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Copyleft : Bernard CHAMPION
1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...”
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5
- L“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures
19- Enquête sur la forme humaine : 1
20- Enquête sur la forme humaine : 2
21- Enquête sur la forme humaine : 3
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SOMMAIRE

anthropologieenligne.com : unité de l’homme et diversité des cultures

Chapitre 6

“Il faut se battre pour la constitution
comme pour le mur de la ville”:

sur le contrat démocratique


II - 6

Il est banal de dire qu’il n’existe plus de société traditionnelle. Tous les voyageurs ont fait l’expérience de la boîte de conserves ou du transistor découverts dans les endroits les plus reculés. Il est, par exemple, assez inattendu d’entendre, dans une localité perdue dans les sables du Tchad, à l’occasion d’une panne automobile, un éloge de la chicorée Leroux et, sur la fréquence de Radio-France Internationale qui avait convaincu l’hôte des mérites universels de cette racine, un épisode en direct du “Jeu des 1.000 francs” (cette émission née avec la Vième République), enregistré à trois lieues de votre propre village (par-deça), puis, sans transition (comme on dit au Journal télévisé), en direct de Bangui, un discours en l’honneur de l’empereur Bokassa prononcé par un chasseur d’éléphants qui devait entrer à l’Académie Française... Le monde est petit. Le monde est même de plus en plus petit. Mais on peut dire aussi, à l’inverse, et bien que les artefacts de la modernité soient partout, qu’il n’existe que des sociétés traditionnelles, c’est-à-dire des communautés fermées sur leur vérité, leur territoire, leurs particularismes et que la nature de l’homme n’est pas l’ouverture et le partage, mais bien l’exclusivisme, sinon l’intolérance. Que la modernité n’est qu’une façade ou une fiction.

Il existe pourtant, subsidiairement peut-être, formellement sans doute, des groupements d’hommes qui, pour des raisons diverses, essaient de vivre en modernes : de vivre ensemble. Le problème est que nous sommes condamnés à vivre ensemble. À faire coïncider en nous-mêmes l’isolat de la tradition et l’agglomérat de la modernité. Le village planétaire est une mégalopole surpeuplée. La modernité, c’est, en même temps que la circulation des biens et des usages, la multiplication des hommes, l’urbanisation du monde, la suppression des distances, la limitation des ressources, les migrations de la pauvreté, l’interpénétration des cultures... Mais la proximité physique, alors que la question “Mais qui est mon prochain ?” devrait être vide de sens puisqu’il n’y a plus de lointain, ne fait pas immédiatement la proximité morale. Il s’en faut. On pourrait même penser, à l’inverse, que la proximité exacerbe les oppositions, comme s’il existait une distance minimale de coexistence entre les hommes. À moins d’une règle commune.

“Il faut se battre pour la constitution comme pour le mur de la ville”. On retiendra donc ici de cette maxime d’Héraclite d’Ephèse que la loi constitue une protection physique aussi matérielle que le mur de la ville. La démocratie est probablement née, dans le mouvement de la colonisation grecque, de la nécessité, pour vivre ensemble, de trouver un langage commun. Un tel commerce ne peut prospérer que dans la suspension ou la neutralisation des logiques partisanes, des justices privées et des passions religieuses, ces ennemis intérieurs de la cité que la constitution tient en respect. Dans l’apprentissage du politique, qui crée et entretient l’espace public. Loin d’illustrer une simple substitution d’une méthode de gouvernement à une autre, l’invention de l’“homme démocratique” suppose une transformation des rapports de l’homme et du monde. Ce double caractère, stratégique et sociologique à la fois, significatif du recours à l’égalité, l’étude de Jean Mas sur le rôle du Code Napoléon dans la formation et la sauvegarde de la république mauricienne en manifeste exemplairement les enjeux (Mas, 1993). La démocratie est fille de nécessité. Elle organise la coexistence pacifique – autre nom de la guerre froide – entre des groupes, des religions, des classes, des partis condamnés à vivre ensemble. Comme la modernité qu’elle annonce ou sanctionne, artefact ou fiction qui permet à la société d’exister, elle est le fruit d’une rupture et répond à un rapport au monde inédit. La solution démocratique - ou l’impératif démocratique - se découvre dans la crise. Peut-être n’est-il pas inopportun de tenter de situer “l’invention de la politique” – pour reprendre le titre français d’un essai sur l’Antiquité – dans la longue durée des institutions humaines et de remarquer, qu’à l’origine comme aujourd’hui, il y a discorde et guerre, recherche et invention de nouveaux modes de vie et de nouveaux modes d’être.





