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anthropologie du droit
ethnographie malgache
Bernard CHAMPION

présentation
3 Éléments d'Ethnographie Réunionnaise
Mots clés : Créolité Ancestralité Citoyenneté Départementalisation Patrimoine
Champs : Anthropologie du développement Anthropologie de l'image Patrimoine
Sociétés créoles Histoire postcoloiale Sociologie des institutions


1- Vingt ans après

2- Barreaux (en construction)
architecture créole

3- "Types de la Réunion" (en construction)
(don à la Société de Géographie du 6 novembre 1885)

4- Ancestralité, communauté, citoyenneté :
les sociétés créoles dans la mondialisation (dossier pédagogique)

5- Madagascar-Réunion :
l'ancestralité (dossier pédagogique)

6- Ethnographie d'une institution postcoloniale :
Contribution à l'histoire de l'université de la Réunion (1991-2003)


 

La France, ses langues et la charte européenne
 
Articles, réactions et débat à propos de

la charte européenne des langues régionales

(Juin 1999)


Revue de presse présentée par la Fédération pour les langues régionales dans l’enseignement public (FLAREP)


Avant Propos par Thierry Delobel, Président de la FLAREP?*

M. Chirac refuse à M. Jospin la révision constitutionnelle pour la protection des langues régionales?*

Charles Pasqua s’est " réjoui " de la décision du chef de l’Etat?*

" BALKANISER LA FRANCE "?*

La Charte contraire à la Constitution?*

Pierre Méhaignerie plaide pour une réforme de la Constitution. Alors que L’UDB met en cause la gauche.?*

Bernard Poignant se dit " choqué "?*

" Souveraineté nationale " et " diversité culturelle "?*

Sept ans de réflexion?*

La Charte des langues régionales est jugée non conforme à la Loi fondamentale par le Conseil constitutionnel?*

Langues régionales : M. Jospin et M. Chirac se renvoient la balle?*

Lionel Jospin maintient le cap sur la charte des langues régionales?*

Moderne et équilibrée?*

Les langues régionales cassent la France politique?*

Le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques pour une révision de la Constitution?*

" Un combat d’un autre temps "?*

Concert de protestations après le refus du président Chirac par Jean-Pierre ALTIER?*

La fronde des Bretons?*

Charte européenne: vives réactions au Pays basque, du RPR aux séparatistes?*

Langues régionales : Levée de boucliers des élus bretons?*

FOCUS-Langues/Constitution - Chirac rejette la demande de Jospin?*

Chevènement contre la " balkanisation "?*

La ratification de la Charte ne faisait pas l’unanimité au sein de la majorité plurielle.?*

Projet Jospin de révision de la Constitution: " un geste qui ne coûte pas cher ", selon Noël Mamère?*

Dépêches régionales?*

Pasqua et de Villiers : réjouissance?*

Le débat sur les langues régionales s’intensifie?*

Les Verts - Communiqué à la presse du 12 mai 1999?*

Charte européenne des langues régionales ou minoritaires?*

Communique de presse du Ministère de la Culture?*

Les langues régionales métropolitaines et d’Outre-mer?*


Débats?*


Une charte et des fantasmes : le traité européen en faveur des langues régionales ne contient aucun des périls brandis par les souverainistes.?*

Mise en garde.?*

Mal lu.?*

Reconnaissance.?*

Chirac no revisanc’h lou constitutioak : la charte européenne des langues régionales ne sera pas ratifiée.?*

Entente.?*

Querelle.?*

Les grognons de la République : leurs vitupérations, souvent contradictoires, finissent par lasser.?*

Vive les souverainistes !?*

Pizza et café.?*

Inconséquence.?*

Cher payer.?*

La République sera multiculturelle?*

Une et francophone?*

Pour ou contre la Charte sur les langues régionales?*

La France demeure la prison des peuples?*

Lettre à M. Sarre, qui croit sauver la langue française?*

Un entretien avec M. Jean-Yves Cozan?*

Le dossier du mois du Mouvement pour la France 67?*

Première partie :?*

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ainsi que la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales relèvent d’une conception de la citoyenneté qui n’est pas celle de la République française.?*

Tout se dire entre amis?*

La Charte : une boîte de Pandore?*

Une confusion volontairement entretenue?*

" Minorité nationale " : un concept irrecevable en droit français?*

2ème partie : L’étroit bilinguisme français-allemand proposé en Alsace relève davantage d’un projet politique, celui dit de l’Europe des régions, que d’un projet pédagogique lui-même très controversé.?*

Alsace, province de France?*

" Alsace, une zone de dangers "?*

" Vers un nouvel ordre ‘ethnique’ ? "?*

De Gauche à Droite?*

" Contre l’Europe des féodalités "?*

Le bilinguisme ‘paritaire’ : pédagogie ou politique ??*

Service public et égalité des chances...?*

" Apprendre la langue du voisin " : qu’en est-il outre-Rhin ??*

L’Alsace est une terre d’immigration?*

Le bilinguisme officiel : une expérience d’apprenti sorcier?*

La sagesse?*

Collectif pour l’Avenir des Langues de France (CALF)?*

Contre la récupération des revendications des cultures minorées par le F.N.?*

Déclaration?*

Ministère de la Culture :?*

La valorisation des langues régionales?*

En savoir plus sur les textes relatifs aux langues régionales?*

Mouvement " Europe & Laïcité "?*

Etudes et points de vue : La Charte des Langues Régionales?*

Analyse critique par R. Andrau?*

I) Des motivations discutables.?*

II) Du culturel au politique?*

III) Plusieurs niveaux d’application: un leurre.?*

IV) Une philosophie anti-républicaine.?*

V) Une catastrophe politique.?*

Conclusion: le rejet.?*

Remarques supplémentaires, par B. Courcelle.?*

Note de lecture : Vers un nouvel ordre " ethnique " ??*

Autres observations.?*

L’actualité nous donne raison.?*

Régionalisme et idéologie :?*

Sur l’abandon (définitif ?) de la Charte suite à la décision du Conseil Constitutionnel.?*

3. La Charte des Langues Régionales : Ce que la France accepte et nos critiques (seconde partie)?*

Du nouveau: Le Conseil Constitutionnel rejette la Charte des Langues régionales (le 15.6.1999). La Charte ne sera pas ratifiée. Extraits de son communiqué de presse :?*

D’autre part, il observe dans les attendus de la décision:?*

Nos commentaires (sur les articles signés).?*

Quelle mise en pratique en sera faite??*

L’enseignement?*

Médias et culture?*

L’interdiction d’interdire?*

Une intention politique?*

L’abandon de la Charte des Langues Régionales?*

1. Mercredi 23 juin 1999: J. Chirac refuse la révision constitutionnelle qui serait nécessaire pour que la charte soit ratifiée.?*

2. Commentaires de B. Courcelle?*

3.Une pétition que nous avions proposée.?*

4. Réponses à des " réactions vives " de lecteurs.?*

5. Pour vous faire plaisir, vous pourrez réécouter G. Brassens vitupérer " Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part "?*

6. Communiqué d’E.Pion.?*

Communiqué?*

Un autre aspect du problème ne peut être passé sous silence parce qu’il est lourd de conséquences : quelle vision de l’Europe se dessine en filigrane de ce mouvement en réalité authentiquement réactionnaire ??*

Droit des minorités versus cohésion nationale?*

La politique des langues régionales et minoritaires?*

Les langues régionales deviennent un enjeu politique?*

Un engagement prudent?*

EDITORIAL?*

La France s'exprime en 75 langues?*

L'ennemi des langues, c'est la langue?*

Langues régionales : un péril communautariste ??*



 

Avant Propos par Thierry Delobel, Président de la FLAREP


En ce début d'été 1999, on n'aura jamais autant parlé des langues régionales qu'à l'occasion de la signature par la France de la Charte Européenne du même nom. L'occasion pour certains de raviver des querelles vieilles de deux cents ans ou pour d'autres de plaider pour une attitude plus ouverte de l'État-Nation face à ses langues que tous s'accordent à reconnaître comme faisant partie de notre patrimoine commun.



À protéger dans des "musées" ou à faire vivre dans la rue ?


Cette revue de presse vous donnera un aperçu des opinions émises sur ce sujet avec, pour qui concerne la FLAREP, le regret que soit trop souvent oubliée la demande des familles dans les régions concernées. En Bretagne, en Alsace et Moselle, en Catalogne, en Corse, dans l'espace Occitan ou le Pays Basque, faire apprendre la langue régionale répond chez des parents à un profond désir de récupérer une langue et une culture affectivement proches, permet de s'identifier à une collectivité que la mondialisation "à tout va" aura rapproché de l'individu à la recherche de repères et de donner à ses enfants le meilleur du bilinguisme précoce (apprendre deux langues pour en apprendre d'autres), souvent utile dans des bassins d'emploi de proximité.



À mieux les connaître, on s'aperçoit que les langues régionales méritent un traitement moins politique, plus raisonné. Les évaluations réalisées année après année par les inspections académiques ne montrent-elles pas que les élèves bilingues précoces ont de meilleurs résultats en français que leurs camarades unilingues !!



Il serait temps de se rendre à l'évidence que le français et les langues régionales ont bel et bien une destinée liée.


 

Thierry Delobel

Président de la FLAREP.

 

M. Chirac refuse à M. Jospin la révision constitutionnelle pour la protection des langues régionales

Charles Pasqua s’est " réjoui " de la décision du chef de l’Etat

Le chef de l’Etat a indiqué, mercredi 23 juin dans un communiqué, qu’il ne souhaitait pas " prendre l’initiative d’une révision constitutionnelle qui porterait atteinte aux principes fondamentaux de la République ", tout en se déclarant favorable à la reconnaissance des langues régionales. La demande de révision de la Constitution lui avait été présentée, dans la matinée, par le premier ministre, Lionel Jospin.

Mis à jour le jeudi 24 juin 1999



EN PROPOSANT, mercredi 23 juin, à Jacques Chirac de modifier la Constitution en vue de permettre l’adoption par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, Lionel Jospin n’ignorait pas qu’il allait au devant d’un refus éventuel du chef de l’Etat. Les jours précédents, le cabinet du président de la République avait été informé de l’intention du premier ministre.

" Il y a des objections de fond dans la décision du Conseil. Il faut se poser la question sur ce qui est prioritaire : l’adoption de la Charte ou le respect des grands principes de la République ", expliquait-on, mardi, dans l’entourage présidentiel.

Dans sa décision, rendue publique mercredi 16 juin, le Conseil constitutionnel soulignait que le préambule de la Charte était incompatible avec l’article premier de la Constitution, qui dispose que " la France est une République indivisible " et l’article 2 qui mentionne que " la langue de la République est le français ". Lors de leur tête-à-tête hebdomadaire, mercredi, Lionel Jospin n’a pas soumis au chef de l’Etat un projet de révision de ces deux articles. Le premier ministre envisageait d’adjoindre à la Constitution un nouvel article, qui donnerait à la France la possibilité de souscrire aux engagements de la Charte avec les réserves émises lors de sa signature par le ministre des affaires européennes, Pierre Moscovici, le 7 mai à Budapest. Ce procédé est le même que celui envisagé pour la révision constitutionnelle en vue de la reconnaissance, par la France, de la Cour pénale internationale, qui sera soumise au congrès le 28 juin ( Le Monde du 24 juin)et à laquelle le chef de l’Etat a donné son aval.

Pour autant, Lionel Jospin n’a pas été " surpris ", selon sa propre expression, par le commmuniqué de l’Elysée, publié en fin d’après-midi, mercredi, qui indiquait que Jacques Chirac " ne souhaite pas prendre l’initiative d’une révision constitutionnelle qui porterait atteinte aux principes fondamentaux de la République ". " Cependant, ajoute le communiqué, le président de la République considère que l’on peut parfaitement reconnaître aux langues régionales leur place dans le patrimoine culturel sans qu’il soit nécessaire de modifier notre Constitution et sans remettre en cause l’unité de la nation ".

L’Elysée a attendu la fin de la séance des questions d’actualité, l’après-midi à l’Assemblée nationale, pour faire connaître sa décision, laissant ainsi au premier ministre le soin de défendre sa position. Répondant à une question de Jean-Yves Le Drian (PS Morbihan), Lionel Jospin a indiqué qu’il avait le matin même soumis un projet de révision constitutionnelle au chef de l’Etat. Il s’est défendu de " remettre en cause la République ", de " vouloir porter atteinte à l’unité nationale " ou " d’affaiblir la langue française qui est la langue de la République ".

" BALKANISER LA FRANCE "

Le matin, à l’issue du conseil des ministres, Jean-Pierre Chevènement avait estimé que vouloir donner un statut aux langues régionales reviendrait " à balkaniser la France ". Le ministre de l’intérieur, dont le parti, le MDC avait suscité une pétition d’intellectuels, ces derniers mois contre la ratification de la Charte, estime possible de favoriser les langues régionales " sans réformer la Constitution ". L’hostilité farouche de M. Chevènement à la Charte, connue de longue date par Matignon, n’a jamais ébranlé, dit-on, la détermination de M. Jospin à la faire ratifier. " M. Chevènement appartient au gouvernement qui a signé cette charte ", soulignait-on auprès du premier ministre.

Le premier ministre estime qu’il aura été jusqu’au bout de sa logique. " S’il y a refus [du président], il y aura eu demande ", expliquait-on, à Matignon, avant même le communiqué de l’Elysée. Dans l’entourage de M. Chirac, on souligne aussi la continuité de la démarche. " On peut être favorable à la Charte comme c’est le cas pour le chef de l’Etat. Et saisir le Conseil constitutionnel ", explique-t-on.

" Dans cette affaire, tout le monde fait de la politique ", constatait, ironique, François Hollande, premier secrétaire du PS, dans les couloirs de l’Assemblée nationale. Les réactions, en effet, n’ont pas tardé. Charles Pasqua, en déplacement dans les Bouches-du-Rhône, s’est sobrement " réjoui ", mercredi, de la décision du président de la République, en se disant opposé à un texte " qui opposerait la région à la nation ". L’un de ses partisans, le député (RPR) des Hauts-de-Seine Jacques Myard, avait été plus vif, quelques heures auparavant, en dénonçant la Charte : " Si on l’applique en France, on va aboutir à la balkanisation de l’unité linguistique et aussi de l’unité politique. "

Si l’UDF, par la voix d’André Santini, député des Hauts-de-Seine, a simplement jugé " dommage " que " le dossier n’avance pas ", Démocratie libérale a affiché sa désapprobation après le choix du chef de l’Etat. Avant que l’Elysée ne le fasse connaître, Claude Goasguen, porte-parole de DL, avait demandé à M. Chirac de " proposer la modification de l’article 2 de la Constitution, conformément aux engagements qu’il avait pris lors de son déplacement en Bretagne en 1996 ". Le refus du chef de l’Etat n’a pas fait fléchir DL. Le président de son groupe, à l’Assemblée nationale, José Rossi, a proposé, comme le permet la Constitution, que ce soient les parlementaires eux-mêmes qui prennent l’initiative de la révision constitutionnelle. " Il y a aujourd’hui dans notre pays un clivage fondamental entre ceux qui restent repliés frileusement sur un esprit jacobin centralisateur et réducteur et ceux, de plus en plus nombreux, qui choisissent une France moderne ouverte à la diversité et à la liberté ", indique le communiqué de M. Rossi. Le souhait de DL trouve un écho à gauche, puisque neuf députés socialistes de Bretagne se sont engagés, mercredi, dans un communiqué, à déposer, " dans les délais les plus brefs " une telle proposition.

Quant au RPR, il n’a pu dissimuler sa gêne. Dominique Perben, député de Saône-et-Loire, s’est agacé d’un " débat franco-français " : " Nous avons à la fois un problème politique, un faux débat idéologique, donc nous avons tous les ingrédients pour occuper le terrain et pour ne pas parler de vrais sujets ", a-t-il observé.

Cécile Chambraud et Béatrice Jérôme, Le Monde


 

La Charte contraire à la Constitution

Ouest France, Lundi 21 juin 1999.

Pierre Méhaignerie plaide pour une réforme de la Constitution. Alors que L’UDB met en cause la gauche.

 

Pierre Méhaignerie, Président de l’Union pour le Grand-Ouest observe que " la décision du Conseil constitutionnel n’est que la conséquence de notre système législatif uniforme (...) Aujourd’hui, cette conception de la loi ne répond plus toujours à l’intérêt général ni à la recherche de l’équité (...) Il manque dans la Constitution des dispositions permettant aux initiatives locales de se développer. Nous l’avons constaté à propos du financement des lycées Diwan ". Pierre Méhaignerie en conclut que " la solution passe par l’introduction dans la Constitution de dispositions sur le droit à l’expérimentation ". À l’automne, il déposera donc " une proposition de loi constitutionnelle allant dans ce sens " et il " souhaite être soutenu par un maximum d’élus du Grand-Ouest et de toutes sensibilités ".

L’UDB constate que dans cette affaire "les intégristes de la gauche plurielle mènent le bal". Pour le parti breton, " le procès d’intention fait à Jacques Chirac n’est qu’un leurre pour masquer les contradictions internes du PS. Nous n’accepterons pas que les querelles politiciennes entre droite et gauche servent de prétexte pour un enterrement de première classe de la Charte ".

Bernard Poignant se dit " choqué "

Vendredi 18 juin 1999. La Charte européenne des langues et cultures régionales comporte des clauses contraires à la Constitution. Cette décision du Conseil constitutionnel en déçoit plus d’un. Le maire de Quimper, Bernard Poignant, la qualifie même de " radicalement jacobine ". C’est lui qui avait rédigé pour Lionel Jospin le rapport sur les langues régionales.

" La parole présidentielle est-elle une parole de légèreté ? " interroge Bernard Poignant. " Le 29 mai 1996, à Quimper, Jacques Chirac s’était déclaré personnellement favorable à la signature de la Charte. Il aurait dû savoir qu’elle n’était pas conforme à la Constitution. En plus, c’est lui qui a choisi de saisir le Conseil : il n’était pas obligé et il aurait pu laisser le débat parlementaire se dérouler… On ne laisse pas monter des espoirs, si c’est ensuite pour leur scier les pattes. Et, avec son calendrier printanier et européen, il a tout fait pour cela. Le 20 mai, quand il a saisi le Conseil, il savait que l’avis ne serait pas rendu avant le 13 juin. Il a voulu satisfaire les jacobins sans décevoir les girondins. "

Bernard Poignant se dit " choqué " par ce qui se passe : " En déclarant que certaines clauses de la Charte sont contraires à l’indivisibilité de la République, à l’égalité devant la loi et à l’unicité du peuple français, le Conseil a fait très fort. Si on le suit, demain matin, il faut fermer les écoles Diwan, les classes bilingues du public et du privé. Il faut arrêter les émissions en langue bretonne de RBO et de France 3. La République est une et indivisible, sauf en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie, en Corse, en Alsace et en Lorraine… Sauf, sauf, sauf… Cet avis est un véritable marteau-pilon. Que la langue française reste la langue officielle, personne ne demande à changer ça. Mais là, ils ont poussé le bouchon très loin. "

Pour contourner l’obstacle, Bernard Poignant évoque deux possibilités :

" 1. Le gouvernement peut réfléchir à une modification constitutionnelle et la proposer au président de la République.

2. Le Président envisage lui-même un projet de loi sur l’enseignement, la culture et les médias qui ne parle pas de la langue utilisée dans l’administration. " Une chose est sûre : " Il ne faut pas lâcher le morceau. "

Jean-Yves Le Drian, porte-parole des socialistes bretons, trouve que le Conseil fait " preuve d’une conception très intégriste et très réductrice de la République ". L’argumentaire développé par les Sages " ne manque pas d’étonner, dit-il, quand, par ailleurs, la monnaie, compétence régalienne, a été transférée à l’Union européenne sans entacher le principe de souveraineté ". Observant que " des précautions avaient été prises par l’ajout d’une déclaration interprétative et par le choix des articles de la Charte pour s’assurer de leur compatibilité avec la Constitution ", Jean-Yves Le Drian pense que " le traité pouvait être ratifié en l’état. D’autant plus qu’à Rennes, le 5 décembre, Jacques Chirac s’était fait à la fois le chantre de la culture bretonne… et du droit à l’expérimentation ! Craignait-il vraiment que 60 parlementaires de sa propre sensibilité s’opposent au traité en saisissant eux-mêmes le Conseil constitutionnel ? "

Le chef de file du PS breton — qui sera reçu par le Premier ministre à ce sujet mardi — demande une modification de la Constitution. Mais il note qu’" à cette date, les seules révisions qui aient abouti ont eu pour origine une initiative du président de la République ". Il pose donc la question : " Le Président compte-t-il traduire son discours de Rennes par des actes ou faudra-t-il que les parlementaires s’en chargent ? "

Les Verts de Bretagne regrettent qu’on ne les ait pas écoutés en août dernier lorsqu’ils avaient déposé une proposition de loi constitutionnelle suggérant d’ajouter la mention suivante au fameux article 2 : la République reconnaît et valorise les langues et les cultures régionales. Ils demandent " qu’on procède à cette modification le plus rapidement possible ".

