végétatives) montre l'inféodation de la mère à son fruit et la dépendance de la relation humaine à la reproduction. Le futur hypothèque le présent. L'intérêt évolutif prime l'intérêt individuel et l'orgasme féminin, corrélé à un pic d'ocytocine qui provoque la contraction des muscles lisses de l'utérus, a probablement une valence maternelle. Un certain nombre d'observations gynécologiques permettent de former l'hypothèse d'un continuum neurologique entre conception et parturition. (Pour une recension ethnographique : Margaret Mead and Niles R. Newton, « Cultural Patterning of Perinatal Behavior » in Childbearing : Its Social and Psychological Aspects, ed. S. A. Richardson and A. F. Guttmacher, Baltimore : William and Wilkins, 1967, p. 142-244).

Une propriété de la reproduction, précédemment mentionnée à propos du dispositif naturel d'évitement de l'inceste, rappelle l'empire des contraintes évolutives sur les choix individuels. Redistribuant le stock génétique de l'espèce à chaque génération, la reproduction sexuée peut être comprise, en effet, comme une procédure qui neutralise la capacité d'adaptation des agents pathogènes. C'est ce que suggère le polymorphisme caractéristique des gènes d'histocompatibilité en réponse à la labilité de ces agents. La sexualité entre proches, la reproduction du même, revient à rendre les armes. De fait, l'identification génétique se révèle être un préalable du choix sexuel. Le modèle murin cité en référence ne peut évidemment être appliqué sans nuance à l'humain, même si la dialectique centrifuge-centripète peut s'y observer.

En fonction de leur écologie, les cultures composent avec cette contrainte. Les Indiens d'Amérique du sud, comme on l'a vu avec l'exemple Tupinamba, chasseurs-collecteurs qui pratiquent une horticulture itinérante, essentiellement féminine, « adoptent » un mari étranger pour la fille à marier et celui-ci est comme un « esclave » chez ses beaux-parents (qu'il pourvoit en gibier) jusqu'à ce que son épouse lui ait engendré une fille qui le libère de cette servitude. L'uxorilocalité satisfait ici à la nécessité d'épouser à distance et de mettre au monde chez soi, d'associer sécurité physique et sécurité alimentaire. Ce contrôle des filles et des sœurs permet à l'oncle maternel de la fille qui vient de naître de se pourvoir en (future) épouse (qu'il adopte à son tour), proximité justifiée, cette fois, vraisemblablement, par la paucité démographique de ces groupes humains itinérants.

En Afrique subsaharienne, en situation de sédentarité, quand la terre est commune et la houe maniée par les femmes (les hommes assurant le défrichage d'une agriculture extensive) et alors que le bétail est utilisé par le patrilignage dans les tractations matrimoniales, c'est généralement l'épouse qui se déplace et qui vient s'installer dans le village du mari : elle constitue, en même temps que le moyen de multiplication de la lignée, la main-d'œuvre d'une agriculture extensive. En Eurasie, où la terre est appropriée et où la culture, attelée, est assurée par les « déshérités » (ceux qui sont exclus de la propriété), la future épouse quitte sa maison familiale pour une vie de réclusion dans un nouveau foyer.

La typologie immunogénétique a été récemment sollicitée par une agence matrimoniale dans une procédure rapportée avec un brin d'ironie et d'incrédulité dans Time du 30 Janvier 2012 (Can Your Smelly Shirt Land You a Better First Date ?) qui consiste à choisir son partenaire comme le font les souris, les protéines issues des signaux moléculaires de la chimie corporelle (excrétés dans la sueur et les urines) étant des indicateurs de la proximité génétique (Potts, W. K., Manning, C. J., Wakeland, E. K., 1991, « Mating patterns in seminatural populations of mice influenced by MHC genotype », Nature, 352, 619-621 ; Penn, D. J. & Potts, W. K., 1999, « The evolution of mating preferences and major histocompatibility complex genes », American Naturalist, 153, 145-164). A l'appui de cette entreprise, peut-être, l'origine présumée de la passion d'Henri III pour Marie de Clèves :