Reconstitution de Smyrne au VIIIème siècle (in Forrest, 1966)


*

Le mouvement de la colonisation grecque a son origine dans la quête de nouvelles ressources. Le monde grec était un monde plein. Pression démographique et pauvreté du sol semblent se conjuguer pour pousser à l’aventure. “Voilà bien le vrai paysan attique, ironise Ménandre, ça se bat contre des cailloux qui ne produisent que des pousses de thym et de sauge ; ça n’attire que la Douleur sans jamais rien récolter de bon !” (Le Dyscolos, III, 9). Plus amer encore, du même : “Y a-t-il, en effet, rien de plus malheureux qu’un père, qu’un autre père qui a davantage d’enfants ?” Le nécessaire et nécessairement choyé fils épiclère (fils unique) ne protégeant d’ailleurs pas le patrimoine de la dissipation, comme le Strepsiade des Nuées d’Aristophane en fait l’épreuve, implorant l’héritier qu’il a eu d’un mariage hypergamique en ces termes (inversion comique de cette obsession malthusienne qui prétend corriger la fatalité de la descendance en opposant l’unicité de la paternité physiologique à la dissipation économique de la filiation) : “Je suis ton père unique !” C’est la pauvreté qui aurait justifié la pratique de l’exposition. Aristote expliquait l’homosexualité par la nécessité, l’évitement des femmes permettant de limiter les naissances. (Pol. II, X, 9) Les Grecs, écrira Polybe, “n’élèvent qu’un ou deux enfants, afin de leur laisser une fortune conséquente” (XXXVI, 17). Les traités hippocratiques témoignent de ce souci constant de limiter les naissances et des moyens pour y parvenir. Mais la ressource politique et l'art de vivre n'accommodent pas toujours l'absence de ressources, contrairement au chromo (rétrospectif) de Strabon qui écrit qu'“avec une bonne administration, même les pays misérables et les repaires de brigands deviennent policés”, citant en exemple “les Grecs qui, dans un pays de montagnes et de pierres, ont mené une vie heureuse grâce à l’intelligence qu’ils avaient de l’organisation politique, des techniques, et généralement de tout ce qui constitue l’art de vivre” (II,5,26)... Des navigations d’Ulysse dont l’œil repère les “terres noires” fertiles en orges ou en blés (“les noirs sillons portent le blé et l’orge” quand le roi est juste, Od. XIX, 111) à la mission de Néarque, amiral d’Alexandre, de retour de conquête par le golfe Persique, qui devait “examiner les rivages, les mouillages, les îlots, s’enquérir des cités maritimes, des terres fertiles” (Arrien, VIII, 32), aux confins géographiques et historiques du monde grec et dans l’imaginaire, il y a l’exploration des ressources, autre nom de la quête fabuleuse.

La colonie était un regroupement d’individus originaires de différentes cités ou de membres d’une même collectivité partis après avoir interrogé l’oracle et mis leur expédition sous la protection divine. L’urbanisme des villes nouvelles et les plans d’occupation des terres obéissent à un programme “continental” : les colons emportaient avec eux leur mode d’appropriation et d’exploitation du terroir et n’entendaient réaliser aucune révolution dans ces “laboratoires”, sinon réunir les conditions nécessaires à l’existence de chacun. Ces conditions – c’est là une donnée de conséquence – requièrent la propriété individuelle. “Selon nous, dira Aristote, la propriété ne doit pas être commune comme certains l’ont dit [...] et aucun citoyen ne doit manquer de moyen de subsistance” (Politique, 1330 a 23). Bien plutôt, la possession individuelle, rien moins qu’évidente dans les sociétés traditionnelles, paraîtra aux réformateurs le moyen d’enrayer les crises politiques par l’exportation des pauvres et leur établissement dans les clérouquies. “Tous ceux que le manque de ressources destine à suivre en armes les meneurs qui convoitent les biens des possédants constituent une sorte de mal intérieur de la cité. Pour s’en débarrasser sous un prétexte honorable, on procède, comme on dit, à une colonisation, forme de déportation la plus bienveillante qui soit” (Lois, 735 e - 736 a). Le territoire occupé était divisé en lots : chaque colon recevant un cléros. La géométrie du parcellaire paraît exprimer cette “république d’égaux” que Lycurgue, selon Plutarque, voyait dans l’égalité des récoltes moissonnées, “la Laconie tout entière ressemblant à un domaine partagé entre de nombreux frères” (Vie de Lycurgue, 8, 4). Forts de l’expérience acquise, les colons voulaient marquer leur liberté sur le sol. Le métreur qu’Aristophane met en scène dans l’utopie des Oiseaux est l’artisan caricatural de cette trame orthogonale, signature grecque par excellence révélée par les fouilles archéologiques. Terroir et ville sont tirés au cordeau de cette représentation qui associe l’individu à son carré de terre (à son “carreau”, dirait-on à la Réunion).

