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Copyleft : Bernard CHAMPION
1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...”
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !” : 2
5- L“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures
19- Enquête sur la forme humaine : 1
20- Enquête sur la forme humaine : 2
21- Enquête sur la forme humaine : 3
22- Quelques exercices de Travaux Pratiques
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SOMMAIRE

anthropologieenligne.com : unité de l’homme et diversité des cultures



I - 4.2

Dans une atmosphère de déliquescence et de surenchère, celui dont André Malraux, après avoir lu un message du Général de Gaulle dans la nuit du 11 août 1960 lors de la proclamation de l’indépendance, avait saisi la main en s’écriant : “Voici le drapeau vivant de la Communauté française !” adonné à l’alcool et nouvel adepte de rites supposés le rendre invisible ou invulnérable aux balles, n’avait plus le contrôle de la réalité. La question est de savoir si un homme sain aurait réussi là où un homme acculé ne pouvait qu’échouer. Autrement dit, si le projet d’associer les rites d’initiation à l’administration d’un État moderne est un projet viable.

C’est poser la question, plus généralement, de la nature de la modernité et de son destin en Afrique. Pour y répondre, il faut se demander ce que signifie l’initiation dans la société traditionnelle et dans quelle mesure on peut l’affecter d’une intention politique. La signification complexe de ce rite dans l’Afrique d’aujourd’hui apparaît pleinement dans la relation que l’ethnologue Robert Jaulin fait des résistances rencontrées, en 1958 et 1959, quand il a voulu se faire initier. Au Tchad, précisément, et dans l’ethnie à laquelle appartenait celui qui allait en devenir le premier président. Jaulin rapporte dans La mort sara, alors qu’il pensait avoir convaincu un chef traditionnel “dépossédé par la colonisation”, l’hostilité, plus “sournoise” que déclarée, d’ailleurs, des administrateurs et des européens, mais aussi celle des “évolués”. “Le chef de canton craignait que mon initiation ne redonnât de l’importance au chef coutumier [...] qu’il avait éclipsé. Cela eût démontré qu’il n’était chef que du fait de l’intervention européenne”. “Mon initiation allait donc à l’encontre des efforts du secteur moderniste pour réduire l’usage et la portée de cette cérémonie” (1967 : 24-25). Mais l’intention de connaître les secrets de l’initiation représentait aussi, pour les mêmes, un viol de la tradition et de sa capacité à contrôler les femmes. L’initiation d’un blanc jetait le trouble sur l’opposition civilisatrice qui jette, de part et d’autre de la barrière de couleur, l’administration blanche, détentrice de l’autorité politique, et la coutume villageoise, gardienne de cette indirect rule qui organise la vie traditionnelle. La “honte”, dont Jaulin fait état n’est pas contradictoire avec la fierté, affichée entre soi et dernier retranchement peut-être d’une autorité dépossédée, fondée sur le constat que l’administrateur (et le blanc en général) n’est qu’un koy, un “non-initié” qualificatif qui, dans la généralité des cultures, n’est pas seulement un privatif, mais un dépréciatif (un “petit incirconcis”, aurait-on dit plus à l’ouest).

Que la puissance de ce secret soit démentie par son inefficacité politique et que le pouvoir de l’occupant puisse se déployer dans cette ignorance fondamentale n’affecte en rien l’assurance, propre à toutes les loges, d’appartenir, en vertu d’un mécanisme psychologique d’inclusion et de ségrégation engendré par le théâtre d’épreuves (qui définit le rite initiatique en général), à la classe des élus. C’est l’identité même, le sanctuaire de l’identité, au-delà de la souveraineté politique, qui était en cause. Et c’est bien l’identité que l’ethnologue cherche à pénétrer .