Piero Rainero, secrétaire régional du PCF, pense que " reconnaître leur place aux langues minoritaires, par la ratification de la Charte, est un impératif démocratique " et qu’" une telle approbation découle des droits de la personne… "

Frankiz Breizh exprime " un sentiment de colère et d’humiliation " et se déclare " confortée dans (son) pour un véritable pouvoir régional, autonome ". à Evit Karta Europa, il demande " non pas un amendement de la Constitution, mais une véritable réforme prévoyant la suppression du Conseil constitutionnel ".

Josselin de Rohan, le président de la Région, se " favorable à une révision de la Constitution. Il est clair, écrit-il, qu’une réforme est nécessaire afin que la Charte puisse être ratifiée comme le gouvernement s’y était engagé ".

 

" Souveraineté nationale " et " diversité culturelle "

 

Dans son préambule, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires affirme que la " protection " de ces langues, " dont certaines risquent, au fil du temps, de disparaître, contribue à maintenir et à développer les traditions et les richesses culturelles de l’Europe ". " Le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique constitue un droit imprescriptible ", ajoute le préambule, qui souligne toutefois que " la protection et l’encouragement " de ces langues " ne devraient pas se faire au détriment des langues officielles et de la nécessité de les apprendre ".

Cette " protection ", est-il précisé, représente " une contribution importante à la construction d’une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle, dans le cadre de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale ".

 

Sept ans de réflexion

 

* 5 novembre 1992. Le Conseil de l’Europe adopte la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Dix-huit pays la signent, sept la ratifient.

* 29 mai 1996. Jacques Chirac, à l’occasion d’un dîner à huis clos avec des parlementaires bretons, approuve le principe de cette Charte que la France a jusqu’à présent toujours refusé de signer.

* 24 septembre. Le Conseil d’Etat, saisi par le premier ministre Alain Juppé, rend un avis négatif sur le texte, en s’appuyant sur l’article 2 de la Constitution, selon lequel " la langue de la République est le français ".

* 1er juillet 1998. Bernard Poignant, maire PS de Quimper, présente au premier ministre un rapport qui défend les parlers régionaux comme " patrimoine " de la République, propose au gouvernement de ratifier la Charte mais soulève quelques questions d’ordre constitutionnel.


* 6 octobre. Guy Carcassonne, professeur de droit constitutionnel et ancien conseiller de Michel Rocard, qui s’est vu confier une mission d’expertise juridique par Lionel Jospin, estime que la nature de la Charte autorise chaque Etat à " choisir " les alinéas qu’il souhaite adopter, en conformité avec sa propre Constitution.

* 7 mai 1999. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, signe, à Budapest, la Charte au nom de la France avec un blanc-seing officiel de M. Chirac.

* Cette signature est assortie d’une déclaration liminaire restrictive, conformément aux recommandations de M. Carcassonne. La veille, l’Elysée annonce que M. Chirac a saisi le Conseil constitutionnel.

* 15 juin. le Conseil constitutionnel juge que la Charte européenne comporte des clauses contraires aux articles 1 er et 2 de la Constitution et souligne que " le principe d’unicité du peuple français (...) a valeur constitutionnelle ".


Le Monde daté du vendredi 25 juin 1999

 

La Charte des langues régionales est jugée non conforme à la Loi fondamentale par le Conseil constitutionnel

 

La France devra réviser la Constitution avant toute ratification



Saisi par le chef de l’Etat, le Conseil constitutionnel a rendu publique, mercredi 16 juin, sa décision concernant la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée par la France le 7 mai. Les juges constitutionnels ont, en effet, rappelé que les engagements souscrits par la France dans le cadre de ce texte sont contraires à plusieurs principes fondamentaux, dont l’indivisibilité de la République

Mis à jour le jeudi 24 juin 1999


VOILÀ DONC le président de la République et le gouvernement " au pied du mur ", comme n’ont pas manqué de le souligner, mercredi 16 juin, les régionalistes de l’Union démocratique bretonne. En fin de journée, en effet, le Conseil constitutionnel a jugé que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, que la France a signée le 7 mai, n’était pas conforme à la Constitution. Si les autorités françaises souhaitent aller jusqu’au bout de la ratification de cette Charte, elles devront en passer par la procédure lourde d’une révision constitutionnelle.

Le Conseil avait été saisi le 20 mai par le chef de l’Etat qui lui demandait si " la ratification de la Charte peut être autorisée sans être précédée d’une révision de la Constitution ". Or les juges de la rue de Montpensier ont tranché la question sans ambiguïté. Certes, admettent-ils, les engagements concrets souscrits par la France au titre de cette Charte - et qui concernent l’enseignement, les médias, les activités culturelles, la vie économique et sociale, les services publics et la justice - ne méconnaissent pas les normes constitutionnelles.

En revanche, le préambule de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ainsi que son article 7, qui a un caractère contraignant et général, ont été jugés contraires à la Constitution " en ce qu’[ils confèrent] des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées ".

Conformément à sa jurisprudence constante, telle qu’elle s’était exprimée, notamment, à propos de la notion de " peuple corse " en 1991, le Conseil estime que ces dispositions sont donc contraires " aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ". Ces trois principes, rappelle le Conseil, " s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance ".

En outre, la décision du Conseil constitutionnel rappelle que les dispositions de la Charte sont également contraires à la règle posée par l’article 2 de la Loi fondamentale, selon lequel " la langue de la République est le français ". Cette règle, souligne la décision, impose l’usage du français aux personnes morales de droit public et aux personnes privées dans l’exercice d’une mission de service public, les particuliers ne pouvant se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations, d’un droit à l’usage d’une autre langue que le français. Or, la Charte tend " à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la vie privée mais également dans la vie publique ".


Gérard Courtois, Le Monde daté du vendredi 18 juin 1999



Langues régionales : M. Jospin et M. Chirac se renvoient la balle

 

LA DÉCISION du Conseil constitutionnel déclarant incompatible avec la Constitution française la Charte européenne des langues minoritaires suscite les critiques d’associations régionales et d’élus de droite comme de gauche. L’Elysée et l’Hôtel Matignon se renvoient la responsabilité des conséquences à en tirer. Dans l’entourage de Lionel Jospin, on observe que le président de la République avait saisi le Conseil et que, si une révision de la Constitution lui paraît aujourd’hui opportune, il doit en prendre l’initiative. Du côté de M. Chirac, on souligne que le premier ministre s’était engagé à ratifier la Charte et qu’il lui revient donc de faire aboutir son projet.

Le Monde daté du samedi 19 juin 1999

Lionel Jospin maintient le cap sur la charte des langues régionales

 

 

LIONEL JOSPIN devait soumettre à Jacques Chirac, mercredi 23 juin, lors de leur entretien précédant le conseil des ministres, le projet d’une révision constitutionnelle pour permettre à la France de ratifier la charte européenne des langues régionales et minoritaires. Dans une décision rendue publique le 16 juin, le Conseil constitutionnel, saisi par le chef de l’Etat, a jugé que cette convention n’est pas compatible avec la Loi fondamentale ( Le Monde du 18 juin).

Conformément à l’engagement pris par M. Jospin pendant la campagne présidentielle et réitéré lors des élections législatives, puis régionales, Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, avait signé la charte, au nom de la France, le 7 mai, à Budapest. Le gouvernement s’était engagé à en soumettre la ratification au Parlement en 2000. Pressé d’indiquer s’il entendait proposer une réforme de la Constitution, vu la décision du Conseil constitutionnel, le premier ministre avait déclaré, mardi 22 juin, devant le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, en réponse à une question de Jean-Yves Le Drian (Morbihan), qu’il serait " cohérent " avec lui-même. Il devait confirmer son intention lors de la séance des questions d’actualité, mercredi, à l’Assemblée.

Moderne et équilibrée

Au cabinet de M. Jospin, on explique que la charte européenne est un texte moderne, équilibré, qui correspond aux exigences de notre temps, et que personne ne peut croire au danger d’une division de la République. Pourtant, dans une " tribune " publiée, mardi, par Libération, Georges Sarre, député de Paris et président délégué du Mouvement des citoyens, dénonçait " une arme politique " aux mains " des mouvements autonomistes et régionalistes ", qui s’en serviraient " pour favoriser l’éclatement du cadre national et la création d’une Europe des régions ".

Pour éviter de déchaîner les ardeurs des " souverainistes " du MDC et de relancer un débat que Matignon juge passionnel, le chef du gouvernement n’envisage pas de proposer une réforme des articles 1er et 2 de la Constitution, avec lesquels, selon le Conseil, le préambule de la charte est incompatible. L’article 1er affirme que " la France est une République indivisible ", l’article 2 indique que " la langue de la République est le français ".

M. Jospin devait proposer qu’un nouvel article soit introduit dans la Constitution, qui prévoirait la possibilité de souscrire aux engagements de la charte avec les réserves émises par la France lors de la signature du texte, le 7 mai. Ce procédé a déjà été utilisé pour la révision constitutionnelle en vue de l’adhésion de la France à la Cour pénale internationale, dont la ratification, votée par l’Assemblée et le Sénat, sera entérinée par les deux Chambres réunies en congrès le 28 juin.

Le 7 mai, le gouvernement avait assorti la signature de la charte d’une déclaration liminaire, indiquant que la France " interprète la charte dans un sens compatible avec le préambule de la Constitution (...) qui ne connaît que le peuple français sans distinction d’origine, de race ou de religion ". Parmi les 98 engagements que prévoit la charte, le gouvernement n’avait retenu que 39 alinéas (le minimum étant de 35), qu’il jugeait conformes à la Constitution. M. Jospin n’entend pas, à la faveur de la révision de la Loi fondamentale, aller au-delà des engagements pris.

A l’Elysée, tenu informé des intentions du premier ministre, une réflexion a été engagée à la suite de la décision du Conseil constitutionnel. Le président de la République s’était prononcé, le 29 mai 1996, à Quimper, en faveur de la charte, dont il avait souhaité que la ratification puisse être menée à bien " rapidement ".

Béatrice Jérôme

Le Monde daté du jeudi 24 juin 1999

 

Les langues régionales cassent la France politique

 

Le président refuse au premier ministre une révision de la Constitution. Jean-Pierre Chevènement accumule les désaccords avec Lionel Jospin. Daniel Cohn-Bendit l’appelle à prendre une " retraite anticipée ". Charles Pasqua félicite Jacques Chirac



LA SINGULARITÉ exprimée avec de plus en plus de force par Jean-Pierre Chevènement et le Mouvement des citoyens crée un trouble au sein de la gauche " plurielle ". Après s’être démarqué de la politique menée par le président de la République et le premier ministre face au pouvoir serbe et aux crimes commis au Kosovo, après avoir manifesté sa bienveillance envers l’ancien préfet de Corse, Bernard Bonnet, le ministre de l’intérieur maintient, au travers d’un texte adopté par le conseil national du MDC, sa critique de la réforme du parquet, sur laquelle les députés de son mouvement s’abstiendront. Dans un entretien publié par L’Evénement (daté 24-30 juin), Daniel Cohn-Bendit, chef de file des Verts aux élections europénnes, invite M. Chevènement à faire valoir son " droit à une retraite anticipée ".

Le ministre de l’intérieur s’est aussi inscrit en faux, mercredi 23 juin, contre la révision de la Constitution, demandée à Jacques Chirac par Lionel Jospin, et destinée à permettre la ratification par la France de la Charte européenne des langues minoritaires. M. Chirac a fait savoir, mercredi en fin d’après-midi, qu’il refusait d’engager la procédure de révision souhaitée par le Premier ministre. Dans Le Monde, Georges Sarre, député de Paris et porte-parole du MDC, se félicite de ce " bel enterrement " qui est, dit-il, " une heureuse surprise ". Charles Pasqua s’est " réjoui ", lui aussi, de la décision du président de la République, en disant son refus d’un texte " qui opposerait la région à la nation ". À l’inverse, le Parti socialiste, les Verts et, dans l’opposition, l’UDF et Démocratie libérale regrettent cette décision.

 

Le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques pour une révision de la Constitution

Vendredi 25 juin 1999, 15h12



PAU, 25 juin (AFP) - Le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques a adopté vendredi à Pau, à l’initiative de son président François Bayrou, une motion demandant la modification de la Constitution pour permettre la ratification de la Charte européenne des langues régionales, a constaté l’AFP.

Le Conseil général a adopté, par 40 voix pour et 8 abstentions, une motion proposée par M. Bayrou, président de l’UDF, demandant que, dans la Constitution, on ajoute " à la notion du français langue de la République, celle de la reconnaissance par la République française des langues régionales de France ".

Deux langues régionales, le béarnais, une variante de l’occitan, et le basque, coexistent avec le français dans les Pyrénées-Atlantiques, fief de M. Bayrou, qui parle lui-même le béarnais.

" Les langues sont un trésor de l’humanité ", a fait valoir M. Bayrou, interrogé par l’opposition socialiste au sujet du refus du président Jacques Chirac d’entamer une révision de la Constitution pour permettre la ratification de la Charte.

" La défense des langues régionales n’est pas du tout incompatible avec la défense du français, mais au contraire, c’est complémentaire vis-à-vis du rouleau compresseur anglo-saxon ", a-t-il poursuivi.

" Un combat d’un autre temps "

M. Bayrou n’a pas critiqué directement M. Chirac mais a évoqué les appels de ce dernier par le passé pour une adoption de cette Charte par la France. Cette dernière a été signée par la France le 7 mai à Budapest, mais le Conseil constitutionnel, saisi par le président de la République, s’est prononcé contre la ratification le 15 juin.

À propos de cet avis du Conseil, M. Bayrou a affirmé qu’il s’agissait d’un " combat d’un autre temps et profondément nuisible à l’équilibre culturel en France et en Europe ".

Sept des 14 conseillers RPR présents à la séance ont voté contre la motion, notamment la député et ancien ministre Michèle Alliot-Marie. " Il ne faut pas sans arrêt modifier notre Constitution. On peut défendre les langues régionales sans pour autant porter atteinte à la Constitution ", a-t-elle affirmé lors du débat.

Le texte proposé par M. Bayrou et adopté par le Conseil général souligne que " la défense et la promotion des langues régionales de la France passent par leur reconnaissance ".

Leur survie et leur développement " seront dans l’avenir un ciment pour l’unité d’une nation respectueuse de la diversité historique et culturelle de ceux qui la forment ", affirme la motion votée par le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques est embarrassé.

 

Concert de protestations après le refus du président Chirac par Jean-Pierre ALTIER

jeudi 24 juin 1999, 19h04



PARIS, 24 juin (AFP) - Le refus du président Jacques Chirac de modifier la Constitution en vue d’une ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires a provoqué un concert de protestations des partis politiques et des associations linguistiques, où seuls se distinguent le RPR, le RPF et le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement.

Dans un communiqué, le RPR " approuve sans réserve la décision du président de la République de refuser la révision constitutionnelle préalable à la ratification par la France de la Charte ". Pour sa part, le sénateur RPR du Finistère Alain Gérard estime que les Français devraient être consultés par référendum sur cette question.

Tout en se réjouissant de la décision du chef de l’Etat, MM. Charles Pasqua et Philippe de Villiers, pour le RPF, ont estimé que l’attitude du chef de l’Etat résultait largement du succès de leur liste aux élections européennes. " Le score que nous avons réalisé n’est pas étranger à cette décision ", a dit M. Pasqua.

Quant au ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement (MDC), il s’était distingué au sein du gouvernement en estimant mercredi que modifier la Constitution pour donner un statut aux langues régionales reviendrait à " balkaniser la France ".

En revanche, l’ancien ministre du Budget Alain Lamassoure, maire UDF de la ville basque d’Anglet (Pyrénées-Atlantiques) a affirmé que la France se trouvait placée ainsi " dans une impasse qui est un peu stupide et regrettable ". Les jeunes de l’UDF regrettent, pour leur part, la décision présidentielle.

Autre pilier de l’opposition parlementaire, le groupe DL à l’Assemblée nationale a annoncé qu’il a déposé une proposition de loi constitutionnelle stipulant que " la République française peut adhérer à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signées le 7 mai 1999, complétée par sa déclaration interprétative ".

La fronde des Bretons

Si le Premier ministre Lionel Jospin n’a pas souhaité commenter immédiatement le refus du chef de l’Etat de procéder à une réforme constitutionnelle, Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, a dénoncé ce refus qu’il a jugé " incohérent, archaïque et politicien ". Même réaction de la part du président socialiste de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur Michel Vauzelle, qui a fustigé " l’incohérence " de Jacques Chirac.

Les Verts ont " regretté " que " le président de la République ait choisi de privilégier les intérêts politiciens de sa défunte majorité " et " s’enferme dans la pensée unique linguistique ", plutôt que d’autoriser la révision de la Constitution.

Pour leur part, les élus bretons de toutes tendances politiques ont regretté quasi-unanimement la décision du chef de l’Etat, qui remet en cause, selon eux, les liens qui commençaient juste à être tissés sur ce sujet entre l’Etat et la région.

D’autre part, une quarantaine de personnalités du monde de la culture et des sports, de l’entreprise et des médias, avaient signé, à l’initiative du Club Bretagne 21e siècle, avant de connaître le refus du chef de l’Etat, un appel réclamant la ratification de la Charte " après les adaptations constitutionnelles nécessaires ".

Enfin, Fred Urban, secrétaire général du Haut Conseil national des langues de France, une organisation créée en 1994 par des parlementaires afin de défendre les langues régionales, dont le siège est à Strasbourg, a estimé que, par son refus, M. Chirac mettait la France " en marge dans le domaine du multilinguisme européen "


 

Charte européenne: vives réactions au Pays basque, du RPR aux séparatistes

jeudi 24 juin 1999, 18h34



BAYONNE, 24 juin (AFP) - Des élus et personnalités du Pays basque ont réagi vivement jeudi au refus du président Jacques Chirac de réformer la Constitution pour permettre à la France de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Pour Jean Espilondo, député socialiste des Pyrénées-Atlantiques élu du Pays basque, " il faudra changer de président de la République à la prochaine occasion si on veut pouvoir modifier la Constitution ". Selon lui, " on se sert des juges constitutionnels pour amener la Constitution à être conservatrice et d’une certaine manière réactionnaire ".

M. Espilondo siège à l’Assemblée nationale comme suppléant de Nicole Péry, secrétaire d’Etat aux Droits de la Femme et à la Formation professionnelle, qui n’a pas voulu s’exprimer sur la décision de M. Chirac.

Max Brisson, conseiller régional et général RPR, a pour sa part affirmé qu’il souhaitait que " le président de la République écoute les réactions nombreuses qui vont venir de Bretagne, d’Alsace, du pays des langues d’oc et du Pays basque ". Il souhaite également " que le débat ait lieu et qu’à l’issue de ce débat on puisse entamer la révision de la Constitution ".

Le responsable de l’association AEK d’enseignement de la langue basque aux adultes, Jakes Bortayrou, proche d’Abertzaleen Batasuna, le principal mouvement séparatiste basque français, a affirmé qu’il " y a une volonté de faire disparaître ces langues en les faisant mourir à petit feu ".

Selon lui, " le lobby des intégristes jacobins a triomphé " et les Basques français " vont regarder de plus en plus vers le Pays basque sud (espagnol) pour constituer enfin un Pays basque et faire en sorte que notre langue soit sauvée ".

Pour le président de l’association pour l’enseignement public bilingue Ikas-bi, Thierry Delobel, la non-reconnaissance des langues régionales est " un coup dur " pour l’enseignement du basque et autres langues minoritaires " menacées de disparition en France ".