C'était en 1572, dit un chroniqueur du temps, lors de la célébration au Louvre des fêtes du double mariage du roi de Navarre avec Marguerite de Valois et du prince de Condé avec Marie deClèves. On dansa beaucoup ; incommodée par la chaleur, la « belle Marie », comme on l'appelait couramment à la Cour, passa dans une chambre où une des femmes de la reine-mère lui fit changer de chemise. A peine était-elle revenue au bal que le duc d'Anjou, plus tard Henri III, entra dans la même chambre pour donner aussi quelques soins à sa toilette. Par mégarde, il s'essuya le visage avec la chemise que Marie de Clèves venait de quitter et dès lors il fut pris pour la princesse de la violente passion qui a laissé trace dans l'histoire amoureuse (L'Impartial du 23 août 1922).

La grande affaire est donc cette inégalité des statuts entre l'homme et la femme, inégalité qui tire son origine du partage des fonctions dans la reproduction et qui apparente celle-ci à une errance surveillée. L'investissement maternel commence avec la puberté lorsque les réserves de graisse de la fille s'accumulent sur les fesses, le haut des cuisses et la ceinture abdominale. Quand la jeune fille a ainsi engrangé suffisamment de réserves pour administrer grossesse et lactation, les adipocytes (cellules du tissu adipeux spécialisées dans le stockage) secrètent une hormone, la leptine, l'hormone de la satiété, qui déclenche, à partir de l'hypothalamus, les modifications endocrines de la puberté, provoquant le développement des hanches et des seins, la poussée des poils pubiens… Elle est fertile. Idéalement, la signalétique féminine correspondrait donc aux standards de la Vénus de Lespugue. L'homme a de tout temps trimé et trimarder pour assurer sa subsistance. Sa version sédentaire fait naturellement de l'accumulation un idéal immodérément valorisé.

L'engraissement des femmes est une manière de conjurer la pénurie. On dit par exemple chez les Maures que « l'épouse occupe dans le cœur de son mari l'espace qu'elle occupe dans son lit ». Dans un contexte de disette et de rareté, l'obésité de la femme maure, ainsi que son inactivité, montrent la richesse de la lignée à laquelle elle appartient - dont les tributaires fournissent le lait qui sert à la gaver et dont les esclaves assurent l'entretien. Ce traitement commence dès l'enfance. « Au bout d'une année, si tout va bien, la plus gracieuse petite fille est métamorphosée en une espèce de magot somnolent, tellement gonflée de graisse que la peau brune, distendue, est toute striée de gerçures rosâtres. Elle est devenue une jeune fille à marier » (Odette du Puigaudeau, Arts et coutumes des Maures, Paris : Ibis Presse, 2002, p. 218). Avec son « boubou de vergetures », ces stries qui trahissent la déchirure du derme profond, entre l'épiderme et l'hypoderme, au corps en effet « couvert de fines raies jusqu'aux avant-bras » (Aline Tauzin, Figures du féminin dans la société maure, Paris : Karthala, 2001, p. 104), et son ventre « aux trois plis », elle est conforme aux canons de la féminité.


« Le gavage débute quand la fillette a perdu ses premières dents, « autour de sa sixième année. Dès lors, elle passe ses nuits « penchée sur la calebasse », une grande écuelle faite d'un bois épais et d'une contenance de quinze litres environ, que l'on remplit de lait. En période de lactation des chamelles ou des vaches, l'enfant est souvent confiée à des dépendants, gardiens de troupeaux, moyennant compensation. La charge qui leur incombe s'inscrit dans l'ensemble des obligations qui les lie au groupe dominant. Durant les autres saisons, le gavage se poursuit au sein de la famille et s'effectue sous la surveillance, non pas de sa mère, mais d'une esclave dont on dit qu'elle ne se laissera pas submerger par la pitié, et qu'elle saura la frapper autant qu'il le faudra. Il a lieu la nuit, donc, après que les animaux soient revenus du pâturage. Souvent, la fillette s'endort sur une calebasse encore pleine. On la réveille alors en la pinçant ou en la frappant. Si elle continue de manifester son refus, on a recours à des moyens plus contraignants […] Elle peut également être forcée de boire de nouveau le lait qu'elle aurait rejeté. La nuit est entrecoupée de repos, de marches autour de la tente, indispensables au bon déroulement de la cure […] Enfin, la fillette absorbe régulièrement une boisson destinée à la fois à « élargir » son estomac et à la purger […] Elle est également massée avec du lait caillé, dont on pense qu'en pénétrant dans le corps, il favorisera son embonpoint » (Tauzin, op. cit., p. 97-98).