Bien que plaçant toutes leurs actions sous l’invocation des dieux et se représentant la géométrie comme étant d’essence divine - étrangers par là à ce que nous appelons l’“esprit scientifique” - les Grecs se signalent par une singulière indépendance vis-à-vis des intermédiaires rituels et autres mandataires des génies du sol, premiers occupants ou conservateurs obligés que sont les souverains archaïques dans leurs attributions religieuses. L’indépendance politique du démos est peut-être annoncée dans ce mode individuel d’appropriation et d’administration religieuse de la terre et de sa fécondité. La multiplicité des cultes de héros agrestes identifiés par des traces funéraires et entretenus par les exploitants, l’installation de colons paraissant peupler des terres vierges ou dont les indigènes sont repoussés sans autre forme de procès, ce “faire-valoir direct”, alors que la relation à la terre est universellement tributaire, paraît être un levain de la démocratie. Dans un même serment, les éphèbes invoqueront le Foyer Commun, les divinités du sol, les Bornes de la Patrie, Les Blés, les Orges, les Vignes, les Oliviers et les Figuiers. La figure d’Hésiode avec sa critique des nobles dorophages, dévoreurs de présents (Travaux, v. 39 et 264) bornant son horizon au travail des champs et à la peine, en appelant à une justice supérieure au-delà des sentences intéressées des puissants, individualiste et industrieux (“Travaille pour toi, ta femme et tes enfants, n’aie jamais à mendier ton pain à un voisin”), ennemi de la guerre et ami de la concurrence (“Le potier en veut au potier, le charpentier au charpentier, le pauvre est jaloux du pauvre et le chanteur du chanteur”, “cette lutte-là est bonne”), est emblématique de cette indépendance frondeuse que la crise économique va précipiter en révolutions. Les dieux et les héros n'échappent pas à la caricature et, nous le rappellerons (infra : chapitre 7), cette irrévérence envers tous les pouvoirs va constituer un trait diacritique de la démocratie. L’émancipation rituelle est la condition de l’émancipation politique. Elle prépare la voie à la conception isonomique de l’homme où l’aristocratie, qui constitue la classe dominante dans nombre de cités et dont la marque distinctive est à la fois la propriété de la terre et l’administration de la justice, ne représente plus qu’une concurrence profane pour la possession du sol.

La royauté perpétuelle est insupportable entre égaux remarque Aristote. C’est dire que le souverain est d’une autre nature, de par sa fonction sinon son origine. Investi d’une charge qui le met en contact avec le divin, il est responsable des cycles cosmiques et des cycles de la fécondité. Il est le roi-prêtre dont dépend le cours des choses et le rite, alors que l’infraction ou la faute dérèglent les cycles, comme on le voit dans Œdipe-Roi, est le protocole qui met en phase la régularité sociale et la régularité cosmique. Quelques traits semblent associer le souverain archaïque au comput astronomique (Odyssée, XIX, 178 ; Plutarque, Agis, 11, 4 ; vide supra : chapitre 2) et la liturgie rappelle sa fonction centrale dans la définition et la pédagogie des genres. “La royauté perpétuelle est insupportable entre égaux” : c’est dire aussi que l’égalité met le souverain sous contrôle. Dans la cité homérique, le roi ne peut rien sans son Conseil et la royauté deviendra une simple magistrature, exceptionnellement viagère et héréditaire, parfois annuelle, ouverte aux différentes familles nobles de la cité. À Athènes, le roi n’est qu’un des neuf archontes, spécialisé dans les relations avec les dieux. C’est de cette spécialisation que la justice aux sentences oraculaires, dont Hésiode fait la satire, tire son autorité. La justice noxale est aussi la prérogative des grandes familles. Le droit criminel est réglé par le principe de la responsabilité collective et de la réparation du dommage par dommage égal. La communauté de sang est diminuée par le crime et c’est la communauté du meurtrier qui en est collectivement comptable. La perpétuation du lignage réclame un retour à l’équilibre rompu, de même que la mémoire du mort une vengeance propre à apaiser son âme. La cité s’affirme, précisément, comme Gustave Glotz l’a montré dans sa thèse sur la solidarité de la famille dans le droit criminel (Glotz, 1904), quand le droit de vengeance n’arme plus que les parents les plus proches et quand se découvre le principe de la responsabilité personnelle. La religion “fit sortir la thémis de la famille et l’installa dans la cité” (Ibid. : 602). La souillure attachée au meurtre devient un “attentat contre l’ordre social et non plus seulement une offense à un petit groupe de particuliers”. Il est significatif que les “rois des tribus” à Athènes, aient conservé le privilège de juger les inculpations de meurtre intentées aux animaux et aux objets inanimés, la pensée grecque caractérisant ainsi, a contrario, le champ du “politique”, désormais soustrait au monopole des spécialistes rituels.