Le Parti nationaliste basque (autonomiste modéré) a pour sa part appelé les pouvoirs publics " à respecter le droit fondamental des citoyens à parler plusieurs langues et à mettre la France en conformité avec ses engagements internationaux "

 

Langues régionales : Levée de boucliers des élus bretons

jeudi 24 juin 1999, 12h44



RENNES, 24 juin (AFP) - Les élus bretons de toutes tendances politiques regrettent quasi-unanimement la décision de Jacques Chirac de refuser une révision de la Constitution pour permettre la ratification de la Charte européenne des langues minoritaires.

Cette décision intervient alors que la région essaie de valoriser " l’identité bretonne ", notamment en aidant l’association Diwan qui scolarise 2.000 enfants en breton. La plupart des élus bretons s’indignent d’une décision qui vient remettre en cause les liens qui commençaient juste à être tissés sur ce sujet entre l’Etat et la Région.

Par ailleurs, ce refus survient dans un climat particulièrement actif des indépendantistes bretons de l’ARB, qui multiplient les actions depuis 1998 avec, dernier en date à avoir été revendiquée, l’attentat de Cintegabelle.

Josselin de Rohan, RPR, président du Conseil régional de Bretagne et du groupe RPR au Sénat, tout en " prenant acte " de la décision de Jacques Chirac, a rappellé le soutien du Conseil régional au projet de lycée Diwan ". " La progression de 64% du budget régional consacré cette année à la langue et à la culture bretonnes manifeste une volonté, que je réaffirme avec force, d’assurer, dans les faits, le rayonnement de notre identité ", a souligné M. de Rohan.

Pierre Méhaignerie, président du conseil général d’Ille-et-Vilaine et ancien ministre UDF, qui s’est déclaré " favorable à la Charte européenne " a précisé jeudi à l’AFP que " le système uniforme ne correspond plus à notre société ". Il faut désormais " laisser des marges d’initiatives au territoire ", notamment à travers " l’expérimentation " en évaluant " les conséquences pratiques " que pourrait avoir cette réforme constitutionnelle.

" C’est ainsi que les problèmes des écoles Diwan et des langues régionales peuvent être résolus " a précisé M. Méhaignerie.

Jean-Yves Le Drian, député PS et conseiller régional, a déclaré avoir été " surpris " de la réaction du Président de la République qui a effectué " un revirement total "sur ses déclarations précédentes. " Nous allons être sur ce sujet la lanterne rouge de l’Europe ", a-t-il précisé jeudi à l’AFP, qualifiant cette décision de " jacobinisme intégriste et archaïque qui me parait complètement dépassé ". " Il n’est pas exclu qu’une initiative parlementaire vienne remédier à cette impasse en application de l’article 89 de la Constitution ", a précisé le député.

Christian Guyonvarc’h, porte-parole de l’Union démocratique bretonne a déclaré dans un communiqué jeudi que la " seule alternative possible " était " une mobilisation populaire pour exiger un référendum ". " Le combat ne fait que commencer ", assure le porte-parole avant de conclure " pour nous, le combat final est engagé entre LA démocratie et LEUR République ".

Quant à Emgann, le mouvement de la gauche indépendantiste, groupuscule politique proche des indépendantistes bretons, ceux-ci considèrent dans un communiqué mercredi que " l’état français repose sur la négation des peuples et des langues existant sur son territoire : il nous revient de nous passer de sa constitution et de nous doter de nos propres institutions en toute indépendance "


 

 

 

FOCUS-Langues/Constitution - Chirac rejette la demande de Jospin

mercredi 23 juin 1999, 18h23



PARIS, 23 juin - Jacques Chirac a refusé de réviser la Constitution pour permettre à la France d’adhérer à la Charte européenne sur les langues régionales, jugeant qu’elle porterait atteinte aux principes fondamentaux de la République. Dans un communiqué diffusé par son service de presse, le chef de l’Etat a toutefois fait savoir qu’il souhaitait " que l’on développe (...) sur une base volontaire ", l’enseignement, la connaissance et la pratique de ces langues.

Le Premier ministre, Lionel Jospin, avait annoncé mercredi après-midi, devant l’Assemblée nationale, avoir demandé le matin au chef de l’Etat de prendre l’initiative d’une révision de la Constitution pour permettre à la France de ratifier la charte. Jacques Chirac s’appuie sur l’avis du Conseil constitutionnel pour estimer que " la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires " allait " très au delà " du soutien et de la reconnaissance des langues régionales qu’il a jugés nécessaires. " Dans ces conditions le président de la République ne souhaite pas prendre l’initiative d’une révision constitutionnelle qui porterait atteinte aux principes fondamentaux de notre République ", indique un communiqué de l’Elysée. Le texte rappelle que, selon le Conseil constitutionnel, la Charte européenne " en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des ‘groupes’ de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de ‘territoires’ dans lesquelles ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ".

Le chef de l’Etat a reconnu néanmoins que " les langues régionales contribuent à notre richesse culturelle et à ce titre elles doivent être reconnues et soutenues ". Il a estimé que " l’on peut parfaitement reconnaître aux langues régionales leur place dans notre patrimoine culturel, sans qu’il soit nécessaire de modifier notre constitution et sans remettre en cause l’unité de la Nation. La France a signé cette charte le 7 mai, mais le Conseil constitutionnel, saisi par Jacques Chirac, a estimé qu’elle comportait des clauses contraires à la Constitution. En refusant l’initiative de la révision constitutionnelle, le chef de l’Etat s’expose à être pris pour cible par les défenseurs des langues régionales, mais son geste sera sans doute salué par les " souverainistes ".

Chevènement contre la " balkanisation "

L’Armée révolutionnaire bretonne a revendiqué le plasticage d’un bâtiment administratif de Cintegabelle, dont le Premier ministre est conseiller général, après l’avis rendu par le Conseil constitutionnel, le 16 juin.

La ratification de la Charte ne faisait pas l’unanimité au sein de la majorité plurielle.

Le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement a pour sa part estimé mercredi que vouloir donner un statut aux langues régionales reviendrait à " balkaniser la France ". Il s’est dit opposé à ce qu’ "on substitue à la notion de peuple français d’autres concepts plus fumeux qui ont un rapport avec l’origine ethnique ". Estimant que " la langue est un élément essentiel de l’identité, même pour la France ", il a jugé possible de " favoriser les langues régionales sans réformer la Constitution ".

A l’Assemblée, Lionel Jospin a rappelé que 18 autres Etats européens avaient signé et ratifié cette Charte, adoptée par le Conseil de l’Europe en 1992 et il a relevé " l’extrême sensibilité " que revêt en France la question des langues et cultures régionales. " Nous sommes tous ici profondément attachés à l’unité du peuple français et à l’indivisibilité de la République ", a-t-il aussi souligné. Il a jugé que la ratification de la Charte ne saurait " ni remettre en cause la République, ni porter atteinte à l’unité nationale, ni même affaiblir la langue française qui est la langue de l’ensemble de la République ". Selon son entourage, le chef de l’Etat " comprend les raisons du Premier ministre et il est persuadé que le Premier ministre comprend les siennes. C’est ce qu’ils se sont dits ce matin ".

Au cours d’un déplacement à Quimper en mai 1996, le président Jacques Chirac avait rappelé qu’il avait toujours été " favorable au développement des langues régionales ", mais il s’était gardé de se prononcer sur la ratification de la Charte proprement dite. /EJ/MBA

REUTERS

 

Projet Jospin de révision de la Constitution: " un geste qui ne coûte pas cher ", selon Noël Mamère

jeudi 24 juin 1999, 10h34



PARIS (AP) — " C’est ce qu’on appelle ‘le geste qui ne coûte pas cher’ ", a déploré jeudi matin le député vert Noël Mamère à propos du propos du projet de révision constitutionnelle présenté par le Premier ministre au président de la République afin de ratifier la Charte européenne des langues régionales.



Selon le député vert, interrogé sur LCI, Lionel Jospin " propose une solution dont on sait qu’elle ne pourra pas être appliquée parce que le président de la République n’en veut pas ". Noël Mamère a conseillé " vivement au Premier ministre et à sa majorité d’ouvrir (...) une ‘niche parlementaire pour accepter la proposition que viennent de renouveler les Verts d’une loi constitutionnelle modifiant l’article 2 de la Constitution pour que, au français, s’ajoutent les langues minoritaires ".

" On ne pourra pas se contenter de gestes qui n’engagent à rien ", a-t-il affirmé. Rappelant les propos du président de la République à Quimper en 1996 qui allaient dans le sens d’une reconnaissance des langues régionales, le député vert de Gironde a comparé Jacques Chirac au " coq qui représente la République (et qui) est aussi un petit peu une girouette ".

Noël Mamère a par ailleurs qualifié d’ " écran de fumée " la nomination d’Anne Lauvergeon, ancienne secrétaire adjointe de l’Elysée sous François Mitterrand, en remplacement de Jean Syrota à la tête de la COGEMA. " Ce sont toujours les mêmes qui détiennent les rouages du nucléaire ", a-t-il estimé, soulignant leur commune appartenance d’origine au Corps des Mines.

Evoquant la polémique opposant les Verts au ministre de l’Intérieur, Noël Mamère a conseillé à Jean-Pierre Chevènement " d’être beaucoup plus dur avec M. Pasqua et M de Villiers ", qu’il appelle " les républicains de l’autre rive ".

 

Dépêches régionales

samedi 26 juin 1999, 22h54



PARIS (AP) - La ministre de la Culture Catherine Trautmann annonce dans une interview à paraître dans le Journal du Dimanche qu’elle va proposer " au gouvernement, dans les jours qui viennent, deux mesures " en faveur d’une " véritable politique culturelle pour les langues régionales ou minoritaires ".



Mme Trautmann a cité d’une part la " création d’un Conseil supérieur des langues de France ", une " instance d’expertise, parallèle au Conseil supérieur de la langue française et présidé, comme ce dernier, par le Premier ministre " Lionel Jospin. D’autre part, l’actuelle Délégation à la langue française doit être transformée en une " Délégation générale à la langue française et aux langues de France ". Sa mission, selon Mme Trautmann, " serait de coordonner la politique culturelle en faveur de toutes les langues de notre patrimoine national, d’en assurer la connaissance et la sauvegarde ". Le " combat en faveur de notre patrimoine linguistique nous concerne tous " et ne doit pas être " abandonné complaisamment aux régionalistes ", souligne la ministre en notant que le pluralisme linguistique " ne menace pas la cohésion nationale ".

Mercredi, Jacques Chirac a opposé une fin de non recevoir à la demande de Lionel Jospin, qui lui avait proposé de prendre l’initiative d’une révision constitutionnelle pour permettre la ratification de la Charte européenne sur les langues régionales. Le chef de l’Etat a jugé que cette Charte, qui tend à promouvoir l’usage des langues régionales dans les pays signataires, remet en cause " les principes fondamentaux de notre Constitution ", dont il est le gardien.

Le clivage concernant les langues régionales dépasse la droite et la gauche. Au sein de la majorité plurielle, les Verts souhaitaient ardemment la ratification de la Charte. Mais Jean-Pierre Chevènement (Mouvement des Citoyens) y était tout à fait opposé, estimant que la mise en œuvre des dispositions de la Charte reviendrait à " balkaniser la France ".

Une opinion partagée à droite par le président du Rassemblement pour la France Charles Pasqua, pour qui la Charte porterait atteinte à l’unité nationale. En revanche, François Bayrou, président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques et président de l’UDF, a signé avec les élus du département une motion demandant à Jacques Chirac la modification de la Constitution concernant les langues régionales. AP

 

Pasqua et de Villiers : réjouissance

 

MM. Pasqua et de Villiers ont indiqué avoir été " confortés " dans leur démarche par la décision, mercredi, du président Jacques Chirac de refuser de prendre l’initiative d’une révision de la Constitution pour la rendre compatible avec la charte européenne sur les langues régionales.

Ils s’en sont tous deux " réjouis ", estimant qu’elle est " due " au score de leur liste aux Européennes.

 

Le débat sur les langues régionales s’intensifie

Mis à jour le vendredi 25 juin 1999


LE REFUS de Jacques Chirac de modifier la Constitution en vue d’une ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ( Le Monde du 25 juin) est dénoncé par Claude Allègre, ministre de l’éducation nationale, qui, dans un entretien publié vendredi par Ouest-France, estime que le chef de l’Etat s’est " laissé aller à faire de la politique politicienne ". Seuls le RPR, le RPF et le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, soutiennent la position du président de la République.

A l’UDF, Alain Lamassoure affirme que la France se trouve " dans une impasse qui est un peu stupide et regrettable ". Le groupe DL de l’Assemblée nationale a déposé une proposition de loi stipulant que " la République française peut adhérer à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée le 7 mai 1999, complétée par sa déclaration interprétative ". Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, juge le refus présidentiel " incohérent, archaïque et politicien "


 

Les Verts - Communiqué à la presse du 12 mai 1999

Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

 

Les Verts se réjouissent de la signature par la France, le 7 mai à Budapest, de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires à l’occasion de la réunion du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

Les Verts appuieront l’application la plus large possible, dans la législation française, des différents articles de la Charte retenus par le gouvernement.

De même, les Verts souhaitent que la liste définitive des langues régionales ou minoritaires concernées, qui ne sera débattue qu’au moment de la ratification par l’Assemblée Nationale, soit la plus exhaustive possible.

Au cas où le Conseil constitutionnel, saisi par Jacques Chirac, ne donnerait pas un avis favorable, Les Verts demandent que l’article 2 de la Constitution soit complété dans le sens de la proposition de loi constitutionnelle déposée par les Députés Verts, en août 1998, indiquant que " la République reconnaît et valorise les langues et les cultures régionales ".

Les Verts

 

Communique de presse du Ministère de la Culture

Les langues régionales métropolitaines et d’Outre-mer

 

À Strasbourg, lors du sommet de l’Europe d’octobre 1997, le Premier Ministre a rappelé que l’identité de l’Europe était fondée notamment sur son patrimoine linguistique, et qu’à ce titre une attention toute particulière devait être portée aux langues et cultures régionales. Il a chargé Madame Nicole Péry, puis, à la nomination de celle-ci comme secrétaire d’Etat à la formation professionnelle, M. Bernard Poignant, maire de Quimper, d’une mission consistant à faire le point sur la politique menée en faveur des langues régionales, et d’émettre des propositions sur l’évolution du dispositif.

Ce rapport qui a été remis au Premier Ministre le 1er juillet 1998 préconise une série de mesures et conclut notamment que la place faite aux langues régionales doit illustrer, accompagner et soutenir les grands choix dans lesquels le pays s’est engagé ou a commencé à le faire : l’Europe, la décentralisation, la francophonie, le multilinguisme.

" Le 2 octobre 1998, le Premier Ministre a affirmé la volonté du gouvernement de faire en sorte que la charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires puisse être signée et ratifiée par la France.

(...) Le choix du gouvernement revêt une dimension symbolique forte. Il marque, en effet, que le temps où l’unité nationale et la pluralité des cultures régionales paraissaient antagonistes, est révolu. La démarche du gouvernement est inspirée par le souhait de la mise en valeur, dans sa richesse et sa diversité, de l’ensemble du patrimoine culturel national. " (communiqué du 7 octobre 1998)

 

Débats

Une charte et des fantasmes : le traité européen en faveur des langues régionales ne contient aucun des périls brandis par les souverainistes.

 

Par BÉATRICE VALLAEYS

Libération, Le vendredi 25 juin 1999

Quels risques la Charte européenne pour les langues régionales et minoritaires fait-elle donc encourir à la République française? En quoi ce fameux traité met-il en péril les fondements mêmes de la nation, ses principes constitutifs qui définissent "la France comme une République indivisible, laïque, démocratique et sociale"? Car c’est bien de cela qu’il s’agit, et ce sont ces dangers supposés qui sont excipés aujourd’hui par les détracteurs de la charte. Or, une lecture attentive des termes du traité, tel qu’il fut signé, le 7 mai dernier, par le ministre des Affaires européennes, avec la bénédiction du président de la République, ne prête à aucune confusion. Ce traité européen n’a d’autre vertu - symbolique - que de consacrer officiellement l’existence de langues et cultures régionales, de leur conférer certains droits d’expression - soit dit en passant, elles en possèdent déjà. Bref, de mettre les mœurs de ce pays en conformité avec la loi.

Mise en garde.

Adoptée en 1992 par le Conseil de l’Europe, signée par 18 pays et ratifiée par 8 d’entre eux, la Charte européenne des langues régionales et minoritaires contient quelque 94 articles plus ou moins coercitifs. A charge, pour chacun des pays qui la signent, de ne retenir que ceux qui lui conviennent: ainsi, le 7 mai dernier, la France a-t-elle retenu seulement 39 articles, qui concernent l’enseignement, la culture, les médias et l’administration. Dans tous les domaines, la mise en garde est la même: le français demeure la langue officielle, un point c’est tout. Ainsi, l’enseignement d’une langue minoritaire est-il considéré comme "faisant partie intégrante" du cursus scolaire ou universitaire, avec cette précision de taille: est maintenu le "caractère facultatif de cet enseignement qui n’a pas pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans des établissements du territoire aux droits et aux obligations applicables à l’ensemble des usagers qui assurent le service public de l’enseignement". Idem dans le domaine culturel et dans les médias, où la France entend promouvoir, soutenir, faciliter, encourager l’usage, la production d’œuvres ou d’articles et leur diffusion, notamment par des sous-titrages ou des doublages... Elle n’entend pas, en revanche, encourager la création d’une chaîne de télévision ou d’une radio dans les langues régionales. On ne saurait être plus clair.

Mal lu.

Enfin, pour tout ce qui relève des actes administratifs et de services publics, la charte autorise la publication par les collectivités locales de textes dont elles sont à l’origine dans des langues régionales. Mais les locuteurs des langues régionales ne sont pas autorisés à s’adresser aux autorités administratives dans leur langue, par écrit ou oralement. Aucune procédure pénale, civile ou administrative ne pourra non plus être menée dans une langue régionale, et les actes liés à ces procédures devront être rédigés en français. Exemple éloquent: un procès en basque ou en corse ne peut pas exister, pas plus qu’il ne pourra y avoir de formulaires de la Sécurité sociale en breton. Seule concession: les textes législatifs importants pourront être traduits dans une langue régionale, mais seule la version officielle en langue française fera loi. Autrement dit: oui à des textes bilingues, non à des textes publics monolingues rédigés directement dans une autre langue que le français (1). Charles Pasqua a sciemment mal lu les textes du traité, puisqu’hier il agitait la menace de textes notariaux rédigés dans une langue minoritaire...

Reconnaissance.

À aucun moment non plus, et bien au contraire, les engagements signés par la France ne visent à reconnaître et à protéger une minorité, pas plus qu’ils ne confèrent de droits collectifs aux "groupes" de locuteurs des langues régionales. L’épouvantail d’une "balkanisation" de la France brandi par Jean-Pierre Chevènement relève, on le voit, du pur fantasme. Car, en définitive, la philosophie générale de toute cette affaire se résume à un postulat difficilement contestable: cette charte est la reconnaissance des langues régionales en tant qu’expression de la richesse culturelle de la France.

* Cette disposition concerne surtout les citoyens français des DOM-TOM, où les divers créoles (langues maternelles) sont pratiqués par plus d’un million de locuteurs.

 

Chirac no revisanc’h lou constitutioak : la charte européenne des langues régionales ne sera pas ratifiée.

Par ERIC AESCHIMANN

Libération, Le jeudi 24 juin 1999

La réponse est "non": Jacques Chirac ne prendra pas l’initiative d’une révision de la Constitution pour permettre la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales. Celle-ci ne sera donc pas ratifiée: en matière de révision constitutionnelle, l’approbation du président de la République est indispensable. Un refus qui sonne comme un défi pour les régionalistes bretons, catalans ou basques. Mais qui comporte aussi sa dimension politique: le matin même, Lionel Jospin avait soumis au président de la République un tel projet de révision (lire Libération d’hier). A l’évidence, Jacques Chirac a préféré prendre le risque d’un conflit, de toute façon limité, avec son Premier ministre, plutôt que de se fâcher avec la frange souverainiste du RPR, déjà suffisamment tentée de rallier Charles Pasqua.

Car, dans le débat politique, le statut des langues régionales n’est pas un sujet de clivage gauche droite, mais plutôt une nouvelle occasion, pour les "républicains" de gauche (les chevènementiste du Mouvement des citoyens, MDC) et de droite (les pasquaïens) d’affirmer leur conception jacobine de la France. Ainsi, depuis la signature de la Charte européenne, le 7 mai dernier à Budapest, par la France, une pétition a été lancée autour de proches de la fondation Marc Bloch; et Georges Sarre, président-délégué du MDC, a pris la tête de la croisade, au nom, écrivait-il dans Libération mardi, d’une République "une et francophone".