Dans les sociétés modernes, les transformations des modes de vie et des pratiques alimentaires ont naturellement des conséquences sur l'évolution de la féminité. Le passage d'une alimentation de subsistance, fruit d'une activité physique régulière, riche en fibres et pauvre en graisses, à une alimentation riche en glucides et en graisses animales, associé à une sédentarité inédite, multiplie l'incidence d'obésité, maladie de la pauvreté dans les pays occidentaux (paradoxalement, mais conformément au gradient social de santé). On parle aujourd'hui communément de global pandemic of physical inactivity (e. g. : The Lancet, vol. 388, n° 10043, 30 juillet 2016 : « Update on the global pandemic of physical inactivity ») comme d'une maladie de la modernité. Le diabète « gras » (type II), affection de la pléthore et de l'inactivité, est caractérisé par une hyperglycémie chronique pouvant créer des atteintes graves à l'organisme. Le stock de graisse dont dispose la jeune fille moderne peut ainsi devenir un déclencheur intempestif de fécondité.

Chez les grands singes, la conception paraît corrélée aux ressources alimentaires et sociales dont la future mère peut disposer pour mettre bas une progéniture viable. Une femelle de chimpanzé, réglée à huit ans et sexuellement active, ne donnera pas naissance à un petit avant l'âge de quatorze. Depuis la transition néolithique, l'espèce humaine a produit des conditions environnementales avançant l'âge de la nubilité, conditions qui culminent aujourd'hui dans l'abondance pernicieuse d'une alimentation saturée de graisses et de sucre. Ces conséquences alimentaires touchent aussi l'espacement des naissances. La stimulation fréquente des seins provoque des réponses hormonales, l'intensité de la tétée permettant au nourrisson de maintenir un taux élevé de prolactine de sa mère et, si l'on peut dire, de retarder la venue d'un concurrent qui précipiterait son sevrage et le mettrait à la diète, assurant un espacement des naissances qui autorise son développement optimal. Un tel dispositif permet aux chasseurs-collecteurs de s'adapter aux contraintes de leur mode de subsistance.


Ustensiles de nursery trouvés à proximité de squelettes de jumeaux à Jebel Moya.


En situation de sédentarité, la production alimentaire et les conditions de vie changent sensiblement. La maîtrise de la domestication animale et de la poterie est à l'origine d'une révolution alimentaire. A 250 km au sud de Khartoum, entre le Nil Bleu et le Nil Blanc, le site préhistorique de Jebel Moya, dont l'occupation est datée de 1000 à 400 avant notre ère et qui révèle un mode de vie néolithique n'ayant pas été affecté par la civilisation pharaonique, comporte une tombe qui renferme les ossements de jumeaux et un dépôt, derrière les ossements des enfants, d'un équipement de nursery composé de deux élégants récipients dotés d'un bec d'alimentation et d'un bol. Une tombe d'enfant de Tours-sur-Marne de la fin du néolithique, datée de 2000-1500 avant notre ère, contient un article quasi identique, plus grossièrement façonné (A. D. Lacaille, « Infant Feeding-Bottles in Prehistoric Times », Proceedings of the Royal Society of Medecine, January 1950). (voir : Breasts, Bottles and Babies, Valerie Fildes, Edimburg : Edimburg University Press, 1986).