“Le résidu de l’esprit colonial ne vit dans mon initiation qu’une communication en profondeur et une intimité avec le monde africain bien indignes. Quant au monde missionnaire, il considérait mon initiation comme un gage de la validité de la culture africaine donné par le monde blanc : ce qui le gênait considérablement” (Ibid. : 128-129). “Nous avons dit l’attitude négative des missionnaires qui refusaient le baptême à ceux qui devaient faire le yo-ndo, écrira le Père Fortier (1982 : 24) L’abbé Matthias Ngartéri [qui est aujourd’hui évêque] originaire de Bédaya réussit à convaincre le père Hallaire que le ndo était vraiment le cœur de la culture sara et qu’il était pratiquement impossible d’y renoncer. Il fut donc convenu, après accord avec les prêtres du ndo [...] que les chrétiens pourraient y participer, à condition toutefois d’être dispensés des offrandes aux béssis (les esprits), ce qui fut d’ailleurs loyalement observé”.

“L’Afrique moderne me rejeta au moment même où l’Afrique ancienne m’acceptait”, écrit Jaulin après qu’un clan sara, résistant aux pressions, ait accepté de l’intégrer dans une session initiatique. “Si le président Tombalbaye et ses électeurs citadins, les missionnaires et leur évêque, si les forces issues du colonialisme dont l’objectif fut, en la niant, d’ignorer la coutume africaine, si donc tous abandonnaient leurs accusations, avec quelle joie ne retournerais-je pas au Tchad ! Il est infiniment probable que je ne retrouverai pas ce pays avant longtemps” (Ibid. : 133). Au-delà des convictions intimes et des non-dits, la question posée par les responsables politiques africains est celle de la portée des cicatrices faciales qui, dans certains groupes, marquent le visage des initiés. François Tombalbaye portait de telles cicatrices (vide supra, proclamation de l'indépendance, Malraux et Foyer en arrière-plan), que les photos officielles du Président de la République du Tchad qu’il était devenu masquaient généralement.



François Tombalbaye et Jean Foyer

www.greuel.de/motive/perspersonality.htm

“Les hommes politiques tchadiens refusent les balafres car elles particularisent au lieu d’universaliser”, écrit Jaulin (Ibid. : 96). “Sous l’influence des missionnaires qui les avaient formés, commente-t-il, le chef de canton et son entourage éprouvaient une certaine honte de l’initiation. Ils essayaient, depuis des années, d’agir auprès des chefs de terre afin d’obtenir que cessât la pratique des balafres. F. Tombalbaye, qui devint un peu plus tard président de la République du Tchad [...] m’avoua un jour avoir interdit (de quel droit se demande-t-on) au Ngorgue (chef coutumier) de faire une session d’initiation parce que celui-ci refusait de promettre qu’il ne balafrerait pas les adolescents” (Ibid. : 25). “Lorsqu’en septembre 1958 j’avais fait part au Président Tombalbaye - alors seulement député du Tchad - de mes projets d’initiation dans le clan Ngorgue Houri, il les avait approuvés car alors aucun de ses adversaires politiques ne l’accusait d’aider un Blanc à percer les secrets du yo-ndo et il m’avait demandé de faire pression pour qu’il soit mis fin à la pratique des balafres, ou du moins que tout le visage ne fût pas balafré. [...] L’institution, pour être vivante, ne pouvait être étrangère aux visées politiques nouvelles de l’Afrique” (Ibid. : 95).


Carte postale (coll. particulière). La légende précise :
“le nombre de cicatrices indique la tribu” (sic)