La démocratie, remarque encore Aristote, ne peut exister que dans les grandes villes, car ce régime fait prédominer une classe sans réalité dans les sociétés agricoles et pastorales, la classe des travailleurs manuels et des marchands. Le développement du commerce, concomitant à l’élargissement du monde grec, et l’invention de la monnaie frappée permettent, en effet, la constitution de fortunes mobiliaires qui échappent à la répartition traditionnelle des hiérarchies. Une nouvelle classe sociale tire son existence du commerce maritime et terrestre - “l’argent fait l’homme” (Alcée, fr. 49) - tandis que la “chrématistique” exacerbe l’opposition entre le propriétaire foncier au domaine protégé de l’aliénation par le retrait lignager et le tenancier (l’hectémore rémunéré par le sixième de la récolte) ou le petit exploitant frappé par la crise agricole, endetté, exproprié, asservi ou vendu en esclavage. Les cités sont déchirées par des luttes où les haines de partis se superposent aux haines de sang. Le parti populaire, mené par des éléments appartenant à la classe des marchands, tente de renverser le pouvoir oligarchique. Révolutions et contre-révolutions se succèdent. Le patricien Théognis de Mégare se déchaîne contre ces vilains qui “naguère étrangers à tout droit et à toute loi, usaient sur leurs flancs des peaux de chèvres et pâturaient hors de murs comme des cerfs”, contre les “marchands qui commandent” et “rêve d’écraser du talon cette populace” (53 s., 677 s., 847, cité par Glotz, 1928 : 123). Ailleurs, les nobles sont massacrés ou bannis, leurs biens confisqués. Apparaît la tyrannie qui, selon Thucydide (I, 13), a pour cause essentielle l’accroissement de la richesse : à la faveur de ces luttes civiles, le tyran, se portant à la tête de la masse populaire, prend le pouvoir. Glotz remarque que “la liste des tyrans coïncide pour ainsi dire avec la carte des grands ports” (Ibid. : 129). Parfois, pour mettre fin à une guerre civile suicidaire, les cités font appel à un arbitre, souvent étranger, qu’elles investissent temporairement de la puissance publique. Cette procédure, qu’Aristote dénomme “tyrannie élective”, aboutit à ruiner le pouvoir de l’aristocratie : “couper tous les épis qui dépassent des autres”, c’est le conseil de Thrasybule à Périandre (Hérodote, V, 92, 6). Le terme “tyran” n’a pas d’emblée, en effet, le sens reçu. Il signifie d’abord “chef” ou “guide du peuple”. Le tyran peut être un démagogue qui joue de la lutte des classes et prend la tête des révoltes populaires. Souvent issu de l’aristocratie, il use parfois d’un prestige personnel pour incarner, contre l’aristocratie, une nouvelle légitimité. Le peuple dont il se fait le héraut est celui des hoplites mais aussi, sans doute, celui des villes et des faubourgs où se regroupent les principaux corps de métier et les commerces. Le tyran entreprend de grands travaux, favorise l’entreprise et le commerce maritime. Porté par l’émergence de nouvelles activités qui échappent progressivement au pouvoir traditionnel, il précipite la désagrégation de l’ancienne société et accélère une évolution qui le chasse du pouvoir. Bien que la démocratie grecque ait été des plus soupçonneuses (elle instituera une magistrature qui ne durait qu’un jour, inventera l’ostracisme et tiendra en suspicion les bienfaits des hommes publics - Vie de Périclès, 22, 2), il est manifeste que celle-ci procède des mêmes forces que la tyrannie.


À Athènes, Solon, noble sans patrimoine enrichi par le commerce maritime, est choisi comme archonte en 594 avec des pouvoirs qui lui permettent de réformer les institutions. “Inscrites sur des piliers de bois à pivot” (Plutarque, Vie de Solon, 25, 1), les lois soloniennes étaient portées à la connaissance de tous. La promulgation et la publicité de la loi marquent une révolution dans l’histoire du droit, désormais soustrait au monopole de familles tirant leur ascendant politique de relations privilégiées avec le divin. Les premières lois écrites furent vraisemblablement celles qui visaient à enrayer le principe de la responsabilité de sang (Glotz, 1904 : 244 s.). Mise au centre, la loi relève du domaine public. Elle est ouverte à l’argumentation et à l’interprétation. La rhétorique, la raison politique se constituent sur cette publicité que Fénelon ramasse en une formule : “En Grèce, tout dépendait du peuple et le peuple dépendait de la parole”. La première mesure de Solon est de libérer les hommes et les terres. En réformant les lois sur l’héritage (faisant obligation de partager le patrimoine et ouvrant la possibilité d’acquisition de la terre noble par les roturiers) et en limitant le pouvoir patriarcal, il engage une réforme que la constitution de Clisthène parachèvera en substituant aux tribus gentilices des tribus territoriales composées tiers pour tiers d’habitants de la ville, de la côte et de l’intérieur. À l’origine de la démocratie, il y a la nécessité de mettre un terme à une opposition mortelle pour la cité et la médiation de Solon s’appuie sur une position moyenne entre deux partis ennemis. “Je me suis tenu debout, couvrant de mon solide bouclier les deux partis tour à tour et je n’ai permis ni à l’un ni à l’autre de vaincre injustement.” “Je me suis interposé entre eux comme une pierre de bornage entre deux champs contestés.” “J’ai rédigé des lois égales pour le pauvre et pour le riche, fixant à l’égard de chacun une justice droite. Si un autre que moi avait pris l’aiguillon, un homme avide et pervers, il n’aurait pu retenir le peuple et si j’avais voulu faire alors ce que souhaitaient les ennemis du peuple, la cité serait devenue veuve de beaucoup d’hommes. C’est pourquoi, déployant toute ma vigueur, je me suis tourné de tous côtés, comme un loup assailli par une meute de chiens.”