Comme il a été rappelé, l'anisogamie scelle le destin respectif des genres dans une même inféodation aux contraintes de l'évolution. Dans le fleuve du vivant, le destin féminin est de conduire l'enfantement à terme. De la production cyclique de ses gamètes à l'aventure de la mise au monde et de l'entretien d'un enfant qui a investi son corps pendant neuf mois, la femme apparaît inéquitablement au service de l'espèce (si l'homme peut participer aux soins, il ne partage ni l'incubation - sauf couvade rituelle -ni l'allaitement). Cette « servitude » engage évidemment, à divers titres, les partenaires de cette aventure. Des indices en eux-mêmes peu significatifs, mais convergents (infra), paraissent valider l'existence de vestiges de l'œstrus dans l'espèce humaine, susceptibles d'enclencher des interactions sexuelles (il y a un intérêt évolutif à ce que les rapports sexuels aient lieu pendant la période de fertilité de la femme). Ces données s'ajoutent aux observations sur la capacité féminine à « reconnaître » la proximité en fonction de l'histocompatibilité, illustrant la signification évolutive de l'« exogamie » (à rapprocher de la croyance populaire qui assimile le cycle menstruel au cycle de la lune : la femme est fertile au milieu de son cycle, telle la lune au milieu de son cours ; c'est la « pleine lune » féminine).


On peut citer à ce titre :
- L'évolution cyclique de la pigmentation cutanée en relation avec l'ovulation, particulièrement de la poitrine et de la zone péri-oculaire (Vargas-Guadarrama, L., 1971, Pigmentation cutanée et cycle menstruel, Paris, Université Paris VII, Thèse de doctorat ; Bobst C., Lobmaier J. S., « Men's preference for the ovulating female is triggered by subtle face shape differences », Hormones and Behavior, septembre 2012, 62(4):413-7) ; phénomène qui serait en mesure d'expliquer pourquoi, au sein de chaque groupe humain, il existe une préférence pour les femmes à la peau plus claire, préférence qui extrapole un indice de fécondité, production de mélanine et ovulation étant sous contrôle de l'hypophyse (van den Berghe, P. L. and P. Frost, « Skin color preference, sexual dimorphism, and sexual selection : A case of gene-culture co-evolution ? » Ethnic and Racial Studies (1986), 9(1), 87-113) ;
- L'évolution du comportement sexuel et des préférences féminines au cours du cycle (C M. Worthman, Psychoendocrine Study of Human Behavior. Some Interactions of Steroid Hormones With Affect and Behavior in the !Kung San, Ph. D., Harvard University, Cambridge, 1978 ; Matteo S., Emilie F. Rissmman, « Increase sexual activity during the mid cyle portion of the human mesntrual cycle », Hormones and Behavior, 18, 1984, p. 249-255 ; Gangestad SW, Simpson JA, Cousins AJ, Garver-Apgar C.E., Christensen P.N., « Women's preferences for male behavioral displays change across the menstrual cycle », Psychological Science, mars 2004, 15(3):203-7) ;
- La réaction hormonale masculine à l'exposition d'hypothétiques phéromones émises au moment de l'ovulation par une élévation de testostérone (Miller SL., Maner J. K., « Scent of a woman : men's testosterone responses to olfactory ovulation cues », Psychological Science, Février 2010, 21(2):276-83) ;
- Les réactions comportementales masculines subséquentes (Miller S.L, Maner J.K., « Ovulation as a male mating prime: subtle signs of women's fertility influence men's mating cognition and behavior », Journal of Personality and social Psychology, février 2011, 100(2):295-308 ; Miller G., Tybur J. M., Jordan B. D. « Ovulatory cycle effects on tip earnings by lap dancers : economic evidence for human estrus ? » Evolution and Human Behavior, vol. 28(6), nov. 2007, p. 375-381).
- à ce titre encore, le phénomène qui expliquerait, au sein de chaque groupe humain, une préférence pour les femmes à la peau claire, celle-ci révélant
L'indice de la peau claire : van den Berghe « Skin color preference… » 1986.