Entente.

En revanche, entre les deux têtes de l’exécutif, l’accord semblait prévaloir. En juin 1996, lors d’un déplacement à Quimper, Jacques Chirac avait approuvé le principe de cette convention. Et, le 7 mai, lorsque Pierre Moscovici, ministre délégué aux Affaires européennes, a apposé son seing au bas du document, il était bien évidemment muni d’un mandat préalable du président de la République, seul habilité à conclure des traités internationaux.

Pourtant, quelques jours plus tard, contre l’avis de Lionel Jospin, le chef de l’Etat a décidé de saisir le Conseil constitutionnel. Lequel a jugé la convention contraire à l’article premier de la Constitution ("la France est une République indivisible"). Voulant démontrer la "cohérence" de sa démarche, Lionel Jospin a donc concocté un projet de loi instituant un article 53.3 ainsi rédigé: "la République peut adhérer à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires signée le 7 mai 1999".

Querelle.

La bataille parlementaire promettait d’être vive au sein de chaque camp. Hier, les Verts se déclaraient favorables à une révision, quitte à en découdre avec le MDC. Et, à droite, au même moment, Démocratie Libérale (DL) appelait à la révision, en proposant une refonte de l’article 2, celui qui précise que "la langue de la République est le français". "Nous préférons la France qui épanouit la liberté et accepte la diversité, à l’esprit jacobin qui réduit, arase et uniformise", disait DL. Un député UDF, Jean-Jacques Weber, annonçait aussi son intention de déposer une proposition de loi.

Visiblement, dans l’opposition, l’information circule mal... A peine entamé, ce débat était en réalité déjà clos: lors du tête-à-tête du matin, Jacques Chirac avait fait connaître sa réponse au Premier ministre. L’annonce officielle en a été faite par l’Elysée en milieu d’après-midi. Cette révision "porterait atteinte aux principes fondamentaux de notre République", fait valoir le chef de l’Etat. Ce qui ne l’empêche pas de chanter "la vitalité et le rayonnement des langues régionales", qui "peuvent et doivent être renforcés pour que nous puissions nous enrichir de notre diversité" et demander que "l’on développe leur enseignement".

Exit donc la charte des langues régionales. A la vérité, pour Lionel Jospin, l’affaire n’était pas cruciale. Il s’agissait surtout, pour lui, de démontrer qu’il avait fait ce qu’il a pu. Et de le faire savoir.

 

Les grognons de la République : leurs vitupérations, souvent contradictoires, finissent par lasser.

Par JEAN-MICHEL THENARD

Libération, ANALYSE - Le vendredi 25 juin 1999


 

Vive les souverainistes !

Sans eux, le débat politique manquerait de mordant depuis que le socialisme de gouvernement emprunte au fonds de commerce de la droite, sécurise et privatise. Avec eux, au contraire, l’ambiance est garantie: la droite explose et la gauche vacille. Charles Pasqua entend désosser le RPR pour reconstruire un RPF; Jean-Pierre Chevènement ne cesse, lui, de détricoter la majorité plurielle. Pourtant chargé du maintien de l’ordre, le ministre de l’Intérieur

a, ces dernière semaines, multiplié les provocations. Contre les écologistes, en particulier, mais aussi et surtout contre le gouvernement en général. En pleine guerre du Kosovo, il use d’un philosophe allemand pour laisser percer son opposition à l’intervention contre la Serbie décidée par le chef de l’Etat et le Premier ministre. Au sortir du conflit, il profite d’un Conseil des ministres pour s’inquiéter du sort des réfugiés serbes sans un mot pour les Kosovars.

Pizza et café.

Le souverainiste de gauche ou de droite dit défendre la nation française contre l’Europe de Bruxelles, la tradition gauloise contre l’impérialisme américain, l’Etat-nation contre la supranationalité, l’intégrité territoriale contre la morale et le droit d’ingérence internationale. C’est ce qui fonde son opposition à la guerre contre la Yougoslavie. Et ce qui l’amène à douter des exactions commises au Kosovo, contre l’évidence. Les souverainistes, pourtant, voyagent. En pleine guerre, Régis Debray, proche de Chevènement, déjeunait dans les pizzerias de Pristina déguisé en journaliste tandis que Marie-France Garaud, colistière de Pasqua, prenait le café en terrasse à Belgrade...

Inconséquence.

Le souverainiste n’est pas exempt de contradictions. Il vitupère l’intégration européenne mais justifie son refus d’une intervention de l’Otan au nom de la nécessité d’une défense européenne. Il défend le terroir mais applaudit quand le chef de l’Etat range au magasin des accessoires un traité qui reconnaît les langues régionales. Il dénonce l’écologie comme une "idéologie fin de siècle" mais siège avec elle au gouvernement. Bref, le souverainiste est inconséquent. Egalement appelé national républicain, il est obsédé par la nation dont il fait le discriminant de tout. Il prétend à la fois rassembler à gauche et à droite, refonder le gaullisme comme le socialisme. Ancien ministre d’un gouvernement Mauroy, Max Gallo, autre ami de Chevènement, a appelé à voter le 13 juin pour Charles Pasqua et Philippe de Villiers. Idem pour Didier Motchane, cofondateur avec le même Chevènement d’un courant du parti socialiste, devenu Mouvement des Citoyens et partenaire d’un gouvernement de la gauche plurielle! Le souverainiste veut dépasser les clivages. Mais au final, combien de divisions? Si l’on compte très large, il faudrait ajouter aux voix de Charles Pasqua, le 13 juin, celles des chasseurs, et de l’extrême droite, étiquettes qui, toutes, ont porté haut un discours antieuropéen. Cela fait près de 29 % des suffrages. C’est beaucoup pour qui nierait l’existence d’une peur identitaire avant l’an 2000. Mais c’est peu, eu égard au score des anti-Maastricht de 1992. On comprend que les souverainistes de tous bords veuillent transcender l’opposition gauche-droite: ils pèsent peu dans leur camp d’origine. Le ministre de l’Intérieur le sait bien qui, cette fois, n’a pas osé y aller de sa liste aux européennes. En 1994, il avait recueilli 2,5 % des suffrages...

Cher payer.

C’est pourtant ce Chevènement, ultraminoritaire à gauche, qui sème le trouble au sein du gouvernement. Et en menace la cohérence depuis un moment. Moins par son agitation antiverte perpétuelle que par ses positions de fond qui ne cessent de le mettre en porte-à-faux avec la politique de Jospin. Celui-ci veut-il ratifier la Charte européenne sur les langues régionales, Chevènement est contre ; comme il était opposé au projet de loi chancellerie-parquet, à la ratification d’Amsterdam, la mise en place de l’euro, la réforme du mode de scrutin des régionales, la politique de l’Education de Claude Allègre... À la longue, ces désaccords finissent par devenir la norme. Est-ce bien le rôle d’un ministre d’être en opposition continuelle avec le gouvernement dont il est membre ? C’est cher payer, en tout cas, la caution sécuritaire qu’il est censé apporter au Premier ministre. Chevènement sent-il qu’il commence à lasser ? Il a monté le ton, hier, en se comparant à Salengro, victime d’une campagne de l’extrême droite. Une drôle de métaphore de la part d’un homme qui se targue pourtant de connaître l’histoire de France.

 

La République sera multiculturelle

Par NORBERT ROULAND

Norbert Rouland est professeur à la faculté de droit d’Aix-en-Provence, auteur d’"Introduction historique au droit", Paris, PUF, 1998.


Libération

Pour ou contre la Charte sur les langues régionales - Le mardi 22 juin 1999

 


Le Conseil constitutionnel vient d’apporter du grain aux meuniers de la République (qui ont essuyé une défaite sur la parité) en estimant que la ratification de la Charte européenne des langues régionales était inconstitutionnelle.

La haute juridiction avait déjà préservé le français de la "contagion multiculturelle" en décidant, en 1996, qu’en Polynésie (où la majorité de la population parle le tahitien), l’emploi du français s’imposait aux usagers du service public ainsi qu’à l’administration.

Son nouvel avis du 15 juin ne surprend pas dans son principe. L’article 2 de la Constitution ("La langue de la république est le français") la bornait par avance, même si la souplesse de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires permettait bien des accommodements. L’étonnement vient de considérants qui dépassent de beaucoup le monolinguisme constitutionnel, invoquant des principes situés au cœur historique de notre régime: l’unicité du peuple français, l’indivisibilité de la République, l’égalité devant la loi...

La langue est certes le premier marqueur culturel. Mistral le savait, qui a écrit: "Qu’un peuple tombe esclave face contre terre, s’il tient sa langue, il tient la clé qui le délivre des chaînes." La défense du français justifie-t-elle pour autant la montée du juge? D’autant que le Conseil en profite pour poser une véritable condamnation de toute reconnaissance des minorités, bien au-delà du seul domaine linguistique: "Ces principes fondamentaux s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance." Donc, la liberté d’expression ne concerne en France que des individus, éventuellement associés, mais pas des entités collectives, des "groupes". Le Conseil précise, par ailleurs, les critères prohibés: l’origine (les populations françaises qui se pensent autochtones en seront pour leurs frais), la croyance (le Conseil a la prudence de ne pas employer le terme religion, mais l’assimilation n’est nullement interdite), la langue, mais aussi la culture. Une prohibition nouvelle, qui surprend par son ampleur.

Cette maximisation solennelle de la position républicaine est inquiétante. On constate un décalage de plus en plus marqué entre le choix du Conseil - qui aurait pu mettre moins de rigueur tout en maintenant le cap - et l’évolution de notre société, de son droit, de plus en plus marqués par ce qu’il faut bien appeler un "multiculturalisme à la française", beaucoup plus tempéré qu’outre-Atlantique.

Ce "multiculturalisme" n’est pas inconciliable avec la République, si l’on veut bien comprendre qu’il n’est pas synonyme de communautarisme. L’article premier de la Constitution définit la France comme une République démocratique. Or aujourd’hui la démocratie s’inscrit sous le signe du pluralisme (d’ailleurs qualifié, en 1986, par le Conseil lui-même d’objectif de valeur constitutionnelle).

D’ailleurs en 1992, un arrêt du Conseil d’Etat a inauguré la fameuse jurisprudence sur les foulards islamiques, donnant justement à la laïcité un caractère pluraliste qu’elle ne possédait pas auparavant et permettant l’expression publique de choix jusque-là confinés dans la sphère intime des relations privées.

Notre Constitution permet également (art. 75) à certaines populations jusqu’ici du seul outre-mer de conserver en matière familiale un statut personnel différent du droit commun des Français: or ce statut est bien fondé sur l’origine et la culture communes à des groupes, puisqu’il découle de la coutume et de la religion (notamment musulmane).

Au cours, de l’année précédente, la distorsion entre l’attitude du juge constitutionnel et celle du pouvoir politique s’est manifestée à deux occasions majeures. De manière implicite à l’occasion de la signature de l’accord de 1998 sur la Nouvelle-Calédonie, sur lequel est fortement calqué celui de la Polynésie. Ces deux territoires vont devenir des "pays", possédant leur propre citoyenneté et leurs lois particulières, ce qui injectera dans les Etats unitaires une forte dose d’autonomie, nullement transitoire, au moins pour la Polynésie. Le Conseil ne pourra pas bloquer ces innovations, conséquences d’une révision constiutionnelle.

En revanche, il a censuré le 14 janvier 1999 un de loi instaurant la parité dans la vie politique. Décision sans grande conséquence, puisqu’une autre révision constitutionnelle va distinguer hommes et femmes dans un passage crucial de la Constitution, l’article 3, consacré à la souveraineté nationale appartenant au peuple français.

Ces deux exemples montrent que le pouvoir politique emploie des procédures strictement conformes au droit: la révision constitutionnelle. L’absence d’intervention du Conseil dans ce cas est logique, puisqu’il ne peut prévaloir sur le pouvoir constituant lui-même, qui crée ou modifie le texte constitutionnel.

Tout ne va pas pour autant pour le mieux. En effet, notre rationalité juridique repose sur l’idée d’une hiérarchie des normes au sommet de laquelle trône la norme fondamentale: la Constitution. Y toucher souvent et sur des points sensibles ne peut que la fragiliser, et introduire du chaos dans un ordonnancement qui vise la stabilité.

On peut craindre que les coups de clairon du 15 juin ne participent pas de cette attitude. La ratification de la charte ne peut plus maintenant passer que par une autre révision, celle de la Constitution. Le jeu en vaut la chandelle, mais il eût mieux valu éviter de devoir l’allumer.

 

Une et francophone

Par GEORGES SARRE

Georges Sarre est député de Paris et président délégué du Mouvement des citoyens.

Libération, Le mardi 22 juin 1999

Pour ou contre la Charte sur les langues régionales

À mon initiative, des intellectuels et élus ont, au nom de notre idée de la République, lancé un appel contre la ratification de la Charte des langues régionales et minoritaires. Nous voici accusés de pratiquer une politique d’exclusion visant à " priver les citoyens d’un ancrage identitaire ". Démontons ce procès d’intention.

Nous reconnaissons les langues régionales et minoritaires comme partie intégrante du patrimoine culturel français. Nous considérons que la Charte, si elle avait pour objectif, comme l’écrivent Henri Giordan et ses amis "la sauvegarde d’un patrimoine linguistique menacé de disparition" serait un texte ringard pour nostalgiques mais acceptable. Le gouvernement l’a d’ailleurs voulu ainsi, qui n’a pas retenu les articles introduisant ces langues dans la justice et l’administration. Le problème est que, de l’aveu même de nos détracteurs, elle n’est pas que cela. Elle est, pour les mouvements autonomistes et régionalistes, une arme politique. Pour favoriser l’éclatement du cadre national et à la création d’une Europe des régions qu’ils souhaitent, ils réclameront demain la ratification d’autres articles, exigeront que deviennent publiques, alors qu’elles peuvent rester privées et sous contrat, des écoles où l’enseignement est entièrement dispensé dans les langues régionales. C’est l’ethnicisation des esprits qui est en marche.

Aux partisans de la Charte qui culpabilisent la France en l’accusant de réprimer des langues régionales, nous rappelons qu’elles sont librement parlées et enseignées, que personne n’a interdit Alan Stivell ou I Muvrini. D’ailleurs nombre de pays non signataires de la Charte respectent leurs minorités (Italie, Belgique, Royaume-Uni) alors que d’autres qui l’ont ratifiée pratiquent, en Europe centrale notamment, la discrimination ethnique et linguistique, en particulier envers les Roms, peuple paria de la région!

Nous le maintenons, cette Charte porte un mauvais coup à la francophonie, car l’hégémonie de l’anglais ne pourra être contenue que par un effort massif en faveur du français. Oui, économiquement, il est suicidaire d’enfermer une petite fraction de la jeunesse de certaines provinces dans la pratique de langues qui ne sont parlées que dans une province d’un ou deux pays européens alors que le français possède des dizaines de millions de locuteurs en Afrique, au Maghreb, au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est. Et disons-le clairement aux citoyens de nos DOM-TOM: s’il est naturel de protéger les créoles, comme les langues polynésiennes ou mélanésiennes, seul le français peut, dans la Caraïbe et le Pacifique, être langue de communication avec l’anglais et l’espagnol.

On nous dit disciples de l’abbé Grégoire? Mais nous ne nions pas l’existence des langues régionales et leur richesse! Si nous ne récusons pas la figure de l’illustre conventionnel, c’est parce qu’il donna aux juifs de France leur citoyenneté et aux esclaves leur liberté. Si, sous la Révolution, et plus tard la IIIe République, l’Etat a voulu contenir les patois et les langues régionales, c’est parce que la construction de la France en tant que nation passait par la diffusion du français, en un temps où les adversaires de la République misaient sur les régionalismes. Ces adversaires existent toujours. En adoptant le modèle communautariste en vigueur dans nombre de pays signataires de la Charte, mais contraire à notre tradition républicaine, fondée sur le citoyen et non sur les identités collectives, ils défont la République et nuisent à l’intégration des Français d’origine étrangère, laquelle ne peut passer que par le français. En censurant certaines dispositions de la Charte européenne sur les langues régionales et minoritaires, le Conseil constitutionnel nous a d’ailleurs donné raison.

 

La France demeure la prison des peuples

Neues Elsaß-Lothringen - Nr. 78 - 26. Mai 1999

Editorial par Rudolf Leutmann

C’est dans un frisson d’horreur que tout ce que l’Hexagone compte de jacobins fanatiques, de nationaux-républicains autres souverainistes français, a pris connaissance de la signature par le représentant français de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires le 7 mai 1999 à Budapest lors du 50 ème anniversaire du Conseil de l’Europe.

Pourtant, ladite Charte est intégralement vidée de son esprit et de sa substance en raison du choix délibéré des dispositions non contraignantes et purement symboliques de la part de l’Etat français qui se refuse à faire la moindre concession quant à l’emploi des langues des peuples prisonniers de l’Hexagone dans les domaines de la justice, des services publics ou des équipements culturels tout en continuant d’ailleurs à refuser catégoriquement des droits collectifs aux peuples concernés par la Charte.

Notons enfin que cette signature est bien précaire quand on sait qu’elle ne sera concrétisée qu’après avis du conseil constitutionnel français (qui avait déjà refusé l’approbation de la Charte en 1996) et ratification par l’assemblée française au cours de l’année 2000.

Néanmoins, une vague de folie collective semble avoir submergé une frange importante de la jacobinie, soucieuse de maintenir sa domination tandis que partout se révèle son ignominie (dont l’épisode Bonnet n’est qu’un simple échantillon). Ainsi, dans le même temps où le duo infernal Pasqua-Villiers dénonce à propos de la Charte, " ce nouvel abandon qui engage un peu plus la France dans la logique fédérale ", un groupe d’une vingtaine de jacobins enragés (parmi lesquels Philippe de Saint-Robert, membre du haut-conseil de la francophonie, Georges Sarre, président-délégué du mouvement des citoyens, Marceau Deschamps, vice-président de l’association de défense de la langue française, Jean Dutourd, membre de l’académie française, Luc Lichtle, membre de la fédération des œuvres laïques du Haut-Rhin en tant que boche de service...) signent un texte appelant les députés du parlement français à voter conter la ratification. Cette pitoyable logorrhée ressasse pour la nème fois les poncifs de la funeste idéologie jacobine de la " Grande Nation " et de la " République une et indivisible " où l’on apprend antre autres que " le français est une langue à vocation universelle " (sic) que la Charte méconnaît.

" l´unité du peuple et du territoire français " (resic) et que la Charte " repose sur une conception qui fait de la langue, donc de l´ethnie, le critère déterminant de l´appartenance nationale, alors que la tradition républicaine permet à tout individu qui le désire [...le désir... dans nos pays s´est fait à coup d´interdictions et de crimes!] et qui participe au projet national [le " projet national " français est-il autre chose que l´obsession monomaniaque à vouloir réduire la diversité des peuples et des cultures à un modèle unique et uniforme?] ... " Dorénavant, chacun saura que la " tradition républicaine ", chez les Français, c’est fondamentalement le repli hexagonal, le déni d’existence, le racisme linguistique (le français étant bien évidemment " la plus belle langue du monde "... supérieure aux autres), l’hétérophobie, le refus implacable des différences, des identités et de leur reconnaissance dans la sphère publique.

Ainsi qu’a pu l’écrire Olier Mordrel , " il existe des formes subtiles, sournoises pour tuer un peuple [...] Il est plus raffiné de le laisser subsister physiquement, mais d´étouffer son âme. "

De fait, perdre sa langue est un traumatisme terrible, un grave séquelle qui ruine les défenses immunitaires d’un peuple quand celui-ci a oublié sa conscience identitaire. C’est pourquoi au Forum nationaliste (FNAL), nous nous battons pour la vitalité des langues de notre pays (l’Elsasserditsch, le Lothringer Platt et sa forme écrite, le Hochdeutsch ainsi que les parlers romans d’Alsace-Lorraine), pour que soient reconnus le breton, la catalan, le flamand, l’occitan, le corse, le basque, les nombreuses langues d’oïl (gallo, normand, picard...) ou encore le berbère, l’arabe dialectal, les créoles... comme des langues à part entière, patrimoine inestimable et réalité vivante des pays dont elles sont issues et non vagues " langues régionales " cloisonnées dans un Hexagone qui nous étouffe toujours un peu plus et qui se trouve être précisément à l’origine d’un monolinguisme dévastateur.