Un passage du code de Gortyne en Crète, vers 450 av J.C
(écriture boustrophédon : à l’image du bœuf qui trace le sillon, alternativement de gauche à droite et de droite à gauche.)

La démocratie originelle apparaît comme un juste milieu entre les prétentions de l’aristocratie et celles du peuple. Si l’on s’en rapporte à la Vie de Solon de Plutarque, que nous venons de citer, on aperçoit que tout, si l’on peut dire, est intermédiaire dans cette existence de sage et que tout la destine à la médiation démocratique. “Un patrimoine amoindri par les générosités et les dons de son père” (2, 1) : il ne partage donc pas les intérêts des riches. L’exercice de la profession commerciale (“En ce temps-là, le commerce n’avait rien de honteux”, “aussi, dès sa jeunesse, se lança-t-il dans le commerce” (2, 1) : sa fortune ne doit pas à une position héritée, mais à une activité neuve. Une expérience pratique de l’égalité : le négoce engendre des contrats et rapproche des hommes divers. C’est une expérience politique du contrat que Solon veut faire partager aux partenaires ennemis de la lutte des classes. “Les hommes, répond-il à Anacharsis qui lui oppose l’inefficacité des lois qui arrêtent les faibles et sont bafouées par les puissants, observent les conventions quand aucune des deux parties contractantes n’a intérêt à les violer” (5, 4). Et “le premier mot de lui qui se répandit dans le public fut celui-ci : l’égalité ne produit pas de guerre” (14, 4). Solon, juste, sage, inspiré par l’intérêt commun – “Il ne partageait pas l’injustice des riches ; il n’était pas non plus soumis aux mêmes nécessités que les pauvres” (14, 1) – doit donc faire la preuve de l’efficacité, de la vérité, de la supériorité de l’égalité.




Une clepsydre, instrument de mesure du temps de parole, reconstituée.
Le temps de parole autorisé est ici de six minutes.
(in : Forrest : 1966)

Mais comment, quand les haines sont inexpiables ? Solon aurait eu recours à la ruse et à l’ambiguïté ; moyen de faire expérimenter les bénéfices de l’égalité par une anticipation de ses effets. Ruse : “Cependant, Phanias de Lesbos rapporte que Solon, pour sauver sa patrie employa spontanément la ruse à l’égard des deux partis, promettant secrètement aux pauvres le partage des terres et aux riches la confirmation de leurs créances” (14, 2). Ambiguïté : “Ce mot - l’égalité ne produit pas de guerre - plut à la fois aux riches et aux pauvres, les uns pensant obtenir l’égalité à cause de leur rang et de la considération dont ils jouissaient et les autres à cause de leur nombre”. “Aussi les deux partis, formant de grandes espérances, leurs chefs pressèrent-ils Solon d’accepter la tyrannie et l’engagèrent-ils à gouverner plus hardiment une ville dont il serait le maître” (14, 4). La ruse de l’égalité, c’est de contenter chacun après avoir mécontenté tous : “Il ne satisfit aucun des deux partis” (16, 1) ; “Toutefois, les Athéniens ne tardèrent pas à reconnaître l’utilité des mesures prises” (16, 5). Parmi ces lois “faites pour cent ans” il y avait celle-ci : “Si un homme avait été frappé, lésé ou violenté, il était permis à qui le pouvait et le voulait d’assigner et de poursuivre le coupable. Le législateur, avec raison, avait voulu par là accoutumer les citoyens à ressentir et à partager, comme étant les parties d’un seul corps, les maux les uns des autres” (18, 6).