On voit avec ces quelques données : anisogamie, exogamie et ses variantes, leptine et révolution néolithique, régulation des naissances et ovulation cryptique… que le challenge de la culture est de mettre en harmonie les contraintes biologiques, écologiques et économiques de l'environnement. En contraste avec les différentes stratégies sociales évoquées ci-dessus, la familiarité des représentations qui nourrissent les pages qui suivent dessine en creux un environnement où le statut de la femme est juridiquement équivalent à celui de l'homme - c'est cela aussi le « choc des civilisations ». On prendra pour amorce à ce recueil de stéréotypes (littérature, presse, attention flottante à l'environnement) un article paru dans le Monde du 23 septembre 2016 intitulé : « L'Allemagne donne des leçons de séduction aux réfugiés ».
A Essen, le coach Horst Wenzel enseigne l'art du flirt aux migrants. Cette initiative locale répond à une volonté d'éduquer les nouveaux venus à la « sexualité germanique ».
L'organisateur : Horst Wenzel, présenté comme « un des plus célèbres coachs en matière de flirt ». Au programme : « A partir d'exemples de tous les jours, montrer comment les hommes et les femmes entrent en contact et apprennent à mieux se connaître en Allemagne. » Public visé : pas tout le monde. Sur ce point, le flyer est clair : en haut, il est bien précisé qu'il s'agit d'un « cours de flirt pour les réfugiés ».
Le « cours » a bien eu lieu. Il y avait là des Irakiens, des Syriens, des Libanais… Agés de moins de 20 ans pour la plupart. Une journaliste du quotidien Die Welt était également présente. Elle raconte la séance d'introduction un peu abstraite, où il fut question de « pyramide des besoins » et de « niveaux de communication ».
Le coach en flirt « s'intéresse au langage du corps […] il y a des signes qui sont les mêmes dans le monde entier, et qu'on comprend dans toutes les cultures. »
Ce « cours de flirt » n'est pas le premier du genre. Il s'agit d'une initiative locale originale qui s'inscrit dans un mouvement plus général. En Allemagne, l'équivalent du Planning familial pilote ou parraine depuis déjà plusieurs années des programmes très sérieux d'éducation sexuelle à destination des immigrés.
Fin février, le gouvernement allemand a ouvert à son tour un portail Internet baptisé « Mon corps en mots et en images », et qui vise prioritairement les réfugiés arrivés en nombre outre-Rhin au cours des mois précédents.
Le site a été lancé après les viols de la nuit de la Saint-Sylvestre, à Cologne, mais l'initiative était antérieure. En treize langues, dont l'arabe, le turc ou le farsi, on y trouve des informations d'ordre juridique mais aussi très pratiques sur l'hygiène du corps, la grossesse et la sexualité, dessins très explicites à l'appui […]

Liaisons…


He is only an animal, only sensible in the duller parts.
(« Ce n’est qu’un animal ; il n'est sensible qu'en ses parties grossières. ») 
(William Shakespeare, Peines d'amour perdues IV, 2, 1595)

O amor é que é essencial.
O sexo é só um acidente.
Pode ser igual
Ou diferente.
O homem não é um animal:
É uma carne inteligente,
Embora às vezes doente.

(« C’est l’amour qui est essentiel.
Le sexe n’est qu’un accident.
C’est peut-être pareil
Ou différent.
L’homme n’est pas un animal :
C’est une chair intelligente
Encore que malade parfois. »)
(Fernando Pessoa, 5 abril 1935, Poesias Inéditas, 1930-1935)


Pour entrer en communication, il faut émettre les bons signaux, « mettre les formes ». Dans l’Ars amatoria, la gouaille populaire (mâle) reconnaît le déploiement d’un « bagage technique », inné ou appris, que possèdent ceux qui « savent y faire ». Mais que signifie « mettre les formes » ?