Face aux écueils tragiques des méthodes totalitaires d’assimilation et d’exclusion des jacobins, nous lutterons toujours pour fédérer et différencier les peuples afin qu’ils puissent vivre librement leur identité.


 

Lettre à M. Sarre, qui croit sauver la langue française

Par ANAID DONABEDIAN, HENRI GIORDAN ET HOCINE SADI

Anaïd Donabedian (maître de conférences à l’Inalco, Paris),

Henri Giordan (directeur de recherches CNRS),

Hocine Sadi (professeur agrégé, université d’Evry)

Libération, Le mardi 15 juin 1999


On avait cru voir dans la signature par le gouvernement de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires la fin d’une longue période de répression des langues régionales. Car il faut le dire, en ce domaine, la France s’était distinguée. Mais on avait fini par penser que la domination de la langue française, son quasi-monopole dans le paysage linguistique, la marginalisation et le recul des langues régionales avaient atteint un niveau tel qu’il était apparu inutile de poursuivre aujourd’hui encore un combat qui, à défaut d’avoir jamais été juste, est devenu sans objet. Et la charte même a pour seule ambition la sauvegarde d’un patrimoine linguistique menacé de disparition.

"La guerre est finie", écrivait Gérard Dupuy (Libération du 1er octobre 1998) à l’annonce de la décision du gouvernement de signer la charte. Pas encore, semblent répondre Georges Sarre et ses amis, qui viennent de lancer une pétition contre cette charte en laquelle ils voient, tout à la fois, un danger pour la République, une menace pour la langue française, une dérive communautariste et une atteinte à l’unité du peuple français. Et, par surcroît, un gâchis, puisque la charte entend promouvoir des "langues inutiles économiquement", ajoute M. Sarre.

L’idéal des signataires de cette pétition est, disent-ils, la République. C’est aussi le nôtre. A la différence que, pour nous, la République n’est pas constituée de citoyens désincarnés et sans racines. Nous ne nous reconnaissons pas dans une République où les hommes et les femmes de ce pays n’accéderaient au statut de citoyens que coupés de leur mémoire. Et notre attachement à la langue française ne se nourrit pas d’exclusion, pratiquée au nom de celle-ci, de langues qui expriment une partie de notre histoire et de notre intimité, langues que l’on ne saurait opposer à la langue française et encore moins au peuple français, puisque au contraire elles accompagnent et disent un itinéraire dont le terme est notre appartenance à ce pays.

Comment voir en Charles Aznavour, ambassadeur de la langue française de par le monde, un ennemi de cette langue au motif qu’il est sensible à la survie de l’arménien?

Comment considérer que Zinedine Zidane, qui a symbolisé l’union de toute la population, y compris celle des quartiers difficiles, cultive le communautarisme lorsqu’il affirme son amour de la culture berbère? N’est-ce pas plutôt parce que ces deux personnalités connaissent, l’une comme l’autre, leurs origines et les assument que leur appartenance à la France prend autant de sens, qu’elle est si vivante, si riche, et en définitive aussi efficace?

Non, le danger communautariste est ailleurs, il ne vient sûrement pas de là, pas plus qu’il ne vient des chanteurs bretons, des poètes catalans, occitans ou corses.

A l’heure où notre pays s’ouvre inexorablement sur le monde, et où le multilinguisme est vanté par tous, ceux qui croient sauver la langue française en se retranchant derrière les barricades de l’abbé Grégoire se trompent d’époque, de guerre et d’ennemis. Et lorsqu’ils affirment vouloir tout jauger à l’aune de l’"utilité économique", ils devraient méditer sur les ravages que causerait ce critère transposé à l’échelle européenne. L’exception française ne pèserait pas lourd. Est-ce par souci de rentabilité économique que l’on restreint les quotas des productions américaine à la télévision, que adopte des lois qui interdisent aux journalistes le franglais, que l’on développe des programmes francophones sur l’Internet?

Madame Trautmann a raison d’affirmer que, loin de constituer un handicap, la diversité linguistique de notre pays est une richesse. Elle fait partie du socle sur laquelle se fonde l’identité française. A dessécher ces racines vivifiantes, on prive dangereusement les citoyens d’un ancrage identitaire.

"Le XXIe siècle aura à gérer la revendication identitaire. Les républicains doivent le faire. Sinon d’autres s’en chargeront", écrivait Bernard Poignant dans un rapport sur les langues régionales remis au Premier ministre. Est-ce à cette responsabilité qu’entendent se soustraire Georges Sarre et ses amis en combattant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires?.

 

Un entretien avec M. Jean-Yves Cozan

 

M. Jean-Yves Cozan, député et vice-président du Conseil Général du Finistère est, parmi les élus bretons, l’un des plus ardents défenseurs de la Bretagne et de sa culture. Nous l’avons rencontré à Koat-Keo et il a accepté de répondre à nos questions. Nous publions ci-après cet interview. Les idées que J.-Y. Cozan y exprime ne sont pas forcément toutes identiques aux nôtres. Elles n’en sont cependant pas très éloignées et ont le mérite de faire avancer la réflexion, une réflexion qui, nous l’espérons, aboutira à des actions et des résultats concrets pour notre pays.

L’Avenir de la Bretagne

 

L’Avenir de la Bretagne : Monsieur Jean-Yves Cozan, tout le monde vous connaît en Bretagne, comme le Premier Vice-Président du Conseil Général du Finistère, mais pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre itinéraire ?


Jean Yves Cozan : Tout d’abord, je me suis investi aux niveaux civique et politique. Déjà adolescent, je fus membre de l’équipe " nationale " de la jeunesse étudiante chrétienne, après en avoir été responsable départemental. Après mes études de sociologie, je me suis senti concerné par tout ce qui était social, et me suis occupé du secrétariat des " semaines sociales de France ", et puis, très vite, je me suis engagé politiquement. D’abord au MRP, parce que c’est un peu ma souche d’origine. J’ai été élu adjoint au maire à Kemper, puis conseiller général d’Ouessant, à la mort d’André Colin. J’ai ensuite été élu député à la proportionnelle, en 1986, en même temps que Conseiller Régional, puisque je menais la liste aux régionales dans le Finistère. Pour respecter la loi sur le cumul des mandats, j’ai démissionné de mon poste de conseiller régional, et j’ai été réélu député en 1988 et 1993 dans la circonscription de Châteaulin. Depuis 1978, je siège au Conseil Général, qui correspond un peu à mon engagement premier, parce que je privilégie le quotidien, le concret, le terrain. Je suis donc conseiller général à plein temps. Je m’occupe depuis longtemps de culture, d’environnement, de monuments historiques, de vie associative et d’éducation. Par ailleurs, j’ai créé une compagnie maritime pour Ouessant, (et une compagnie aérienne), un centre culturel à l’Abbaye de Daoulas, qui affirme les racines bretonnes, tout en s’ouvrant aux autres cultures. Je suis également Président du Parc d’Armorique auquel je consacre beaucoup de temps. J’assume aussi la responsabilité d’une société d’aménagement : la SAFI, avec laquelle nous suivons la construction de maisons de retraite, de musées, d’écoles, de collèges. J’ai aussi beaucoup investi dans la musique ; j’ai présidé l’association pour la diffusion de la musique pendant plus de dix ans. Donc, à partir du Conseil Général, je suis présent dans plusieurs facettes de la réalité finistérienne, en privilégiant la culture et l’identité bretonne. J’y ai créé le groupe " langue et culture régionale " au Conseil Général du Finistère. J’ai beaucoup investi là ou je sentais des besoins : identité bretonne, langue, culture, environnement. C’est dans ces domaines que j’ai mis mon énergie depuis quelque temps.


L’Avenir : Vous êtes Président du Parc d’Armorique, député du Finistère vous êtes l’un des élus bretons les plus en vue, vous avez l’envergure, au propre comme au figuré, d’un homme d’État. Quelles ambitions nourrissez-vous quant à l’avenir ? Avez-vous des vues sur le Conseil Régional?


J.-Y. Cozan : Ma seule ambition, c’est d’être moi-même et de répondre aux attentes des gens. C’est le contact avec les gens qui m’entourent qui déterminera ce que je ferai. Je n’ai pas de plan de carrière, je ne me préoccupe pas d’élections, mais seulement de ce que je crois être important et je fais ce que je pense devoir faire, quelles que soient les contraintes électorales, ou de vie institutionnelle. Ai-je des ambitions pour le Conseil Régional ?

La seule chose que je puis affirmer, c’est qu’il y un problème en Bretagne. Il y a même deux problèmes. Tout d’abord, la " décentralisation ", qui est une idée fantastique (saluons au passage l’initiative) est loin d’aller jusqu’au bout, et les collectivités locales, pour des raisons financières sont encore sous tutelle. L’État n’a transféré que les affaires difficiles à gérer : aux départements la politique sociale, et aux régions la formation et l’éducation. En outre, par le biais des contrats État-Région, par le biais de politiques sectorielles verticales, l’État reprend en mains beaucoup d’attributions. Il y a un gros problème. La décentralisation est incomplête. elle devrait permettre aux collectivités d’être plus autonomes et de gérer totalement des domaines tels que la culture et l’enseignement, au niveau des contenus. Par ailleurs, il y a une réalité historique que l’on conna "t depuis longtemps. Il y a la haute et la basse Bretagne. L’histoire de la Bretagne s’est jouée dans le triangle Brest-Nantes-Kemper. Elle s’est jouée en dialectique avec les français et les anglais. Or, il y a un problème actuellement, en " Haute-Bretagne ", c’est que Rennes tend à devenir une banlieue RER de Paris. Pour nous, en " Basse-Bretagne ", il y a une interrogation. J’estime aussi que le Conseil " Régional " ne fait pas tout ce qu’il pourrait faire pour valoriser l’identité bretonne. Cela peut venir des contradictions entre la " haute " et la " basse " Bretagne. Mais il demeure des ambiguïtés, et je crois qu’il est possible d’aller plus loin. C’est pour cela que je ne serai pas indifférent, lors des élections régionales. Qu’est-ce que cela veut dire ? Eh bien attendons, voyons le mode de scrutin. Est-ce qu’on aura un scrutin régional ? Est-ce qu’on aura un scrutin départemental, comme le poids du conservatisme le laisse redouter, ce qui fait qu’on aura des élus qui n’auront pas une conscience bretonne des plus fortes. Tout cela n’est guère enthousiasmant. Mais je ne serai pas spectateur, ce qui veut dire que je prendrai une part active dans mon département et je regarderai ce qui se passe en Basse-Bretagne pour que, quel que soit le jeu politique, quel que soit le rôle des formations politiques, en fonction du mode de scrutin, on aille un peu plus loin dans 1’émergence de personnes, femmes et hommes, qui expriment la réalité de l’identité bretonne, et la réalité de la " Basse-Bretagne ". Alors on verra. Personnellement, je suis déjà Conseiller Général et député, cela suffit à mon bonheur, mais l’enjeu des élections " régionales " pour la Bretagne est tel que je ne me contenterai pas d’être spectateur.

L’Avenir : On vous connaît comme l’un des élus les plus proches de la cause bretonne. Vous êtes toujours à l’écoute des difficultés de Diwan. Vous êtes l’un, sinon le principal promoteur de la culture bretonne dans le Finistère. D’ou vous est venu cet attachement à nos traditions et notre identité ? Avez-vous, étant plus jeune, été membre d’organisations bretonnes, culturelles ou politiques ?



J.-Y. Cozan : J’ai été membre du M.O.B (Mouvement pour l’Organisation de la Bretagne) quand j’étais adolescent. J’ai eu la chance, quand j’étais enfant, à l’école primaire du Conquet, d’avoir comme Directeur l’Abbé Quémeneur, qui est toujours en vie, et qui nous disait : " on a fait le cours d’histoire officielle. Maintenant, avant d’aller en récréation, fermez vos livres, rangez-les dans vos cartables, et ouvrez un cahier ; nous allons parler de l’Histoire de la Bretagne ". C’est là que je me suis rendu compte que chez nous, c’était particulier. Que nous étions des citoyens français, mais avant tout des bretons, et que notre histoire était bannie des manuels officiels. Je crois que l’Histoire est la base de la conscience politique au bon sens du terme. C’est par l’Histoire vraie de notre pays que j’ai pris conscience que nous sommes différents. Et cela a été le fondement de ma conscience politique. J’ai milité au M.O.B. jusqu’à ce que mes études me contraignent à aller à Paris. Depuis, j’ai continué à avoir une politique d’ouverture, même si je n’ai pas trouvé les mouvements et organisations politiques qui puissent exprimer le projet que l’on sent confusément chez les bretons. Il y a un appel, un creux, une insatisfaction. Mais j’ai toujours été attentif, et lorsque Diwan a eu des difficultés, ses responsables sont venus me voir et je leur ai répondu favorablement ; et c’est là que j’ai été amené à m’impliquer dans la vie institutionnelle, notamment au Conseil Général, en faveur de Diwan, et à partir de là, de l’expression de l’identité, puisque j’avais la Culture en charge. et la décentralisation aidant, j’en ai profité, non seulement pour répondre à l’appel, mais pour établir des connexions entre tous ceux qui avaient la volonté d’exprimer l’identité bretonne, qui, pour nous est une raison de survie. Dans une " région " comme la nôtre, on se bat uniquement si l’on a une raison de se battre, si l’on a le sentiment d’appartenir à un pays, une histoire, une communauté. La base du développement économique, c’est la conscience historique et politique d’appartenir à un pays.


L’Avenir : Vous êtes allé, avec Yvon Bonnot, député de Lannion, et Daniel Pennec, député de Guingamp, plaider à Paris , la cause des bretons mis en examen dans l’affaire dite " des basques ". Comment analysez-vous cette situation ? Avez-vous l’impression, comme Alain Gouriou, Maire de Lannion, que l’État français applique une justice à deux vitesses, lorsqu’il s’agit des Bretons ou des Corses, par exemple ? Et quelles conséquences tirez-vous de cette affaire ?



J.-Y. Cozan : C’est très simple. Dès le départ, il y a quelques années, quand il y a eu les premières arrestations, nous avons entendu les personnes concernées, et nous avons réagi. Le Conseil Général du Finistère a d’ailleurs à l’unanimité pris la position suivante : on ne porte pas de jugement sur le fond, mais sur la forme. La façon dont l’État français a procédé à ces arrestations exprime une volonté d’amalgame avec toute l’action culturelle et identitaire bretonne, que nous ne pouvons pas tolérer. Les méthodes employées reflètent un mépris total des individus. On a estimé qu’il n’était pas nécessaire de garder les gens en prison comme ils le furent. Dans l’état actuel des choses, si j’ai pris l’initiative d’aller voir des ministres, dont le ministre de l’intérieur, avec mes collègues Bonnot et Pennec, c’est parce que je pensais qu’il était temps de réagir contre cette façon de faire. Pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce qu’il nous est apparu qu’il y avait deux poids et deux mesures dans la République française ; que les Corses pouvaient rassembler 600 hommes armé lourdement devant les cameras de télévision sans être inquiétés, et que, en Bretagne des personnes qui, pour des motifs divers, avaient accueilli des basques dans une situation administrative dont on peut discuter, étaient considérées comme des bandits de grand chemin. C’est inacceptable. C’est vrai au niveau de l’ordre public, comme à celui de l’aménagement du territoire et de l’économie. On va faire de la Corse une zone franche. C’est très bien mais la droite, comme la gauche, françaises, n’ont jamais rien fait pour les " les bretonnes !!! Tout cela n’est pas normal ! Donc, je suis allé dire à Debré, quelque chose de très simple ; la lutte contre le terrorisme , c’est votre affaire, la loi est la loi, simplement, la façon dont sont menées les arrestations est inadmissible. Il n’est pas possible que cela continue. Et je crois que, globalement, nous avons été entendus.


 

L’Avenir : Dernièrement, le MPA (Mouve-ment pour l’Autodétermination de la Corse), suite aux négociations entamées avec le gouvernement français, a fait savoir qu’il réclamait, pour la Corse, non pas l’indépendance pure et simple, mais un statut comparable à celui de la Catalogne en Espagne, ainsi que la reconnaissance juridique du Peuple corse. On vous sait par ailleurs grand voyageur, vous vous êtes rendu en Catalogne à l’invitation du Président Jordi Pujol, et vous êtes le seul élu de l’actuelle majorité, à avoir voté, voici deux ans pour la reconnaissance juridique du " Peuple corse ". Que pensez-vous des propositions du M.P.A. ?



J.-Y. Cozan : J’ai, effectivement, avec mon ami José Rossi, qui était le rapporteur du statut de la Corse, été le seul député de l’actuelle majorité à voter ce statut, malgré les pressions nombreuses, variées et de toutes sortes. Et je suis ravi de l’avoir fait. Je pense que la République française doit s’enrichir de ses différences, et que si elle ne peut pas accepter ces différences de culture, c’est qu’elle se sent encore fragile. Elle essaie d’assimiler des cultures allogènes, sur son territoire, mais elle ne sera crédible que lorsqu’elle respectera les cultures des communautés historiquement implantées sur le territoire de l’État. Il y a, en France, des Peuples différents par leur histoire et leur culture. On ne peut pas comparer les situations en Corse, en Bretagne, au Pays Basque, en Alsace, en Flandre, avec celle du reste de la France. Il faut des approches différentes. Or, en France, on croit que tout le monde doit être identique et aligné sur Paris, alors que la force d’une République, c’est de s’enrichir de ses différences. Alors, je crois que la Corse, et toutes les " régions " dotées d’une identité forte, méritent une attention, une approche, et des considérations particulières. Il est criminel d’interdire à certaines régions de nouer des relations internationales pour la raison d’État. Prenez l’exemple de l’Alsace qui vit dans la culture et l’influence économique allemande, il est tout à fait normal qu’elle ait des relations avec le monde alémanique. De même il est tout à fait légitime que les Catalans du Nord, ou les Basques du Nord, nouent des relations avec leurs frères du Sud. Il y a une variété de situations, et il ne peut pas y avoir de solutions standard. Je crois qu’en ce qui concerne la Corse, il faut trouver des solutions qui conviennent aux aspirations du Peuple corse, parce qu’il existe un peuple corse, et qu’il faut que cela donne des résultats, parce qu’on juge un arbre à ses fruits, tant au plan économique que culturel.


L’Avenir : Depuis la fin des années 80, on assiste à de formidables mouvements des peuples sur le territoire de la vieille Europe. Des nations n’ayant jamais eu d’État, comme les Slovènes ou les Slovaques, ont conquis leur liberté de haute lutte. Des peuples dont les libertés avaient été confisquées depuis des décennies, comme les Baltes, Lithuaniens, Lettons, et Estoniens, les ont recouvrées, des États artificiels, comme la Tchécoslovaquie ou la Yougoslavie, créés au lendemain de la première guerre mondiale, par les vainqueurs, pour récompenser les bons services de leurs petits amis, ont éclaté, sont morts et enterrés. D’autres États, jusqu’alors unitaires, ont évolué vers des solutions fédérales, comme la Belgique, ou, sous la poussée de mouvements centrifuges, sont sur la voie du fédéralisme, comme l’Italie. Que pensez-vous de ces grands mouvements ? Comment situez-vous la Bretagne dans ce courant. Comment imaginez-vous l’Europe de demain ? Que pensez-vous du principe de subsidiarité ?