La logique de l’Etat et la logique du clan s’opposent ici manifestement sur la question de l’application des scarifications faciales, opération dont Jaulin donne la description suivante. “Ngakoh vint vers huit heures. Aussitôt commença l’opération qui devait marquer la figure des initiés pour toute leur vie : les incisions faciales, qui deviendront après cicatrisation les balafres caractéristiques du groupe sara. Nous étions tous sortis de l’enclos et Ngakoh taillada les joues de mes compagnons l’un après l’autre avec la lame de rasoir que j’avais fournie : soit habileté de l’opérateur, soit courage des initiés, aucun de ceux-ci ne pleura ni ne cria ; mieux, ils gardèrent tous, le temps que dura l’opération, une expression que je jugeai détendue malgré le sang qui leur couvrait le visage et dégoulinait lentement de leur face le long de leurs corps. Ce ne devait pas être affreusement douloureux, car la lame de rasoir ne pénétrait pas en profondeur, le tranchant n’affectant pas l’épiderme jusqu’aux couches profondes. [...] Trois séries de quatre traits verticaux striaient le front des initiés, depuis le cuir chevelu, rasé, jusqu’aux sourcils ; selon la largeur de la tempe d’où partaient d’autres balafres qui allaient jusqu’au menton, chaque joue était marquée de six ou huit lignes. Dans l’espace laissé libre, le long du nez et des deux côtés des lèvres, quatre traits rejoignaient les séries de six ou huit orientés différemment. Bien entendu, je m’informai de la signification symbolique de ces balafres ; on me répondit qu’elles en étaient dépourvues et n’avaient d’autres motifs qu’esthétiques [...], la référence aux ancêtres, à l’usage (étant) devenue la raison suffisante. [...] Que ces ornements représentent ou non la stylisation d’un motif quelconque, ils sont en tout cas une distinction tribale. On pourrait les assimiler à un masque qu’une collectivité se donnerait afin de se définir. Ils permettent ainsi, si ce n’est de grouper les tribus parentes, du moins d’opposer celles qui ne le sont pas.” (93-94) Ces chéloïdes, qui valaient à Tombalbaye le surnom de “Ngarta le Balafré” dans la presse d’extrême-droite française, étaient évidemment impropres à la représentation impartiale d’ethnies couchées dans le lit de Procuste de la cartographie coloniale sous l’unique appellation de “tchadiennes. (Les 42 États africains issus de la décolonisation rassemblent environ 1 300 groupes linguistiques).

Mais quel est le sens de l’initiation et ce sens est-il compatible avec les “visées politiques nouvelles de l’Afrique” ? Toute la question est là, nullement épuisée par la signification des cicatrices d’appartenance. Chez les Sara, l’initiation a normalement lieu tous les sept ans. “Quand un dignitaire du Roi veut préciser la durée d’un règne, écrit Fortier (op. cit. : 213), il dit : “N... a présidé deux fois, ou trois fois la mort du ndo.” Témoin extérieur de l’initiation pour la première fois en 1955, le Père Fortier rapporte : “C’est parti comme une grande vague du canton de Bédaya [...] finalement ça a déferlé sur tous les cantons voisins. [...] Comme la population totale de ces dix cantons était de 90.000 habitants en 1968 et que le ndo mobilise toujours deux classes d’âge, les initiés eux-mêmes (10 à 18 ans) et leurs gardiens (18 à 25 ans), on peut dire sans craindre d’exagération que près de 10.000 garçons sont partis dans les camps de brousse cette année-là. En fait, pour des raisons alimentaires surtout (mauvaises récoltes), le ndo n’avait pas eu lieu à Bédaya depuis onze ans : 1944. Et il faudra encore onze années (1966) pour qu’il se déclenche à nouveau dans tout le département du Moyen-Chari” (Ibid. : 213).


L’acte majeur du rite initiatique en cause consiste dans l’absorption, par les néophytes et les anciens initiés, d’une boulette faite d’un mélange “de viande, de sang et d’autres produits, couleur de terre et peu appétissante” ainsi que dans la prise nasale d’une poudre noirâtre, l’officiant prononçant la formule : “Que tout ce que je viens de donner à manger reste vivant, et qu’ainsi celui qui le mange reste vivant” (Jaulin, 1967 : 74). Jaulin attribue l’origine de l’initiation sara à la sédentarisation des groupes considérés dans cette région du Moyen-Chari. Bien que ce ne soit pas là l’interprétation qu’il retienne explicitement, on peut inférer, à partir du processus de segmentation et de filiation qu’il décrit (achat de l’initiation par des groupes voisins qui se voient remettre des morceaux de boulette et de la poudre à priser résultant eux-mêmes d’un solde, toujours réservé, d’une initiation précédente) que cette ingestion constitue le redoublement, à l’occasion de la promotion d’une nouvelle classe d’âge, d’une relation originelle opératrice d’autochtonie, conformément d’ailleurs à cette règle universelle selon laquelle on ne peut prospérer sans l’accord du génie du lieu. “Adhérence à la terre”, l’initiation “symbolise [...] la chair du clan” (Ibid. : 123).