Il va de soi que cet « art » signe d’abord l’appartenance de l’homme à son espèce (et l’appartenance de son espèce à la classe des mammifères placentaires, vertébrés à sang chaud nourris à la mamelle – d’où leur nom : « Why mammals are called mammals : gender politics in eighteenth-century natural history », Schiebinger L., American Historical Review 1993, 98 : 382-411) assignant les rôles respectifs des sexes dans la reproduction. Assignation redoublée par la culture quand l’anisogamie et le dimorphisme sexuel justifient minoration religieuse, culturelle ou économique de la femme – cette inégalité produite par la culture étant à son tour prétexte à sujétion sexuelle…                
Dans la série des primates, les caractères de l’espèce humaine : agressivité masculine, attraction féminine (« prédation » masculine, par antiphrase : « galanterie » et « séduction » féminine, par antiphrase : « coquetterie ») renvoient à une organisation de type polygyne. Les clichés signalétiques et comportementaux (et leurs dérives) se comprennent en fonction de cet hypothétique héritage.                  
L’industrie du cinéma, où les acteurs vedettes sont recrutés sur leur physique, concentre idéalement ces stéréotypes. Voici une illustration par l’absurde (involontaire) de cet étalage primaire des caractères sexuels secondaires des mammaliens que nous sommes. Lors de la célèbre montée des marches du festival de Cannes, où la haute couture flirte asymptotiquement avec l’exhibition de la nudité féminine, la presse people rapporte qu’en mai 2018 une journaliste à l’ego non sujet à la ptôse des signes s’est affichée en robe Léonard avec un décolleté « XXL » plongeant sur des seins… « outrageusement » tombants. Au milieu de cette exhibition dévolue à une sexualité défiant le temps et la gravitation, la forme du sein étant un indice de l’âge aussi sûr que la configuration des dents du cheval, ce prolapsus incongru devait déclencher une controverse (assumer ou censurer ?) sur les « réseaux sociaux » (« La robe vous mémérise » ; « C’est surtout qu’il aurait fallu mettre un bon soutien-gorge, car là c’est la dégringolade ! »)



La fonction générique des pariades est de test et de mise en phase. La synchronisation est nécessaire à l'estime (à l'estimation) réciproque. Le fait premier est évidemment la fermeture naturelle du quant à soi et les aléas d’une proxémie contrainte. Exemple banal, coache Le Figaro du 23 septembre 2016 : qui énonce « 6 règles pour (enfin) réussir une conversation d'ascenseur ». Un protocole ou cérémonial, fait de l'ostentation des signes opportuns, est donc nécessaire à la rencontre (cela suppose, alors que la flexibilité humaine mais aussi la circonspection en ces matières sont la règle, qu’il existe néanmoins une sorte de nécessité communicative telle qu’on ne pourrait échapper à qui mène la communication). « Mettre les formes », c'est en effet se soumettre aux contraintes de l’échange pour en diriger le cours. Si l'on prend le côté masculin de la manœuvre, mais il est évident que l'initiative peut être féminine et la séduction inversée – c'est d'ailleurs la femme qui est banalement dite « séduisante », bien que son corrupteur soit censé être le « séducteur » – les rubriques de la pariade, au moins dans la littérature et dans les brèves de comptoir, sont celles d'une « chasse » (supposée intelligente, cybernétique, soit soumise à « l’art de rendre l’action efficace »).

Formes significatives : stimuli et stéréotypes...

"On l'ouvrit tout entière, et jamais fille ne fut plus fille."
Jean Racine,
Lettres d'Uzès, du 30 mai 1662, lettre XXV à M. Vitart (relatant une autopsie après un suicide à l'arsenic)

"Oh! patron, quelle fête elle promet cette croupe : telle qu'on n'en jouit que tous les quatre ans !"
(litt. un "cul pentétéride", cf. une fête pentétéride) Aristophane (Paix : 875)

Si le sexe féminin est généralement censuré, ses entours – qui ciblent l'intérêt – sont mis en valeur. Dans la société traditionnelle, l'exhibition du sexe a valeur apotropaïque ou maléfique. C'est peut-être dans cette idée que Murasaki Shikibu écrit dans son journal, à propos d'une suivante de la Cour qui avait été dépouillée de ses vêtements, que l'"horreur d'un corps nu est inoubliable". Il existe des "quartiers réservés" à ce dévoilement.