“Mais Solon accommodait les lois aux choses plutôt que les choses aux lois” (24, 2). C’est à propos de sa “gestion économique” que Plutarque fait cette remarque. Tirant de pratiques empiriques des règles d’organisation : “La ville se remplissait d’étrangers qui ne cessaient d’affluer de toutes parts en Attique pour y jouir de la sécurité, mais la plus grande partie du sol était infertile et médiocre et les marchands qui faisaient le commerce maritime n’importaient habituellement rien pour ceux qui n’avaient rien à leur donner en échange. Voyant cela, Solon tourna ses concitoyens vers l’artisanat et fit une loi qui dispensait un fils de nourrir son père quand celui-ci ne lui aurait pas fait apprendre un métier” (22, 1). “Il entoura les métiers d’une grande considération et chargea le Conseil de l’Aréopage d’examiner d’où chacun tirait ses moyens d’existence et de punir les oisifs” (22, 3). “La beauté de la loi, [qui] fait régner partout l’ordre et l’harmonie”, se soutient d’une nouvelle donne économique où la valeur d’échange et la monnaie de compte tiennent une part essentielle. À Sardes, sur les rives du Pactole, dans la deuxième moitié du septième siècle, Ardys, fils de Gygès, avait fait frapper à son sceau des pièces d’électrum (or blanc à 27 % d’argent). Grâce à cet anneau de Gygès qui imprime son pouvoir d’égalisation à son possesseur en lui permettant de se rendre invisible, ce n’est plus la naissance, c’est l’échange qui fait l’homme.

À Athènes, remarque l’observateur désabusé de la République des Athéniens, rien ne distingue extérieurement les hommes et, conséquence extrême de cette indifférenciation, le système exige qu’on soit “les esclaves des esclaves”. Ce patricien anonyme, adversaire de la démocratie, souligne la relation de nécessité existant entre la structure sociale d’Athènes et ses institutions politiques. Ce n’est pas par absence de discernement, explique-t-il, qu’on donne le droit de parole à tous, indistinctement, à Athènes, c’est au contraire une “excellente mesure” (I, 6). Si l’on considère, en effet, que “tous les Athéniens sont devenus des marins” (I, 19), que ce sont les pilotes, les chefs de nage, les vigies de la proue, les constructeurs de navires qui font la puissance de la cité, (davantage que les hoplites, les nobles et les “honnêtes gens”), “il paraît juste que les pauvres et le peuple l’emportent sur les nobles et les riches... que tout le monde participe aux magistratures par tirage au sort ou par élection et que la parole soit accordée à tout citoyen qui la demande” (II, 2). “Personnellement, conclut-il, j’excuse le peuple d’être démocrate, car chacun est excusable de rechercher son intérêt”. La primauté d’Athènes dans le contrôle des échanges et dans la maîtrise de la mer coïncidera, de fait, avec la forme la plus achevée de la démocratie. À l’inverse, les Trente, qui mirent fin au régime démocratique, firent détruire les arsenaux maritimes. Avant de devenir une question d’école – savoir l’influence de la marine sur les mœurs (par exemple : Lois, 706a et s.) l’option maritime révèle une option stratégique et économique qui engage la forme des institutions. Voulant doter la cité d’une marine puissante, commente Plutarque, Thémistocle “suivait une politique opposée à celle des anciens rois d’Athènes. On dit en effet que ceux-ci, s’évertuant à détourner les citoyens de la mer et à les habituer à vivre, non de la navigation, mais de l’agriculture, avaient répandu le récit selon lequel Athéna, disputant le pays à Poséidon avait montré l’olivier sacré aux juges et remporté ainsi la victoire”. Thémistocle “donna par là de la force au peuple contre les nobles et les remplit d’audace, en faisant passer le pouvoir aux mains des matelots, des chefs de rameurs et des pilotes. C’est pour cela aussi que la tribune qu’on avait construite à la Pnyx en l’orientant vers la mer fut par la suite retournée vers la terre par les Trente, qui pensaient que l’empire maritime engendrait la démocratie et que l’oligarchie inspirait moins d’aversion aux cultivateurs” (Vie de Thémistocle, 19, 3-6). (L’édition Flacelière, Chambry, Juneaux du texte de Plutarque note : “Des fouilles exécutées à la Pnyx en 1930-1931 ont montré, en effet, qu’un déplacement et un changement d’orientation de la tribune ont dû être effectués vers l’époque des Trente de telle façon que l’orateur, qui, au Vème siècle, regardait vers le Sud (i. e. dans la direction de la mer) fût tourné ensuite vers le nord-est [...] Les Trente firent démolir les chantiers et arsenaux maritimes d’Athènes” (1961 : 226)).