J.-Y. Cozan : Je crois que ce sont de bonnes questions. Et là nous sommes en face de certitudes. Et c’est pour cela que cela fait mal aux gens qui veulent aller contre le sens de l’histoire. Le monde évolue, grâce aux progrès des moyens de communication : la télévision, l’informatique et à présent Internet. On ne peut empêcher la rencontre des cultures, ni l’échange des idées. Par ailleurs, on se rend compte que les barrières religieuses ou politiques ou idéologiques mises en place au cours de l’histoire relativement récente de notre continent, ne résistent pas aux interrogations des hommes, qui ne croient plus en des idéologies qui n’ont pas répondu à leurs aspirations. Je crois que dans ce monde où les puissances d’argent " écrabouillent " les hommes, où la " culture " est celle des puissances économiques dominantes, où il y a uniformisation et nivellement des cultures vraies, où le jeune chinois de Pékin ne rêve plus que de blue jean et de coca cola, les gens sont de plus en plus " paumés ". Les murs de Berlin tombent, les religions s’effondrent, les balises sombrent et les hommes, pour exister, ont besoin d’être de quelque part. Et plus la crise idéologique et spirituelle est profonde, plus les gens regardent le terreau autour d’eux, où ils cherchent leurs repères ; le cadre familial, le village, le pays, etc. Plus ils sont en recherche d’identité. Regardez ce qui s’est passé dans les Pays de l’Est, le système communiste s’est effondré, l’Empire soviétique s’est effondré du jour au lendemain, et les peuples ont ressurgi, avec leur volonté de s’exprimer tels qu’ils sont, et le pouvoir ne parvient pas à les écraser. Voyez l’exemple tchétchène. C’est cela la réalité. Il y a des gens qui vont à contre sens de l’histoire, ils seront balayés. Nous, nous sommes bien dans nos baskets, parce que nous savons que la vie sociale, dans le monde, ne peut exister, avec un esprit d’ouverture, qu’à partir d’un terrain où l’on se sent bien, une communauté où l’on se sent chez soi ; pour nous c’est la Bretagne. Je crois que l’affirmation, ou la renaissance des identités " régionales ", à travers l’histoire, va façonner un monde nouveau. Je crois que c’est, profondément, le sens de l’histoire. En France, où l’on entretient volontiers la confusion entre nation et État, l’affirmation des identités " régionales ", sera inévitablement plus forte. Le drame, en France, c’est que les langues des minorités nationales ont été celles des pays étrangers ennemis. L’alsacien représentait l’Allemagne, le catalan l’Espagne, l’occitan l’Italien etc. Donc, la reconnaissance de " langues régionales ", alors que la France était en guerre avec des États dont c’étaient les langues, créait un problème. Il n’y a que la Bretagne qui ne soit pas dans ce cas-là. Seulement, nous payons pour les " langues minoritaires " en France, qui étaient " majoritaires " chez nos voisins. Je pense que l’on va fatalement, vers une affirmation des identités. Comment est-ce que cela se fera ? Tout dépendra du niveau de conscience des Peuples. Si les Bretons ont une conscience bretonne (je ne suis pas persuadé, hélas, qu’elle soit très forte actuellement), eh bien, on ira beaucoup plus loin au niveau institutionnel. Enfin, on est sûr de gagner. On a déjà gagné virtuellement. Maintenant, le problème est de savoir comment canaliser les énergies pour que cette aspiration s’exprime de manière positive. Tout dépend des hommes qui écriront l’Histoire.


L’Avenir : Certaines régions d’Europe, comme l’État libre de Bavière, ont des représentants directs à Bruxelles et sont très jaloux de leurs prérogatives. Pensez-vous que de telles solutions soient envisageables pour les intérêts des pêcheurs, des paysans et des travailleurs bretons.



J.-Y. Cozan : C’est évident ! Pour que la Bretagne soit forte, il faut qu’elle soit représentée ! Une Bretagne forte doit d’abord avoir une représentation, une ambassade à Paris. Pour l’instant il n’y en a pas, et souvent, les hommes politiques bretons, lorsqu’ils vont à Paris, crachent sur la terre de la grand-mère. Or, on devrait avoir une présence forte à Paris et dans les régions où l’avenir de la Bretagne se joue. A Bruxelles bien sûr, mais aussi à Londres, à Barcelone, à Milan, et à Frankfort ! C’est une nécessité vitale si nous voulons défendre nos intérêts. Les Bretons de la diaspora ont certes une importance. Mais nos représentations ne sont pas assez organisées. Il faudrait que cet effet de réseau, cette image forte que les Bretons ont quand ils sont en dehors de chez eux, se retrouvent dans des représentations culturelles et économiques fortes, dans toutes les capitales européennes, parmi lesquelles je compte Paris.


 

 

 

 

L’Avenir : Lors de la création, en 1972, de la " région " administrative le gouvernement français de l’époque a repris les limites de la Bretagne du Maréchal Pétain, en l’amputant de sa capitale historique, Nantes, et de toute la Loire-Atlantique. Que pensez-vous de cette décision ?



J.-Y. Cozan : C’est une décision abominable et qui a été prise sciemment ! La Bretagne est habitée par des bretons et l’ouest par des ouistiti ! On a voulu casser la Bretagne ! Nantes est autant en Bretagne que Rennes. Personnellement, je me sens plus proche de Nantes que de Rennes. Parce que culturellement et historiquement, la réalité nantaise est une réalité bretonne. Lorsque les Nantais viennent en vacances en Cornouailles, ce n’est pas pour rien. Comme les saumons remontent aux sources, ils sentent que c’est ici qu’il faut venir retrouver ses racines. Personnellement, je suis très favorable à un retour à la Bretagne à cinq départements. Ce n’est pas facile parce que Nantes ne peut pas venir seule. Pour des raisons économiques et historiques, son " hinterland " doit la suivre. Personnellement, je suis pour une Bretagne qui retrouve ses limites historiques avec Nantes, et qui dépasse la Bretagne historique, sans se confondre cependant , avec le " grand Ouest ". Il y a une réalité armoricaine, qu’il faudrait essayer de définir. Rien n’empêche les Conseils Généraux et les Conseils Régionaux de se réunir plus souvent. J’ai lancé des initiatives dans ce sens, mais en vain. J’essaie d’emmener la commission que j’anime au Conseil Général, dans les autres départements. Nous avons un déplacement prévu sur Nantes, pour travailler sur des problèmes culturels et archéologiques. Il faudrait que les élus reprennent la tradition du TRO BREIZH. Il faut établir des relations suivies entre les élus de la " région " administrative " Bretagne ", et ceux de Nantes et de son " hinterland ", pour que les gens se connaissant, qu’ils aient envie de travailler ensemble.


L’Avenir : L’Inde reconna "t 23 langues officielles, la Belgique 2, la Confédération Helvétique, depuis deux mois, en reconnaît quatre, avec le Romanche à parité avec l’Allemand, l’Italien et le français. De nombreux États d’Europe tels que l’Italie, s’accomodent parfaitement de l’existence sur leur territoire, de langues minoritaires, ou " régionales ", ou allogènes (le français au Val d’Aoste, ou l’allemand au Sud Tyrol, par exemple). Que pensez-vous de l’attitude du gouvernement français qui refuse toujours de signer la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et qui, pour ce faire, renforce sa constitution, déjà la plus centraliste d’Europe, d’un paragraphe stipulant que " le français est la langue de la République ", bien entendu à l’exclusion de toutes les autres.



J.-Y. Cozan : Je pense que c’est une position frileuse, décadente, et à côté de la réalité. Au delà du pouvoir politique français, il y a une caste de fonctionnaires qui veulent absolument empêcher 1’expression des réalités " régionales ". La France est, avec les deux champions de la démocratie que sont la Turquie et la Grèce, l’un des trois pays qui ont refusé de signer la charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Et je crois que, dans cette affaire la " gauche ", comme " la droite " française se valent. J’ai, personnellement rencontré des hauts fonctionnaires parisiens qui m’ont dit : " les ministres, les hommes politiques peuvent dire et faire ce qu’ils veulent, on n’en a rien à foutre, puisque c’est nous qui bloquons le système ". Il y a une volonté explicite de la culture dominante, qui est enracinée dans les grands corps de l’État, d’exterminer les cultures minoritaires. Cette attitude va contre le sens de l’histoire. Les pays qui n’ont qu’une langue sont comme les individus qui n’ont qu’une patte ; ils sont handicapés ! Le français est une langue fantastique, et, personnellement, je la défendrai contre l’impérialisme linguistique anglais ou américain, mais la vraie richesse, c’est de pouvoir à la fois pratiquer le français et la langue de sa communauté. Et l’on sera meilleurs à tous points de vue. D’ailleurs, voyez les enfants de Diwan ! Ils sont plus éveillés pour apprendre l’anglais. Ils sont plus adaptés à une société, où, de plus en plus, il faut savoir plusieurs langues. Alors je crois que le combat des adversaires des langues " minoritaires ", est un combat rétrograde, c’est un combat de gens qui ont peur, et qui font tout pour empêcher que les langues " régionales " aient un statut. Non pas de manière directe, parce qu’on les voit, mais en jouant de manière hypocrite, sur les difficultés administratives. Le breton sera enseigné, dans l’éducation " nationale ", mais de préférence pendant les repas, et on informera les élèves de l’existence de ces cours trois mois après la rentrée, si bien qu’on leur dira : " maintenant c’est trop tard, inscrivez vous l’année prochaine ! " c’est la mort lente organisée. Et d’autant mieux organisée que les français sont un peuple intelligent et qu’ils pratiquent une colonisation hypocrite, contrairement aux anglais. Je crois que les choses sont claires, je ne crois pas à la reconnaissance de notre langue dans le système français actuel. Et c’est pour cela que jamais je ne perdrai mon temps à faire une proposition de loi. Cela ne sert à rien. Je crois que les Bretons, les Basques, les Catalans, les Corses, les Alsaciens, les Flamands, doivent, en ne comptant que sur eux-mêmes, affirmer leur manière d’être particulière, aller le plus loin possible dans l’affirmation de leur identité, et le reste viendra probablement tout seul. Mais ce cheminement n’est pas encore fait. Les collectivités de nos régions à identité forte, ne s’investissent pas encore assez. En Alsace cependant, les élèves qui rentrent en sixième, reçoivent un livre d’Histoire qui n’est pas fait par l’éducation " nationale ", ni par les autonomistes, mais par tout le monde ensemble, parce que la langue et l’histoire sont des éléments essentiels de l’identité, mais aussi parce que d’un point de vue économique, la pratique d’une langue alémanique est aussi utile là-bas, que celle du français. Donc je crois que les élus peuvent accompagner aussi loin que possible ceux qui veulent affirmer notre identité. Quand tout cela aura été dit fortement, eh bien Paris sera bien obligé de suivre.


L’Avenir : Quel avenir voyez-vous pour la langue bretonne et pour les autres langues interdites ou " purifiées " de l’Hexagone ?



J.-Y. Cozan : Personnellement, je ne suis ni optimiste, ni pessimiste, simplement, je crois que ce sont des enjeux d’importance, et que si les hommes veulent que cela marche, cela marchera. La langue bretonne était liée à un mode de civilisation traditionnelle, rurale, maritime, cette civilisation a évolué, la ville n’a pas la même culture, ni la même perception de la langue, et cette situation est ancienne ; le dernier Duc de Bretagne qui parlait breton à sa cour, c’est Jean IV au XIIIe siècle. Les villes ont toujours été de culture française et la campagne gardait la langue du pays. Je crois que ce qui a détruit les langues " régionales ", c’est la guerre de 14-18. Auparavant, tout le monde parlait davantage sa langue communautaire que le français. Les tranchées de Verdun ont littéralement écrabouillé la réalité française, et au sortir de la guerre la langue française était devenue dominante. Mais il y a aujourd’hui, de par la volonté de ceux qui pensent que la langue est le symbole fort d’une identité, à travers les écoles Diwan, les écoles bilingues laïques, catholiques, et le Mouvement culturel breton, qui explose depuis une vingtaine d’années, l’affirmation que c’est important et beau, et la notion d’utilité s’efface devant celle d’identité. Je crois à la pérennité de cette explosion et de cette affirmation. Il suffit de quelques individus décidés pour faire bouger le monde, et si les bretons le veulent, notre langue survivra.


 

L’Avenir : Un certain nombre de pays démocratiques d’Europe occidentale voient coexister sur leur territoire, des formations politiques dites " nationales ", et d’autres à vocation " régionale ", autonomes sans être nécessairement autonomistes. C’est le cas notamment de la République Fédérale d’Allemagne, où la Bavière a son propre parti libéral, doté d’un appareil indépendant de celui de Bonn hier, de Berlin aujourd’hui. Qu’en pensez-vous ? Ne croyez-vous pas qu’il serait intéressant que les bretons soient représentés par des élus indépendants des états majors parisiens, donc jacobins et centralistes ? En d’autres termes, ne vous sentiriez-vous pas l’âme d’un Franz Joseph Strauss breton ?



J.-Y. Cozan : Tout d’abord, j’ai l’âme d’un Ouessantin, de l’homme que je suis. Mais je dis qu’il y a une grande question à laquelle les bretons n’ont pas répondu. Depuis un quart de siècle, on assiste à l’affirmation, sereine, déterminée, et pacifique de l’identité bretonne. Or, il n’y pas de connexion avec un projet politique. Lorsqu’on touche au politique les gens, par intérêt, retrouvent les partis français verticaux, et leurs idées bretonnes sont ravalées au rang de gadget à la mode, pour obtenir 2 ou 3 % de voix supplémentaires. C’est absurde. Il y a là un vrai problème lié au système électoral du scrutin majoritaire. C’est signe aussi que l’opinion se rattache à des symboles parmi lesquels les étiquettes des partis. Il est difficile d’exister politiquement en dehors du poulailler. J’en sais quelque chose. Mais je crois qu’à un moment donné, il faudra bien se jeter à l’eau. Il n’est pas possible qu’il y ait ce fossé énorme entre l’affirmation de qualité d’une expression identitaire, la volonté d’un développement économique hors de la logique continentale française, et l’absence totale de projet politique. Il y a là un talus. Je crois que la plupart des élus devraient avoir des ulcères d’estomac. Il y a des effets de réseau transcourants, mais il est difficile de les organiser. Il faut choisir le lieu, les hommes, et le moment historique pour prendre notre destin en mains. Les élections régionales pourraient être ce moment. En France, les régions ne sont pas gouvernées. Les majorités se font avec des " arrangements ", y compris des magouillages, avec des minorités. S’il y avait un scrutin régional, et des listes régionales, pas forcément avec des militants autonomistes, mais avec des gens qui mettent la vie régionale en priorité, cela ferait un tabac ! C’est pour cela qu’il n’y aura probablement jamais de scrutin régional. Mais la question est la suivante : même s’il n’y a pas de scrutin régional est-ce que dans les quatre départements de la " région " Bretagne, il ne devrait pas y avoir des listes qui placent le développement régional et l’identité bretonne en priorité ? Quel que soit le résultat, elles pourraient faire la décision. Je n’ai pas la réponse exacte, mais je sens, comme tout le monde qu’on n’est pas satisfait du renoncement de nos opinions régionales fortes, quand on rentre dans le système français. Il y a des gens à droite comme à gauche qui le pensent, mais ils ne se retrouvent pas. Il faudra alors trouver la circonstance historique qui favorise cette rencontre. Mais je crois qu’on y arrivera.


L’Avenir : Pensez-vous que le procès qui vous a été fait récemment par la justice française est un procès politique ? En d’autres termes, croyez-vous que l’État français utilise ce genre de moyen de pression pour vous intimider et pour que vous renonciez à plaider des dossiers jugés brûlants par le pouvoir central ?

J.-Y. Cozan : Je n’en sais rien. Cela ne m’empêche pas de dormir. J’ai envie de dire que ce n’est plus mon problème. Ce qui est sûr, c’est que, quoi qu’il arrive, je ferai encore davantage en faveur de l’identité bretonne. Et si jamais , d’une façon ou d’une autre, j’étais interpellé, ou agressé, j’en ferais encore plus !!!

Propos recueillis à Carhaix, le 17 avril 1996 par Thierry Gwigourel

pour le compte du mensuel " l’Avenir de la Bretagne "

Le dossier du mois du Mouvement pour la France 67

 

Octobre 1998 : La Charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires et le bilinguisme en Alsace



Ce dossier a été constitué par Jacques Kotoujansky, président de la fédération du Bas-Rhin, et a donné lieu à une lettre ouverte, signée par les présidents du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, adressée à un grand nombre de personnalités alsaciennes afin de les sensibiliser sur les risques encourus notamment en Alsace par la signature de cette Charte par la France. Vous trouverez ci-dessous le texte de la lettre ouverte, où ont été laissés à dessein les renvois au dossier, constitué des articles et des textes cités (envois de copies de tout ou partie du dossier sur simple demande, par courrier ou par mail, sur indication du format graphique souhaité, .gif par défaut). Une telle charte est en réalité l’expression de la volonté d’imposer une Europe des régions. Si les dialectes ou langues régionales doivent être préservés, parce qu’ils participent de l’expression culturelle et de l’enracinement des populations locales, il ne faudrait pas croire naïvement que ce projet de Charte serait sans risque pour la cohésion nationale. /JP

Madame, Monsieur,

La presse a rapporté récemment l’opposition à l’instauration d’une filière bilingue français-allemand de la majorité des parents d’élèves et des enseignants d’une école publique élémentaire de Strasbourg. Ce conflit, faisant suite à beaucoup d’autres et en annonçant de nouveaux, posait clairement la question du bilinguisme en Alsace. Par ailleurs nous savons que le président de la République et le Premier ministre, à la suite des rapports de Mme Nicole Pery, de M. Bernard Poignant et de M. Guy Carcassonne, étudient la possibilité pour la France de signer et ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe.

Le rapprochement de ces deux sujets conduit les fédérations du Haut-Rhin et du Bas-Rhin du Mouvement Pour la France à porter le débat devant les personnalités éminentes de la société alsacienne.

La langue, c’est la patrie de l’esprit ; la langue c’est aussi l’essence même du lien social ; enfin la langue est, en Alsace, plus que nulle part ailleurs, intimement liée à la construction européenne et à son pivot : l’amitié franco-allemande. On ne saurait donc décider sur ces questions sans un large débat.

Nous allons développer notre approche de ce problème, que l’on peut résumer par les trois propositions suivantes :

1° - La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ainsi que la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales relèvent d’une conception de la citoyenneté qui n’est pas celle de la République française.

2° - L’étroit bilinguisme français-allemand proposé en Alsace relève davantage d’un projet politique, celui dit de l’Europe des régions, que d’un projet pédagogique lui-même très controversé.

3° - La pratique du dialecte, que la collectivité a avantage à soutenir et à favoriser, est un choix individuel et familial, mais n’est en aucune manière superposable à celle de l’allemand, et a tout à redouter de la logique du bilinguisme paritaire et de la mise en oeuvre de la Charte européenne.

Première partie :

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ainsi que la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales relèvent d’une conception de la citoyenneté qui n’est pas celle de la République française.

Tout se dire entre amis

L’amitié franco-allemande est au coeur de la construction d’une Europe pacifique . Or, il est évident que le peuple allemand, ayant à assumer notamment l’immense effort de la réunification, se soucie fort peu de la Charte européenne ou du bilinguisme en Alsace, à l’exception de certains milieux souvent proches de l’extrême-droite et préoccupés des questions de " minorités allemandes à l’étranger ". Mais il est aussi avéré que la politique, et singulièrement la politique européenne, est souvent faite de l’engagement résolu d’un petit nombre. C’est pourquoi, sans soulever des passions excessives, il devrait être possible d’aborder les sujets dont il est ici question, en allant avec franchise au fond des choses. La franchise est aussi la condition de l’amitié.

La Charte : une boîte de Pandore

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires étudiée dans l’article de Mme Yvonne Bollmann et dont nous donnons les principaux articles (document 1, pages 1-15), a pour finalité de faire introduire les langues régionales dans la vie publique (administration, justice, éducation, information, culture). Ouverte à la signature des Etats membres du Conseil de l’Europe en 1992, elle a été à ce jour signée par dix-huit États, ratifiée par huit d’entre eux - sur quarante - et elle est entrée en vigueur le 1/3/98 (doc.2, pp.17-18). On retiendra notamment de ce texte l’accent mis sur la promotion des " échanges transnationaux " pour les langues qui sont pratiquées sous une forme " identique ou proche " dans d’autres Etats. Tel est sans doute le cas de l’Alsace aux yeux de certains, même s’il y a en Europe bien d’autres " minorités linguistiques ". Des indications sont données à cet égard par la liste des États ayant signé la Charte (Allemagne, Pays-Bas, Croatie, Slovénie, Hongrie, Roumanie, Macédoine ex-yougoslave,...) ou inversement ne l’ayant pas signée (Belgique, République tchèque, Pologne, Russie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Moldavie,...). Tous les irrédentismes qui ont ensanglanté l’Europe au vingtième siècle, et pourraient la déchirer à nouveau au siècle prochain, se lisent ici en filigrane.