Une étude d’imagerie cérébrale faisant appel à la résonance magnétique illustre la lettre des qualificatifs d’attraction et de répulsion du « beau » et du « laid » : quand la « beauté » active le cerveau limbique et le cortex préfrontal, la « laideur » active le cortex moteur, à l’instar d’une « préparation à l’action » (« Neural correlates of beauty », Kawabata H., Zeki S., Journal of Neurophysiology 2004 Apr. 91(4):1699-705 ; « The Science of Art : A Neurological Theory of Aesthetic Experience », V.S. Ramachandran and William Hirstein, Journal of Consciousness Studies 1999, 6(6-7):15-51). Alors que deux individus voulaient la violer, Sainte Lia implora la Vierge. Celle-ci, qui connaît l’espèce, lui fit immédiatement pousser une barbe qui mit ses agresseurs en fuite. C'est avec cet artifice intempestif et dissuasif que Sainte Lia est représentée. L'épilation féminine, parfois pubienne, comme en Grèce ancienne, ou en islam, ne fait pas qu'infantiliser la femme, elle éloigne aussi le spectre de la femme à barbe. (On a rappelé, voir supra, la signification du premier poil de barbe de l'éromène.)


Tomi Ungerer

Cette ambivalence ne semble pas avoir totalement disparu de la société moderne. Dans une chronique mondaine (L'Express du 13 février 1967, après avoir noté que "la duchesse de Windsor s'[était] résignée à découvrir largement ses genoux", le futur premier ministre de la condition féminine [16 juillet 1974, création du secrétariat d'Etat à la condition féminine] explique que "les cuisses croisées, haut sous les jupes", "comme un aimant", "sucent le regard, l'engloutissent", c'est pourquoi les "regards masculins sont si souvent chargés de méchanceté lorsqu'ils s'absorbent dans une jupe trop courte pour être honnête".


Corset pour homme (vers 1830)


Avec la taille, vouée au corset, à la guêpière ou au "body-building", les fesses sont l'objet d'un investissement symbolique particulièrement appuyé. Si l'on observe le regard d'un homme qui suit des yeux une femme qui passe, on remarquera que c'est cette partie de l'anatomie féminine qui est souvent visée. C'est après seulement que l'homme à femmes fait (éventuellement) le tour et se renseigne sur la tête. Des hommes interrogés sur l'esthétique du derrière féminin insistent sur la quantité de la masse adipeuse : "Les culs des mannequins qu'on voit dans les magazines, c'est bon pour les minets !" Madame de Genlis rapporte, dans ses Mémoires, un dialogue entendu à travers la cloison d'une chambre qui se concluait d'un : "Voilà comme il faut avoir un cul pour réussir dans le monde !" Il s'agissait d'un faux cul, bien sûr.


Madame de Genlis, à propos d’une « mode nouvelle » « devenue universelle depuis douze ou quinze jours »…

« Cette mode, qui n’avoit rapport qu’à l’habillement des femmes, consistoit à se mettre par-derrière, au bas de la taille, et sur la croupe , un paquet plus ou moins gros, plus ou moins parfait de ressemblance, auquel on donnoit sans détour le nom de cul. Madame de Matignon ignoroit complétement l’établissement de cette singulière mode. Elle n’arriva à Marly que pour se coucher ; on la logea dans un appartement qui n’étoit séparé de celui qu’occupoit madame de Rully (aujourd’hui madame la duchesse d’Aumont ) que par une cloison très-mince et une porte condamnée ; qu’on se figure, s'il est possible, la surprise de madame de Matignon, lorsque le lendemain, deux heures après son réveil, elle entendit entrer chez madame de Rully madame la princesse d’Hénin, qu’elle reconnut à la voix, et qui, sur-le-champ, dit : « Bonjour, mon cœur; montrez-moi votre cul… » Madame de Matignon, pétrifiée, écouta attentivement, et recueillit le dialogue suivant. Madame d'Hénin, reprenant la parole, s’écria, avec le ton de l’indignation : « Mais, mon cœur, il est affreux, votre cul, étroit, mesquin, tombant; il est affreux, vous dis-je. En voulez-vous voir un joli ? tenez, regardez le mien… » — « Ah ! c'est vrai!» reprit madame de Rully, avec l'accent de l’admiration. « Regardez donc, mademoiselle Aubert (c’étoit sa femme de chambre, présente à cette scène) ; il est réellement charmant, le cul de madame d'Hénin, comme il est rebondi !... le mien est si plat, si maigre !... Ah! le joli, le joli cul !... » — « Voilà comme il faut avoir un cul, quand on veut réussir dans le monde. Il est bien heureux que j'aie été chargée du soin de vous surveiller » (Mémoires inédits de Madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution françoise, tome VI, Paris : Ladvocat, 1825, p. 195-196).