L’invention politique est fille de nécessité. Du laboratoire de la colonie à la réforme constitutionnelle, la pensée grecque a conçu et mis en œuvre, dans un monde agité de révolutions, de conflits, de mutations économiques, de crises morales et intellectuelles des lois propres à “faire régner l’ordre et l’harmonie”. Athènes, cette “république d’avocats” (selon les termes du procès instruit par la philologie prussienne), a inventé le droit constitutionnel et considérait, par la bouche de Socrate-Diotime, que la conception des constitutions était l’œuvre d’“hommes divins”. La démocratie est la réponse grecque à la désacralisation du cosmos et de l’espace social, à l’instauration de nouvelles pratiques économiques. La science politique grecque ne fait pas seulement partie du patrimoine de l’humanité comme le Taj-Mahal, Lascaux ou Borobudur, la statuaire d’Ifé ou d’Angkor, la Bhagavad Gîtâ ou Genji Monogatari, témoins de la fulgurance humaine dans l’histoire sans conscience de la matière et de la vie, si elle nous livre aussi des témoignages et des clés pour le présent.

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La colonisation grecque est une migration de la pauvreté, une expansion démographique. Les analyses et les commentaires dont nous avons fait état, ceux-là mêmes de la science politique grecque, l’établissent. L’exacerbation des conflits politiques ici rappelés, de même, trouve son explication dans la crise économique et dans la “multiplication des indigents” au point que l’opposition des riches et des pauvres, des deux cités dans la cité, dira Platon (République, 422 e), exclusives l’une de l’autre et vivant à l’intérieur des mêmes murs, semble épuiser la théorie politique : “La prédominance de l’une ou l’autre [classe], remarque Aristote, décide de la forme de gouvernement, au point qu’il semble à l’opinion commune qu’il n’y ait que deux formes de gouvernement : la démocratie et l’oligarchie”. Replacées dans la longue durée, la pression démographique – la fatalité démographique – et la colonisation grecque prennent un autre sens si on les comprend dans l’histoire du peuplement. N’est-il pas significatif, alors que le nombre d’hommes vivant aujourd’hui sur la planète a été multiplié plus de mille fois depuis la révolution néolithique, que l’invention de la science politique soit liée à l’insuffisance des terres pour nourrir les hommes, aux migrations de la subsistance et à l’établissement de nouveaux modes de production ?

Alors que la question démographique constitue l’épreuve majeure de la civilisation, la génétique des populations, qui permet de reconstituer les grands courants de la diffusion de l’homme moderne sur la planète et, plus précisément pour le sujet qui nous occupe, l’histoire et les modalités de la diffusion de l’agriculture du Moyen-Orient vers l’Europe, peut ici être mise à profit pour la compréhension de la longue durée et la recherche des déterminismes sociaux. Les cartes génétiques font ainsi apparaître des gradients exprimant une expansion des populations néolithiques vers les zones habitées par des chasseurs-cueilleurs, c’est-à-dire du “croissant fertile” vers l’Europe où étaient arrivées, plusieurs dizaines de milliers d’années auparavant, des populations mésolithiques. Le recours à la domestication a probablement été imposé aux hommes par le tarissement des ressources ou par des modifications climatiques. Cette contrainte est paradoxalement à l’origine de la première révolution démographique. “Le métier de chasseur n’est point favorable à la population”, notait Rousseau dans l’Essai. La densité de population des paysans néolithiques était vraisemblablement dix à cinquante fois supérieure à celle des derniers chasseurs. Ce qui s’explique aisément par le fait que l’agriculture a permis à l’homme de se sédentariser et de s’affranchir ainsi du contrôle des naissances qu’imposent les déplacements fréquents. Comme ceux d’aujourd’hui, qui espacent les grossesses par le recours à l’allaitement prolongé et des règles d’évitement sexuel jusqu’à ce que l’enfant soit en âge de se déplacer, les chasseurs-cueilleurs de la préhistoire devaient maintenir leur population à un niveau à peu près constant. L’accroissement démographique, charge et servitude pour la recherche et l’exploitation des ressources naturelles, devient une supériorité dans la production organisée de nourriture. L’expansion des agriculteurs, qui s’est poursuivie jusqu’au siècle dernier par les migrations européennes, a dû commencer dès que les premières concentrations urbaines ont fait apparaître un seuil alimentaire justifiant l’émigration d’une partie de la population vers des régions vierges d’exploitation. L’établissement des colonies dans le cours du premier millénaire dont il a été question ici a été précédé par d’autres vagues (bien qu’il n’existe que peu d’indices archéologiques – d’ailleurs discutés – de la continuité de ce peuplement). La génétique historique, qui confirme la thèse de l’expansion démique (Sokal, Oden, Wilson, 1991), et non pas culturelle de l’agriculture : l’expansion des agriculteurs et non la conversion des chasseurs, nous permet d’embrasser d’un seul regard le peuplement de la planète. Une seule humanité, une seule histoire. Une seule terre.