L’intention de l’initiation n’est pas politique, au sens reçu du mot. Sa diffusion, quand bien même révèle-t-elle une prééminence ou une priorité répétée à l’ouverture de chaque session initiatique, n’engendre pas d’allégeance. Le maître du rite et les “chefs de terre” - qui sont en réalité des “prêtres de la terre” - sont des intermédiaires dans l’alliance que les hommes font avec les esprits telluriens et ancestraux. L’interdit auquel sont soumis les néophytes qui viennent d’absorber la boulette et la poudre : ne toucher le sol qu’avec les pieds (à l’exclusion de toute autre partie du corps), l’assimilation de ce contact à une copulation à même le sol, la soustraction insistante des néophytes à la “gloutonnerie des ancêtres”, l’arrachement des garçons à leurs mères, le tabou du sang menstruel (significatif d’impureté, de stérilité et de malchance), ces valeurs confèrent à l’initiation le dessein d’intégrer l’individu dans l’ordre de la culture : d’arracher à la terre une assurance et une régularité dont elle serait dépourvue sans le rite.

Tout cela est assurément difficile à comprendre pour des esprits positifs. Il faut se représenter que, dans la pensée traditionnelle, la différenciation des sexes n’a pas seulement une signification psychologique et sociale, elle a une portée cosmologique. Les systèmes traditionnels mettent en œuvre des écologismes, ou jeux d’équivalence qui associent la forme humaine aux cycles cosmiques. L’ordre social, la régularité végétative, la fécondité humaine reposent ainsi sur la complémentarité du masculin et du féminin selon une dialectique réglée de la forme et de la matière. Chez les Thonga, par exemple (nous prenons cet exemple parce que l’explication est locale et non pas rapportée, peu suspecte d’ingérence ethnologique), la sécheresse est mise en relation avec le défaut de traitement rituel d’une irrégularité féminine. C’est parce qu’une fausse-couche n’a pas été neutralisée par exemple, que la pluie ne tombe plus. Selon les propres termes du “grand docteur de la cour”, “le pays n’est plus en règle”. Les rites qui sont mis en œuvre pour faire venir la pluie ont pour caractéristique d’annuler les anomalies qui ont interrompu le flux de la fécondité et de faire jouer la profusion de la nature. Ce débordement pouvant donner lieu à des rites d’inversion. L’irrégularité risquant de causer l’arrêt de la production naturelle (sécheresse ou stérilité), il convient de procéder à l’annulation des irrégularités et au réamorçage de la production naturelle par la mise en scène d’un débordement. Annulation et débordement programmé valent remise en contact du ciel et de la terre, du masculin et du féminin et remise en route ou réassurance de la production réglée. “Les femmes rassemblent les ossements de jumeaux, des enfants nés morts ou des enfants morts à leur naissance ; elles y joignent leurs vieux chiffons (ceux employés pour leurs menstrues probablement). Elles apportent tous ces objets à un carrefour de chemins et le brûlent en chantant des chants impurs et disant : “C’est un grand jour ! Il n’y a plus rien de défendu ! Si on défend quelque chose, ce sera une insulte faite à la pluie ; elle refusera de tomber”. “La fumée qui s’élève de ce brasier constitue une offrande religieuse ; le pays sera purifié et la pluie tombera” (Junod, 1936 : II, 274-275).