La France, jusqu’à aujourd’hui, n’a pas signé la Charte puisque notre tradition politique ne reconnaît pas de " minorités nationales " ayant vocation à utiliser une langue spécifique. En 1991, le Conseil constitutionnel a censuré l’expression " peuple corse " introduite dans le statut particulier de l’île. Le Conseil d’Etat, consulté à la demande du président Chirac - qui, à la suite du président Mitterrand a envisagé la signature de la Charte -, a fait valoir que l’article 2 de la Constitution, qui fait du français la langue de la République, s’oppose à la ratification. Signer et faire ratifier par le Parlement la Charte suppose donc de modifier cet article 2.?L’Allemagne a signé dès 1992 la Charte et son Parlement vient de la ratifier. Pour s’en tenir à la métropole - mais le problème se pose aussi dans les DOM-TOM -, il existe une revendication militante active en Bretagne, au pays basque, en pays occitan et catalan, en Corse, et naturellement en Alsace, en faveur de cette signature par notre pays. Selon un sondage paru récemment dans les Dernières Nouvelles d’Alsace, les trois-quarts des Alsaciens y seraient favorables. Ceci est dû au fait que l’opinion publique ne mesure pas la portée exacte de ce texte qu’elle ne connaît pas et qu’on lui présente comme une promotion du dialecte.

Cette croyance ne résiste évidemment pas à l’analyse.

Une confusion volontairement entretenue

Le recul du dialecte est un légitime souci pour beaucoup de nos concitoyens et, dialectophones ou non, nous partageons ce souci . Notre opposition à la Charte n’est d’ailleurs en aucune façon dirigée contre le dialecte, bien au contraire, porteur, au sein des familles notamment, de la tradition vivante de l’Alsace. Ce recul a plusieurs causes et en particulier le déclin de la ruralité, la pénétration dans chaque foyer de l’omniprésente télévision et la tertiarisation croissante des emplois. On peut en partie pallier cette désaffection, et on le fait, en développant les études, les publications, les émissions dialectales, le théâtre, les options de langue régionale dans la scolarité et les études universitaires.

Mais il y a aussi à ce déclin une cause interne au dialecte, à savoir qu’il n’est ni lu ni écrit par la quasi-totalité des dialectophones. Sa transcription écrite, qui est phonétique, à la différence de ce qui a lieu pour le breton, le basque, l’occitan, le catalan ou le corse qui sont des langues plus ou moins fixées, reflète la variabilité du dialecte lui-même du sud au nord de l’Alsace, (cf par exemple R. Matzen, Anthologie des expressions d’Alsace, éditions Rivages). Ainsi le mot cigogne se prononce et se transcrit du sud au nord : Storich , Stork , Storik, Stoach (à Wissembourg), et Storch en allemand. C’est pourquoi, contrairement à ce que le titre de leur sympathique et réussi ouvrage annonce, Simone Morgenthaler et Raymond Matzen ne viennent pas de traduire Prévert ‘‘en alsacien’’ mais bien ‘‘en dialecte strasbourgeois’’- lequel est difficilement compris dans le Haut-Rhin -, comme il est du reste indiqué dans la préface de l’ouvrage.

Dans ces conditions, si la Charte était appliquée dans la vie publique, c’est évidemment la graphie allemande qui s’imposerait et, de la langue écrite à la langue parlée, le chemin ne serait pas long. Il est significatif que la demande, d’ailleurs spontanément très minoritaire, de classes bilingues français-allemand émane essentiellement de parents francophones, car les dialectophones perçoivent sans doute le piège tendu au dialecte par le bilinguisme. Sauf à faire disparaître le français - mais qui y songe ? - peut-on sérieusement imaginer une population réellement bilingue - ce qui serait déjà une situation sans exemple ni historique ni contemporain — et dialectophone de surcroît ? Ainsi, c’est l’allemand (Hochdeutsch) tout court et non uniquement comme forme " standard ", " écrite " ou " littéraire " du dialecte, qui départagerait les dialectes et s’imposerait en fait de " langue régionale ou minoritaire ". A qui fera-t-on croire le contraire ? S’ils avaient clairement conscience qu’introduire l’allemand à parité avec le français dans la vie publique, et plus généralement sociale, serait bien le résultat prévisible pour l’Alsace de l’application de la Charte, pense-t-on que les Alsaciens, dans leur majorité, considérant les réalités et non les illusions, applaudiraient cette perspective ? On ne peut oublier enfin que, si les autres langues régionales et leurs territoires ne suscitent pas d’intérêt particulier au Royaume-Uni, en Espagne ou en Italie, il n’en va pas de même en ce qui concerne l’Allemagne vis-à-vis du dialecte alsacien.

La Charte européenne n’est donc un bon texte ni pour l’alsacien, ni pour le français, ni pour la France, ni pour la paix et la stabilité en Europe et notre pays ne doit pas s’y associer.

" Minorité nationale " : un concept irrecevable en droit français

La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (doc. 3, pp. 19-21), complétant la Charte, pose un problème du même ordre. Son approbation ruinerait les bases du système républicain français. En effet le préambule de cette convention parle d’" identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse de toute personne appartenant à une minorité nationale". Or, en droit français, la définition de l’ethnie est proscrite et l’appartenance religieuse est sans influence puisque la citoyenneté est individuelle et l’Etat laïque.

La Convention-cadre, ouverte à la signature des États membres en 1995, est entrée en vigueur le 1er février 1998, avec trente-sept signatures et vingt-et-une ratifications à ce jour (doc. 4, pp. 23-24). Seules n’ont pas signé ce texte : Andorre, la Belgique, la France et la Turquie. Loin de nous conduire à la résignation, cet apparent isolement doit nous inciter à défendre fièrement notre exception républicaine et laïque dont nous touchons là le coeur même et la source de notre rayonnement dans le monde. La France, le plus ancien État-nation du monde, doit continuer à montrer la voie de la citoyenneté moderne aux nations plus jeunes.

 

2ème partie : L’étroit bilinguisme français-allemand proposé en Alsace relève davantage d’un projet politique, celui dit de l’Europe des régions, que d’un projet pédagogique lui-même très controversé.

Alsace, province de France

Le manifeste régionaliste Identité et Liberté (doc. 5, pp. 25-27), publié en 1996, a recueilli les signatures de quelques élus - dont les actuels président et premier vice-président du Conseil régional - et de diverses personnalités.

Ce texte est analysé en détail dans l’article de Mme Bollmann. Le manifeste, qui est une suite de variations sur le thème de l’identité " rhénane " de l’Alsace, plaide pour le bilinguisme, pour une " Europe des régions " et pour des régions " transfrontalières ", ainsi que pour promouvoir en France le " fédéralisme ", considère que " le modèle uniformisateur et assimilationiste qui caractérisait [sic] la France n’a pas de chance dans le contexte de la construction européenne et de la mondialisation " , cite en exemple la Catalogne - dont les manuels scolaires parlent du commerce avec le reste de l’Espagne comme d’échanges extérieurs -, et appelle de ses voeux une " société pluriculturelle ".

On trouve parmi les signataires le directeur du mensuel autonomiste Rot un wiss , ce qui n’étonne pas, mais aussi M. Pierre Pflimlin, ce qui laisse perplexe. On rappellera en effet respectueusement à l’ancien président du Conseil que la tradition française est celle de l’assimilation et non de la société pluriculturelle, et que d’ailleurs la guerre civile en Algérie, qui nécessita l’appel à son illustre successeur, témoignait précisément de l’impossibilité d’une société pluriculturelle. Parmi les signataires du manifeste, on remarque aussi le pasteur Marc Lienhard, qui préside aujourd’hui le directoire de l’Eglise de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine.

" Alsace, une zone de dangers "

L’article princeps de Mme Yvonne Bollmann, universitaire, germaniste, spécialiste de l’oeuvre du poète R.M. Rilke, et qui partage son temps entre l’Alsace d’où elle est originaire et Paris où elle enseigne, est paru en 1996 dans la revue de géopolitique LIMES (doc. 6, pp. 29-48). La thèse développée par Mme Bollmann est la suivante : l’Alsace se trouve être le terrain privilégié d’un questionnement sur l’identité (dont témoigne la quête quasi-obsessionnelle des " racines " de l’Alsace - germaniques ? françaises ? - dans certains milieux culturels et politiques) et ceci en raison de la mise en oeuvre d’une conception particulière de la construction européenne, dont l’inspiratrice est fondamentalement l’Allemagne, et dont il a été question plus haut. C’est à ce projet que participe la revendication bilinguiste qui, cherchant à modifier les équilibres culturels, cherche en réalité à atteindre à travers eux les équilibres géopolitiques.

Beaucoup d’élus alsaciens unissent leurs efforts dans ce sens à ceux par exemple de l’Association pour le Bilinguisme en Classe dès la Maternelle : ABCM-Zweisprachigkeit. Cette ABCM, qui est en première ligne de la croisade bilinguiste par la création de classes associatives abondamment subventionnées par la Région et les deux Départements, s’est ainsi récemment distinguée en organisant, en Allemagne, par voie de presse dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, une quête " pour que la culture et la langue allemandes ne se perdent pas en Alsace-Moselle " (doc. 7, p. 49). L’association allemande homologue de l’ABCM, destinataire des fonds recueillis, sise à Duisbourg, Förderverein fur die Zweisprachigkeit im Elsass und im Moseldepartement, a été soutenue à l’origine discrètement par le gouvernement fédéral lui-même, comme le relève Mme Bollmann. D’ailleurs, ainsi que l’écrivait le 12/7/96 le Frankfurter Allgemeine Zeitung : " Il faut aider les minorités allemandes dans d’autres pays "...

La Charte européenne des langues régionales est l’un des instruments de cette politique.

" Vers un nouvel ordre ‘ethnique’ ? "

L’article de M. Lionel Boissou, germaniste et historien haut-rhinois, est paru en mars 1997 dans la revue des francs-maçons du Grand Orient de France : Humanisme (dont le secrétaire général est M. Edouard Boeglin journaliste du quotidien L’Alsace) (doc. 8, pp. 51-62). Cette référence, venant du Mouvement Pour la France, et qui ne préjuge en rien des différences qui nous séparent sur d’autres sujets, ne doit pas surprendre car la laïcité, pourvu qu’elle soit tolérante, est l’une des valeurs de la République française. Le Grand Orient, première famille de pensée importante à prendre position sur ce sujet, vient d’ailleurs de se prononcer contre l’adoption par la France de la Charte européenne au nom de l’unité de la République et par refus des communautarismes (doc. 8, p. 62).

Dans son article, Monsieur Boissou établit la filiation directe qui existe entre la Charte et une association ayant le statut d’organisation non gouvernementale auprès du Conseil de l’Europe, la FUEV (Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen : Union fédéraliste des groupes ethniques européens), elle-même héritière spirituelle des " congrès des nationalités " d’avant-guerre, et dépositaire de la conception " ethnique " (" völkisch ") de la nation. Celle-ci est en contradiction avec la conception française, citoyenne. Cette idéologie ethniciste prouve que certains n’ont rien appris de l’Histoire. Par ailleurs Monsieur Boissou attire l’attention sur une émanation de la FUEV, à savoir l’EZM ( Europäisches Zentrum für Minderheitenfragen : Centre européen pour les questions de minorités, dont le sigle anglais est ECMI). La FUEV et l’EZM/ECMI ont tous deux leur siège à Flensbourg dans le nord de l’Allemagne. Tout récemment, l’ECMI a organisé un colloque en Finlande (doc. 9, p. 63), auquel participait l’ancien ministre de l’Intérieur Pierre Joxe, auteur de l’actuel statut de la Corse ; la finalité de ce colloque était de flatter les velleités autonomistes de certains élus insulaires (citoyenneté régionale, enseignement obligatoire de la langue corse, etc.). À ce sujet, on se doit de méditer l’évolution en trente ans de la Corse, passée de la promotion de la langue et de la culture régionales au statut institutionnel dérogatoire puis, pour les activistes, à la revendication ouvertement indépendantiste, sur fond de corruption généralisée et d’éclipse de l’Etat de droit.

Dans un second article (février 1998, inédit), " De la Corse à l’Alsace : la France menacée " (doc. 10, pp. 65-68), Mme Bollmann situe la revendication bilinguiste et régionaliste en Alsace dans le cadre plus vaste des différentes mouvances autonomistes et de leur idéologie ethniciste, fortes du soutien qu’elles rencontrent à la FUEV et, par le biais de publications, à la Deutsche Forschungsgemeinschaft, l’équivalent allemand du CNRS. Ainsi peu à peu se mettent en place les pièces d’un grand puzzle géopolitique dont l’unité nationale de la France, et c’est le but recherché, fera les frais.

De Gauche à Droite

Il est bien possible que les auteurs que nous venons de citer soient de gauche. Mais quant il s’agit de la Nation et de la République, ce partage n’est pas essentiel. Car, avec Philippe de Villiers lors de son intervention le 7 avril dernier à l’Assemblée nationale, l’on peut rappeler qu’ "André Malraux disait avoir compris dans la Résistance que la question du social était d’abord soumise à la question de la France ". Pour illustrer ce propos, nous donnons à lire un texte très critique, émanant des élus du Mouvement des Citoyens au conseil municipal de Mulhouse, à propos d’une Charte alsacienne pour la langue régionale (doc. 11, pp. 69-70).

" Contre l’Europe des féodalités "

L’article de Philippe Seguin, président du RPR mais aussi historien, est paru en 1996 également dans la revue LIMES (doc. 12, pp. 71-75) et dénonce avec vigueur la notion d’ " Europe des régions ". Nous en retenons les expressions de chimère dangereuse, d’imposture, d’Europe féodale et de tribalisme " chic " appliquées à cette conception soi-disant novatrice et qui n’est qu’un dangereux retour en arrière.

3ème partie : La pratique du dialecte, que la collectivité a avantage à soutenir et à favoriser, est un choix individuel et familial, mais n’est en aucune manière superposable à celle de l’allemand, et a tout à redouter de la logique du bilinguisme paritaire et de la mise en oeuvre de la Charte européenne.

Le bilinguisme ‘paritaire’ : pédagogie ou politique ?

On ne peut être que résolument favorable à un enseignement précoce des langues vivantes, et de l’allemand en particulier. Mais le bilinguisme scolaire, c’est autre chose : c’est enseigner à parité, avec deux maîtres différents, dans les deux langues, c’est-à-dire, à l’école primaire, treize heures en français et autant en allemand.

Certains ultra-bilinguistes comme Henri Goetschy ou l’association ABCM réclament d’ailleurs (doc. 7, p. 50) que l’allemand devienne la langue dominante dans les classes bilingues - déjà environ deux cents -, et l’ont obtenu dans quelques-unes, ce qui paraît difficilement croyable, mais la coalition militante des élus, du rectorat, des parents convaincus et des associations est puissante. Un bulletin du conseil local de la F.C.P.E. (doc. 13, pp. 77-80), explique l’opposition à la filière bilingue des enseignants et de la très grande majorité des parents d’élèves de l’école élémentaire Branly de Strasbourg, à l’exception de ceux, une trentaine, ayant réclamé et obtenu du Rectorat la création de cette filière. Des oppositions analogues sont aussi rapportées un peu partout dans les deux départements - tout récemment à Lupstein près de Saverne (doc. 14, p. 81) -, et de la part du conseil municipal de Phalsbourg en Moselle (doc. 14, p. 82). Les parents d’élèves craignent l’élitisme, le souci de la performance dès la maternelle, l’échec scolaire et la contradiction avec l’objectif d’égalité de l’école publique. De plus, tant qu’à devoir choisir, ils préféreraient souvent l’anglais à l’allemand. Quant aux enseignants, ils craignent la création de postes dits " à profil ", l’insuffisante maîtrise du français résultant des treize heures et les risques d’échec scolaire. Les premières évaluations des filières bilingues, notamment en orthographe (doc. 15, p. 83), ainsi que les nombreux abandons entre la maternelle et le collège (doc. 15, p. 84) confirment ces craintes.

Certes, la question du bilinguisme " paritaire " fait l’objet d’opinions diverses en Alsace. Les uns, minoritaires, y voient un atout éducatif, alors que les autres, majoritaires, y demeurent hostiles, à la fois au plan pédagogique et parce qu’ils y voient la tentative d’imposer l’allemand dans une visée régionaliste arbitraire. Au demeurant, la très grande majorité de ceux qui sont favorables à cette option s’accordent pour ne pas limiter le bilinguisme à la langue allemande, pour ne pas en étendre l’usage dans la vie publique et, bien entendu, pour ne pas en faire l’instrument d’une politique de détachement de l’Alsace vis-à-vis de la France.

Service public et égalité des chances...

La généralisation du bilinguisme ne peut que susciter de nombreuses réserves sur le plan pédagogique. Peut-on réellement imaginer une forte proportion des écoliers, des lycéens, lisant, écrivant et se cultivant à parité en français et en allemand, parlant encore éventuellement le dialecte et apprenant de surcroît l’anglais ? Oublie-t-on ce qu’est aujourd’hui en Alsace, comme ailleurs, le niveau en orthographe, en lecture, en expression orale, en culture générale, d’une proportion toujours croissante d’enfants ? La mission de l’école n’est pas d’offrir un enseignement élitiste mais de permettre à tous les enfants de maîtriser les savoirs indispensables à leur insertion culturelle et sociale.

Cette constatation s’applique évidemment aussi aux autres langues régionales. Gardons-nous donc d’expérimenter à grande échelle sur nos enfants des projets pédagogiques encore insuffisamment évalués.

" Apprendre la langue du voisin " : qu’en est-il outre-Rhin ?

On fera sans doute valoir que 50.000 Alsaciens vont chaque jour travailler en Allemagne et en Suisse alémanique. Certes, et c’est cela qui permet à l’Alsace de diviser son taux de chômage par 2, avec 50.000 travailleurs frontaliers et 50.000 chômeurs. Mais la vocation de l’Alsace est-elle de fournir indéfiniment des salariés outre-Rhin ? Ne peut-on imaginer que les échanges soient à double sens si notre pays renouait un jour, enfin, avec le plein-emploi ? Ne faut-il pas alors s’étonner, et surtout si le bilinguisme est un projet pédagogique aussi séduisant que l’affirment ses partisans, qu’il n’existe aucune classe bilingue en pays de Bade et que seulement 10 % des enfants y apprennent le français comme première langue vivante, deux ou trois heures par semaine ? En réalité nos voisins ne se soucient pas du tout du bilinguisme chez eux et la seule langue étrangère qui intéresse majoritairement les familles est l’anglais. On peut le regretter mais c’est ainsi. Le bilinguisme, tel qu’il est prôné de façon incantatoire par certains en Alsace, apparaît bien, par contraste, comme un projet de nature essentiellement politique.

L’Alsace est une terre d’immigration

Il convient aussi d’être conscient, compte tenu du grand nombre d’enfants issus de familles étrangères, en Alsace comme dans toute la France, et ayant vocation à devenir des citoyens français, qu’il pourrait être réclamé également par ces familles de pouvoir disposer d’un enseignement bilingue, au nom de la défense d’une " identité culturelle ". Tel est le piège tendu par la reconnaissance de " minorités " sur le sol national, piège dont il deviendrait impossible de sortir si la France ratifiait la Convention-cadre et la Charte. Il est vrai que des révisions constitutionnelles ad hoc, comme celle ayant concerné la Nouvelle-Calédonie et celle, éventuelle, concernant l’introduction de la " parité " entre hommes et femmes, commencent, hélas, à démembrer ce qui est l’un des " immortels principes de 1789 ".

 

Le bilinguisme officiel : une expérience d’apprenti sorcier

Les expériences de bilinguisme dans le monde ne sont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, concluantes. En introduisant le français et le néerlandais à parité dans sa vie publique, la Belgique, devenue un état fédéral, est plongée dans la confusion et les relations des administrations avec le public ou le fonctionnement de la justice sont, à Bruxelles, souvent inextricables. Le Canada est profondément divisé entre francophones québécois et anglophones. Du reste, ni le Canada ni la Belgique n’ont introduit le bilinguisme en classe, ni non plus la Suisse qui vit, pacifiquement, depuis sept cents ans en situation bilingue ou trilingue.

Une seule expérience de bilinguisme scolaire a été menée, pendant trente ans, en Californie, avec l’anglais et l’espagnol. Cette expérience, qui a été un échec, vient d’être arrêtée définitivement à la suite d’un référendum d’initiative populaire (doc. 16, p. 85). Pour être un citoyen américain de l’Etat de Californie, il est apparu souhaitable aux électeurs d’apprendre exclusivement en anglais, serait-on issu d’une famille hispanophone. Et ceci en dépit du fait que l’Amérique, conformément à sa tradition politique, a pris l’habitude de favoriser les aspirations des " minorités ".