Ces considérations, sans doute éloignées des discussions historiques, juridiques ou philosophiques dont relèvent les événements rapportés dans ces pages, ont pour objet de mettre en évidence la signification anthropique de données perçues comme relevant d’une aveugle nécessité. La question de l’organisation sociale se pose peut-être en d’autres termes, avec une autre force, dans la longue durée. On a parfois comparé l’Académie de Platon à Sciences Po et sans doute est-ce la première fois que la technique politique fit l’objet d’une réflexion systématique et d’un enseignement. Que nous apprend la science politique des Grecs ? Outre l’enseignement de ses œuvres, dont la plus étonnante est probablement la réforme de Clisthène, cette utopie réalisée, elle nous expose les conditions minimales du contrat social. L’étude de Jean Mas sur le Code Napoléon à Maurice montre, dans cette idée, comment la loi, instituant le partage de l’espace privé et de l’espace public et neutralisant cet espace commun, peut être, comme le mur de la ville l’est contre l’envahisseur, une protection matérielle contre le déchaînement des violences intérieures. Une telle neutralisation n’est possible que parce que la loi, commune à des populations déplacées ou déportées qui tentent à la fois de ressaisir une identité déniée et de vivre ensemble sous une Constitution qui reconnaît la multi-communalité comme un fait premier, est elle-même neutre. “C’est par le silence, écrit le Doyen Carbonnier (1981 : 331, cité par Mas, 1993 : 40) que le Code exprime son idéologie... Il ne dit rien de l’Eglise et cela suffit pour établir la laïcité du droit civil, ce qui était en 1804 une innovation sans précédent”. Cette laïcisation de l’espace social, bien que le Code ne réponde à aucune des questions fondamentales que nous nous posons – et ne satisfasse la religion d’aucun des contractants – est propédeutique à la formation d’une conscience civique. Inhibition, au sens éthologique du mot, des servitudes de la territorialité exaltées par la religion, elle doit permettre aux hommes, cohabitants de la ville planétaire, de coexister. La constitution met en quelque sorte le mur de la ville en chaque citoyen en lui montrant la nécessité de tempérer ce sectarisme, religieux ou communautaire, vital entre soi et mortel en société qui, jusqu’alors, organisait l’espace social. “Car la constitution est la nourriture des hommes”, dit Platon (Ménéxène, 238 c ; sur la phraséologie du Ménéxène, vide infra : chapitre 16 : Droit au sol et mythes d'autochtonie). Mammifère territorial avant d’être l’“animal politique” caractérisé par Aristote, l’homme moderne doit apprendre à vivre en citoyen du monde – concept dû aux Stoïciens d’ailleurs. Le silence des passions privées que deviennent aussitôt les passions religieuses dans un monde plein, multiple et métissé s’impose dans l’espace sacré de l’entente civile, quand la religion se déplace de la communauté à la société. Que le droit moderne, édifié sur une une désacralisation du cosmos, une déterritorialisation du droit et sur l’invention d’un espace public ait permis la constitution de l’empire des signes monétaires et, partant, une reterritorialisation du lien social par l’argent ainsi qu’un saccage des ressources de la planète ne doit pas nous masquer le fait qu’il constitue pourtant, formellement sans doute, par sa neutralité unificatrice quand l’œcuménisme religieux est particularisant, un outil approprié à la mitoyenneté d’aujourd’hui. Pour que naisse cette conscience commune dont la communication entre les hommes présuppose la réalité.

Il a été fait allusion ici à l’histoire du peuplement de la planète par homo sapiens. Un résultat spectaculaire de la recherche sur ce sujet est le recouvrement des cartes génétiques et des cartes linguistiques exprimant l’expansion humaine. L’étude de la distance génétique et de la distance linguistique entre les populations dispersées sur le globe permet, en effet, de reconstituer l’arbre de la différenciation des hommes et des langues, et l’idée chimérique de retrouver la langue-mère, que le célèbre article 2 des statuts de la Société Linguistique de Paris, fondée en 1866, invalidait légitimement en refusant toute “communication concernant soit l’origine des langues soit la création d’une langue universelle”, est justiciable aujourd’hui d’une approche positive. Des systématiciens ont proposé le beau nom de Nostratique pour désigner cette langue originelle, bien évidemment hypothétique. Constatons que l’utopie de la “conscience planétaire” n’appelle, après tout, qu’à la réunification de la famille humaine. Et que la multiplicité et la multiplication des conflits “ethniques”, “tribaux”, “raciaux”, “religieux” ou “communalistes”, qui montrent à l’envi l’irréalisme de cette espérance, en démontrent superfétatoirement la nécessité.


(Repris et développé de : Droit et Anthropologie de la complexité, ouvr. collectif, Économica, 1996, Paris.)




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