Était-il possible de dissocier le processus particularisant d’intégration à la “chair du clan” de ce système de valeurs ? Dans l’Afrique traditionnelle, la sacralité de la terre et la sacralité du pouvoir sont complémentaires et non pas cumulables. L’exemple zoulou de l’enrégimentement des classes initiatiques par le souverain montre que la dépossession des clans de la maîtrise du rite initiatique peut servir à la constitution de regroupements politiques. Mais un tel coup de force n’est après tout qu’une rupture de l’équilibre entre les deux termes de la dualité constitutionnelle qui caractérise ces systèmes politiques, elle ne modifie pas la conception du réel, comme le voudrait l’État moderne. L’initiation étant fondamentalement une affaire “villageoise”, elle n’a pas vocation à être centralisée, ce centralisateur fût-il le président de la République. Que Tombalbaye décide de l’ouverture des camps d’initiation chez les Sara, passe encore. Mais cette faculté ne lui était pas reconnue ailleurs. L’ouverture d’une session initiatique répond normalement à des considérations qui ne doivent rien à l’opportunité politique. A l’inverse, c’est l’initiation qui fait l’histoire. Ainsi, dans les chefferies et royautés où le rythme des initiations ponctue la succession des chefs selon une dialectique du pouvoir et de l’autochtonie qui tient le chef dans la main des hommes de la terre, l’initiation est “propriété” des hommes de la terre et non affaire de souverain, puisque lui-même peut apparaître comme un instrument de l’initiation. Chez les Moundang voisins, on l'a vu, où il ne peut y avoir qu’une seule initiation par règne, la décollation du roi constituant le modèle passif de la circoncision des jeunes gens. Quand le roi des Moundang - dont l’administration a fait un chef de canton et qui n’est plus soumis à cette règle traditionnelle - apprit l’intention de Tombalbaye de déclencher l’initiation, il protesta que cela n’était pas l’affaire de Tombalbaye de proclamer l’initiation, et que si on voulait l’y contraindre : “Eh bien ! qu’ils viennent me couper la tête !...” (Information due à M. Alfred Adler)

Revivifier la tradition, remettre l’initiation à l’honneur pour reprendre le pays en main - idéologie, éducation, administration - tel se présentait donc le programme. Et le cadre initiatique répond idéalement, en théorie, à cet objet. Mais cela suppose une autorité incontestée du maître de l’initiation et une soumission adolescente de la part de “néophytes” qui ne l’étaient nullement, puisqu’ils appartenaient déjà au personnel administratif de l’Etat. Moyen de contrer l’absentéisme et de mater l’indépendance des fonctionnaires, dont un certain nombre n’étaient pas passés par les camps d’initiation, en même temps qu’éducation traditionnelle, séminaire des cadres en même temps qu’école de brousse, tradition et modernité, l’“authenticité” tchadienne était porteuse de contradictions qui devaient lui être fatales. Mais tous ces avatars de la décolonisation sont travaillés par une contradiction principale : l’intrusion de l’égalité juridique dans des sociétés hiérarchiques, ou traditionnellement opposées, regroupées dans un même État. Après la domination politique du Sud, c’est le Nord musulman (gorane, toubou puis zaghawa) qui contrôle aujourd’hui l’appareil d’État. Situation qu’un informateur commente : “Quand ça va exploser, ça va faire comme au Rwanda !...”

*

Le 13 avril 1975 au matin, attaqué par un détachement de gendarmerie remonté dans la nuit de Mongo et découvert dans une cave d’une des résidences du palais qu’il occupait tour à tour, François Tombalbaye fut abattu par un soldat. Le sous-officier français, de faction cette nuit-là avec les hommes de la Garde présidentielle qui opposèrent une résistance de principe, raconte qu’il n’était pas dans le secret. Il se disait pourtant à N’djaména que la France avait évidemment été avertie de ce coup d’État. On dit aussi que le président fut décapité après avoir été tué. Le transfert récent de sa dépouille de Largeau à Sahr a permis d’infirmer cette information, peut-être inspirée par le protocole de la mise à mort de certains chefs traditionnels (supra : chapitre 2). Quant au griot dahoméen, après lui avoir coupé les oreilles et l’avoir promené dans l’avenue Mobutu, éponyme de l’“authenticité” revendiquée, il fut abattu après qu’il eut cessé d’amuser. Authentique ! Sans papier !

FIN du chapitre 4

Plan du chapitre 4 :
I - 4.1 Révolution nationale : “Le socialisme, c'était trend...”
I - 4.2 L'Etat et la “chair du clan”




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