Caricature de Darwin contemplant une tournure. Angleterre, 1872.


Que cette emphase vestimentaire, dite aussi "tournure", puisse prêter à tromperie – on dira d'un hypocrite : "C'est un faux cul" – certes, mais cette tromperie démontre l'efficacité et la nécessité significative d'une forme ou d'un leurre, quand sortir se disait : "mettre son cul". La valeur capitale, ou stratégique, de cette configuration apparaît dans l'expression : "Qu'est-ce que t'as à tourner autour de mon cul ?" d'une grosse femme qui croyait – ou se persuadait – qu'un type était en train de lui "tourner autour". Centre de l'intérêt de ceux qui ont le cul pour seul intérêt (si l'on en croit l'expression : "II ne s'intéresse qu'au cul"), forme de rêve où la tyrannie du ventre aime se rincer l'œil : "Oh, Sainte Lucia, implore, les mains jointes, un personnage de cinéma (Le mari de la femme à barbe, de Marco Ferreri, 1964) dévorant des yeux le fessier d'une danseuse de cabaret qui monte un escalier devant lui, faites que je ne perde jamais la vue !"


Formes significatives...

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... où l'herméneutique naturelle aime se rincer l'oeil.
Tous les yeux d'Argus ne suffiraient pas pour éponger cette lumière
(dessins de J.J. Granville, 1803-1847)

Le Toucher. Bien que d'un bel objet l'amour prenne naissance,
L'oeil ne peut toutefois contanter un Amant,
Car de celle qu'il sert cherchant la iouissance,
II n'y peut arriver que par l'Attouchement.
(gravure par Bosse, 1675)
LE TOUCHER


Mustafa Ramezani, Mardom (Israël)

"Parmi les livres que j'avais emportés en expédition se trouvait le récit, par Hercule Florence, d'un voyage à travers la forêt brésilienne, aux alentours de 1820. Excellent dessinateur, Florence avait illustré son livre de croquis représentant des Indiens couverts de plumes et de peintures corporelles. Partout où j'allais, c'était le livre qui avait le plus de succès : d'abord, bien sûr, parce qu'on y voyait des femmes complètement nues sur lesquelles on commençait par se jeter ; si bien qu'aux bons endroits, ces dessins étaient tout noircis par des traces de doigts sales (...)" (Francis Huxley, Aimables sauvages.)

suite de la page 21.4 : 21.42

Plan du dossier :

19.1 Exorde
19.11 "Et ta sœur !" Différence des sexes et territorialité : relevé des grafitti de la Sorbonne, mars 1982
19.2 Variations sur le prochain
19.3 Quand la théorie de la société est la théorie du marché
19.4 Les "30 glorieuses" et les 30 pleureuses
19.5 De Tati à Tati
19.6 Gradations dans l'expression de l'allophobie et dans son aveu
19.7 Territoire, proxémie, proximité : le proche et le lointain
19.8 Appartenance commune
19.9 Guetteurs au créneau
20.1 Othello, ou la tragédie de l'apparence
20.2 Phénotypes et stratification sociale : la naturalisation du droit
21.1
L'empire de la liberté : la techno-structure par l'exemple, neutralisation des fonctions et des genres
21.2 Loi du renouvellement technique et conséquences...
21.3 Hormones et territorialité : la dominance à l'épreuve de la valeur morale de la différence
21.4 L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (1) : liaisons
21.5
L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (2) : déliaisons
21.6 Logique du vivant, morale du vivant
21.7 Médialangue et culture-jeunesse, distance réfractaire et période réfractaire





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