 

La sagesse

Sachons donc avec lucidité tirer les leçons des expériences des autres et ne nous obstinons pas à essayer de créer, en Alsace, une sorte d’ " homme nouveau ". Le dessin humoristique de Tomi Ungerer pour l’ABCM, représentant un enfant biglosse (doc.7, p. 49) illustre involontairement l’idée que le bilinguisme " paritaire " pourrait bien être ce que la biologie appelle une chimère . Le vingtième siècle a vu beaucoup de tentatives chimériques de créer des " hommes nouveaux " avec les résultats que l’on sait. Nous croyons que la langue n’a pas qu’une fonction utilitaire. Elle est ce qui donne forme à nos joies, à nos peines, à nos amours, à nos prières, à nos rêves. Elle est un lien fort qui nous unit à la nation dont nous partageons le destin, et, pour nous, le destin de l’Alsace ne se conçoit qu’avec la France . Du reste, l’Histoire contemporaine nous incline à croire que le meilleur rempart contre les folies des hommes reste le modèle national français qui ne considère, dans l’espace public, ni origines, ni ethnies, ni croyances, qui ne connaît en un mot que des citoyens égaux en droits et en devoirs.

Les Alsaciens choisiront leur destin après y avoir mûrement réfléchi et en considérant toutes les possibilités qui s’offrent à eux, y compris la plus simple : rester une province de France, francophone quoique plurilingue et européenne. Nous espérons, grâce notamment aux auteurs que nous avons cités, avoir apporté une contribution utile à ce grand débat.

 

Destinataires de ce courrier : Madame le ministre de la Culture et de la communication, MM. les députés et sénateurs du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, MM. les maires de Mulhouse, Colmar et Strasbourg, MM. les présidents des Conseils généraux, M. le président du Conseil régional, Mmes et MM. Les conseillers généraux et conseillers régionaux, M. le président du conseil économique et social d’Alsace, M. le recteur de l’Académie de Strasbourg, M. le préfet du Bas-Rhin, préfet de la Région Alsace, M. le préfet du Haut-Rhin, Mgr Joseph Doré, archevêque de Strasbourg, M. le pasteur Marc Lienhard, président du directoire de l’ECAAL, M. le pasteur Antoine Pfeiffer, président du conseil synodal de l’ERAL, M. le Grand Rabbin du Bas-Rhin René Gutman, M. le Grand Rabbin du Haut-Rhin Jacky Dreyfus, M. Abdallah Boussouf, recteur de la mosquée de Strasbourg, M. A. Bouamama, président de l’Institut musulman d’Europe, MM. les présidents d’université de Strasbourg et de Haute-Alsace, M. le directeur de l’E.N.A., M. le directeur de l’I.E.P., M. le directeur régional des affaires culturelles, M. le directeur de l’ACA, MM. les inspecteurs d’académie, Mmes et MM. Les proviseurs, principaux et directeurs de divers établissements d’enseignement, Mmes et MM. les responsables départementaux de la PEEP et de la FCPE, de la Ligue de l’enseignement, de la F.O.L., Mmes et MM. Les responsables régionaux et départementaux des syndicats d’enseignants CFDT, CFTC, CGC, USLC-CNGA/CGC, CSEN, FO, FEN, FAEN, FSU, SNPCT, SPELC, SNCEEL, UNETP, MM. les directeurs des théâtres La Filature, l’Atelier du Rhin, le TNS, Le Maillon, le TJP et des théâtres municipaux, M. le président des écrivains d’Alsace et Lorraine, Mmes et MM. les responsables des associations ABCM et ADPEEF, Mmes et MM. les responsables départementaux des Verts, Parti communiste, Mouvement des Citoyens, Parti socialiste, Mouvement Écologiste Indépendant, Force Démocrate, Démocratie Libérale, Rassemblement Pour la République, Mouvement régionaliste d’Alsace, Front National, Mmes & MM. les directeurs et rédacteurs en chef des DNA, L’Alsace, RF Alsace, F3 Alsace, M. le secrétaire général du Conseil de l’Europe, M. le président du Parlement européen, et al , ... ... ainsi que Mmes et MM. P. Pflimlin, J. Klifa, Y. Bollmann, V. Beyer, C. Vigée, T. Ungerer, D. Faust, R. Sieffer, P. Sonnendrucker, C. Winter, B. Reumaux, M. Graaf, J.-P Sorg, R. Walter, J.-M. Woehrling, R. Matzen, F. Raphaël, G. Bischoff, G. Livet, G. Trendel, A. Klein, J. Weber, Cl. Keiflin, A. Wicker, W. Bodenmuller, E. Sledziewski, M. Hoeffel, Ph. Morinière, L. Gwiazdzinski, R. Kleinschmager, Ph. Breton, R. Uhrich, N. Engel, N. Dreyer, Cl. Lienhardt, P. Deyon, R. Locatelli, F. Urban, F. Schaffner, J.-P. Wacker, A. Waechter, R. Winterhalter, Ch. Roederer, A. Strickler, P. Kretz, A. Bloch, N. Stoskopf, G. Braeuner, J.-M. Schmitt, J. Fritsch, Ch. Muller, L. Strauss, E. Boeglin, L. Boissou, B. Vogler, J.-Cl. Richez, H. Goetschy, J.-F. Lanneluc, J. Granier, M.-C. Perillon, F. Perino, C. Pla, et al.

 

 

Collectif pour l’Avenir des Langues de France (CALF)

Contre la récupération des revendications des cultures minorées par le F.N.

 

Déclaration

 

En tant que membre d’une des minorités linguistiques de la République française (*), ou même en tant que français ou étranger attaché au pluralisme, et au nom des principes d’égalité, de liberté et de fraternité dont se réclame la France, nous protestons à l’occasion de l’affaire du nom de la ville de Vitrolles/Vitròla contre la récupération par le Front National de nos revendications culturelles, décentralisatrices et identitaires.

Nous enjoignons les partis politiques républicains de France à engager un travail approfondi d’étude et de proposition sur les questions des cultures minoritaires de France, qu’ils ont trop longtemps négligées, et ce faisant laissées libres d’utilisation à l’extrême droite. Nous considérons que ces cultures ont au moins les intérêts suivants :
* La disparition de ces cultures dans un mouvement d’abandon des langues " inutiles " serait le prélude à la disparition du français lui-même. En effet, si certaines langues peuvent être considérées comme inutiles, le français finira par les suivre face à la concurrence de langues plus répandues dans le monde. La sauvegarde du français ne peut faire l’économie de la réhabilitation des cultures minorisées de France afin de sortir de cette logique de l’inutilité.
* Ce sont des éléments importants du patrimoine culturel de la France, sources d’inspiration séculaires de la culture française. Leur disparition mettrait en danger la culture française elle-même.
* Ce sont depuis longtemps des éléments importants pour l’intégration sociale et civique, notament des populations immigrées. Elles créent un lien important de plus dans le tissus social.

Nous avons de plus entièrement conscience que l’extrême droite n’a aucun projet d’avenir pour nos cultures, voulant simplement les utiliser à des fins électoralistes pour ensuite les enfermer dans un passéisme qui leur serait fatal. Mais nous savons également que la légitimité de nos revendications peut - et c’est bien là le but du FN - pousser nombre d’électeurs à se détourner des partis traditionnels qui ont fait l’impasse sur ces revendications et les pousser dans les bras du FN. Toutefois, c’est aux partis traditionnels de sortir de leur léthargie et de trouver une solution politique à la disparition des langues de France. En outre, cela permettrait de restreindre l’espace de manoeuvre de l’extrême-droite, surtout en Alsace et en Provence, régions où l’aliénation linguistique est le plus dramatique. Nous accuser de faire le jeu du FN, c’est inverser les effets et les causes.

Il y a donc urgence.

Collectif pour l’Avenir des Langues de France (CALF)

(*) alsacienne, basque, bretonne, catalane, corse, flamande et occitane, reconnues de fait par la loi no 51-46 du 11 janvier 1951, dite loi Deixonne, relative à l’enseignement des langues de ces minorités par l’Éducation Nationale (J.O. du 13 janvier 1951) étendue par la circulaire Savary de 1982. N’oublions pas non plus le francique et toutes les langues des DOM-TOM.

 

 

Ministère de la Culture :

La valorisation des langues régionales

En savoir plus sur les textes relatifs aux langues régionales

 

Le français fonde depuis des siècles l’unité nationale et l’égalité des citoyens devant la loi. Cette position de langue officielle a été renforcée en 1992 par l’affirmation, dans l’article 2 de la Constitution, que la langue de la République est le français.

Pour leur part, les langues régionales font partie de notre patrimoine commun. Le droit français en garantit l’usage dans la vie privée et leur accorde une place dans la sphère publique. Des mesures les concernant figurent dans plusieurs textes législatifs ou réglementaires relatifs à l’enseignement (loi Deixonne du 11 janvier 1951, etc.), aux activités culturelles et aux médias (aide au cinéma ; télévisions et radios publiques, etc.), ainsi que dans la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française (articles 11 et 21)...

À Strasbourg, lors du sommet du Conseil de l’Europe d’octobre 1997, le Premier Ministre a rappelé que l’identité de l’Europe était fondée notamment sur son patrimoine linguistique, et qu’à ce titre une attention toute particulière devait être portée aux langues et cultures régionales. Il a chargé Madame Nicole Péry, puis, à la nomination de celle-ci comme secrétaire d’Etat à la formation professionnelle, M. Bernard Poignant, maire de Quimper, d’une mission consistant à faire le point sur la politique menée en faveur des langues régionales, et d’émettre des propositions.

Ce rapport, qui a été remis au Premier Ministre le 1er juillet 1998, préconise une série de mesures pour mieux prendre en compte la dimension culturelle des langues régionales. Il propose également la signature par la France de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe après une expertise juridique destinée à préciser les engagements susceptibles d’être retenus par la France au regard des règles et principes constitutionnels. Il conclut, enfin, que la place faite aux langues régionales doit illustrer, accompagner et soutenir les grands choix de notre pays : l’Europe, la décentralisation, la francophonie.

Le Premier Ministre a affirmé à plusieurs reprises la volonté du gouvernement de mettre en oeuvre progressivement des mesures allant dans le sens des préconisations du rapport Poignant et de faire en sorte que la charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires puisse être signée et ratifiée par la France. Il a confié une expertise juridique complémentaire à M. Guy Carcassonne, professeur de droit public à l’université de Paris X. Le rapport du professeur Carcassonne, remis le 2 octobre 1998, conclut à la possibilité pour la France de signer la charte sans qu’il soit nécessaire de modifier la Constitution et propose une liste des engagements possibles pour la France sur les 98 présentés par la Charte.

En outre Mme Catherine Trautmann et M. Claude Allègre ont chargé M. Bernard Cerquiglini, directeur de l’INALF (institut national de la langue française) de faire un rapport destiné à éclairer la décision du Gouvernement sur l’établissement de la liste des langues de France.

La volonté du gouvernement de signer la charte européenne pour les langues régionales ou minoritaires, revêt une dimension symbolique forte et marque que le temps où l’unité nationale et la pluralité des cultures régionales paraissaient antagonistes est révolu. La signature de la charte sera symbolique de la reconnaissance des différentes langues de France métropolitaine et d’outre-mer comme partie intégrante du patrimoine culturel de la nation. Le gouvernement entend œuvrer dans le sens du soutien et de la promotion de ces langues, dans un esprit d’ouverture et de pluralisme. Les mesures qui seront adoptées, notamment dans le domaine de la culture, et les moyens nécessaires sont actuellement en cours de définition, leur choix définitif sera effectué en tenant compte des conditions pratiques de leur mise en œuvre et des coûts correspondants.

 

 

Mouvement " Europe & Laïcité "

 

Etudes et points de vue : La Charte des Langues Régionales



Mise à jour: 25 juin 1999

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires: un réel danger.

 


Le texte ci-dessous est une étude critique par René Andrau, Professeur agrégé de lettres, du projet européen de revitalisation des langues locales. Cette question essentielle pour l’avenir de notre cohésion républicaine, mérite d’être abordée dans la clarté et ses aspects trop méconnus doivent être livrés à l’appréciation des Français tenus à l’écart de ce projet contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution française. Ce texte a été publié dans la revue Humanisme du Grand-Orient de France que nous remercions de nous avoir autorisés à le reproduire dans le bulletin Europe et Laïcité no. 156.

Les lecteurs trouveront le texte intégral de la Charte sur le site Internet du Conseil de l’Europe. La Libre-Pensée a organisé une convention nationale contre la ratification de cette charte le 30 janvier 1999. Lire le compte-rendu dans La Raison no 439 de mars 1999. Cette charte est également combattue par le Comité Laïcité République, Initiative Républicaine et le Grand Orient de France, le Mouvement des Citoyens, le Parti Communiste. Le Parti Socialiste et les Verts la soutiennent.

Analyse critique par R. Andrau

 

Depuis 1992, année de son élaboration par le Conseil de l’Europe, la France refusait de signer cette charte comme contraire à la philosophie républicaine et aux institutions qui lui sont liées. Or aujourd’hui le vent semble tourner: le Président de la République a promis de signer la charte; le Premier ministre a nommé un rapporteur: M. Poignant, qui a rendu ses conclusions fin juin: il est favorable à la signature de la charte par la France. Qu’est-ce-qui peut justifier ce changement ?

I) Des motivations discutables.

 


La charte est souvent ressentie et présentée, surtout par ceux qui l’ont lue un peu vite ou pas du tout, comme ayant une visée purement culturelle: il s’agirait simplement de redonner vigueur à des langues régionales (" minoritaires " est escamoté dans le débat) malmenées et maltraitées par la IIIème République, et d’en faciliter l’étude. C’est l’impression qui se dégage de la page que Le Monde a consacrée au problème dans son numéro du 3 juillet 1998; on peut y lire également que la signature de la charte serait une avancée de la modernité face à on ne sait trop quel archaïsme républicain. On verra que ce type d’analyse ne tient pas si l’on se donne la peine d’examiner la charte.

Le rapport Poignant appuie sa recommandation de signer la charte sur un argument politique: il souhaite que les Républicains prennent en charge la revendication identitaire, qu’il considère comme le grand défi du XXIème siècle, afin de couper l’herbe sous les pieds de l’extrême-droite. Certes, la volonté de réduire l’influence de l’extrême-droite est fort louable ; la question est de savoir si le remède est approprié au mal qu’il entend traiter. L’expérience nous a déjà montré que la prise en compte de la thématique de l’extrême-droite pour la déstabiliser est un travail d’apprenti sorcier qui risque de la renforcer. Mais le plus grave, c’est que la charte, telle qu’elle est rédigée, est un danger pour la République, ses institutions et ses valeurs.


II) Du culturel au politique

 


En effet, la charte n’envisage pas les langues régionales ou minoritaires comme une réalité culturelle: elle les impose comme un fait politique. Le préambule de la charte est très clair en " considérant que le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée ou publique constitue un droit imprescriptible... "

Le texte de la charte tire la conséquence logique de ce postulat: les états signataires se voient tenus d’organiser en leur sein de véritables communautés linguistiques. Car même si tous les articles de la charte ne sont pas obligatoirement applicables, ceux qui constituent la partie II, qui fait l’objet de l’article 7, le sont intégralement (art. 2, § 1). Or, la partie II prévoit " la facilitation et/ou l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et la vie privée " (art. 7, §1d). Il en résulte pour les états l’obligation de mettre en place les structures éducatives adéquates à tous les niveaux de l’enseignement (art. 7, § 1f).

La charte pousse plus loin le caractère politique de la langue régionale. Elle oblige à organiser les " échanges transnationaux pour les langues régionales ou minoritaires pratiquées sous une forme identique ou proche dans deux ou plusieurs états " (art. 7, § 1l). Ensuite et surtout, les états signataires " s’engagent à prendre en considération les besoins et les voeux exprimés par les groupes pratiquant ces langues " (art. 7, § 3). Ainsi se trouvent mis en place, sur une base communautaire, des appareils subventionnés par les états signataires. La République reconnaîtrait ainsi des communautés.


III) Plusieurs niveaux d’application: un leurre.

 


Dans un langage technique et d’apparence neutre, la charte, lorsqu’elle passe dans la partie III aux applications pratiques des principes affirmés dans la partie II, offre à chaque fois plusieurs niveaux d’application. Le niveau maximal est le bilinguisme institutionnalisé, aussi absurde que destructeur de l’unité nationale et de l’égalité républicaine; mais même le niveau minimal tire un trait sur deux siècles d’histoire républicaine car il enclenche une dynamique dont les effets sont ravageurs.

Dans les domaines de l’enseignement (art. 8), de la justice (art. 9), de l’administration et des services publics (art. 10), des médias (art. 11), de la culture (art. 12), de la vie économique et sociale (art. 13), le niveau minimal d’application consiste à permettre à tous ceux qui le souhaitent d’utiliser la langue régionale ou minoritaire. C’est donc dans ces langues que les études pourront se faire, que l’on pourra s’exprimer devant les tribunaux, que les contrats de travail pourront être rédigés, que les films devront être doublés; les frais énormes que cela implique seront obligatoirement pris en charge par l’Etat.

Curieux paradoxe: alors que le dogme européen en vigueur est le désengagement financier des états au nom de la loi du marché, les services publics dussent-ils en souffrir, les états se voient, dans ce domaine, obligés de dépenser sans compter. Quel enjeu paraît justifier pareille incohérence ?

 

 


IV) Une philosophie anti-républicaine.

 


Les arrière-pensées politiques sont visibles. Lorsque la charte prévoit que les assemblées régionales puissent délibérer dans la langue régionale et que des liens privilégiés soient établis entre des régions d’états différents qui pratiquent la même langue, il est bien évident qu’elle met en place les structures de l’Europe des Régions. La conséquence immédiate de ce choix pour la France, ce serait un affaiblissement de l’État-Nation républicain et des valeurs qu’il véhicule. Si les assemblées régionales délibèrent dans la langue régionale, l’accès en sera interdit aux citoyens qui ne sont pas membres de la communauté linguistique : les débats et pratiques régionales gagneront en opacité ; l’état de droit n’y trouvera pas son compte et la République aura recréé les féodalités. Si les contrats de travail se rédigent en langue régionale, le droit du travail deviendra virtuel et le paravent linguistique aura créé la plus redoutable des flexibilités. Dans le texte de la charte, l’égalité républicaine se trouve supplantée, dans l’affectation aux emplois publics, par une préférence linguistique régionale aussi peu sympathique et aussi peu républicaine que la préférence nationale qui trouverait ainsi sa justification. La seule égalité que mentionne la charte, c’est l’égalité entre les locuteurs de la langue nationale et les locuteurs de la langue régionale.

C’est bien l’Etat-Nation républicain qui est visé, ainsi que ses valeurs. Car si l’application de la charte compromet la laïcité des institutions régionales, on imagine mal comment pourrait survivre la laïcité de l’école.


V) Une catastrophe politique.

 


Le caractère éminemment politique de cette charte est évident. Ce qu’elle remet en cause, c’est la conception républicaine française de la Nation conçue comme une volonté partagée d’édifier un avenir commun de progrès. C’est cette conception qui fonde l’identité politique du citoyen par opposition aux conceptions ethniques, religieuses ou linguistiques dont Renan, au siècle dernier, avait bien montré les dangers. La conception républicaine de la Nation transcende les particularismes, dont le lieu d’expression est la sphère privée: c’est précisément cela que la charte remet en question.

Il n’est pas besoin d’être un grand politologue pour imaginer que les groupes prévus à la partie II de la Charte, que l’Etat devra reconnaître en tant que tels et dont il devra financer les besoins, tendront, une fois institutionnalisés et subventionnés, à persévérer dans leur être, c’est-à-dire à s’accroître. Ils joueront, dans la vie politique française, le rôle de forces d’appoint monnayant leur soutien. Quand on voit l’utilisation que fait l’extrême-droite des cultures régionales dans les villes et régions qu’elles gère directement ou indirectement, il serait bien naïf d’imaginer que les " groupes " en question soient républicains par

nature. On a vu, il n’y a pas si longtemps, des " groupes " se disant régionalistes collaborer avec les nazis; on en voit aujourd’hui qui s’accommodent fort bien des thèmes de l’extrême droite. Il serait absurde et injuste de généraliser: simplement, l’angélisme dans ce domaine n’est pas de mise.


Conclusion: le rejet.

 

Il vaut certainement la peine de mener une réflexion sur l’identité républicaine en cette fin de siècle; il est par contre certain que la signature de la charte par la France rendrait cette réflexion inutile, puisque la République serait " normalisée " par la coalition d’un nouveau genre qui a conçu et rédigé la charte. Les laïques ont su réagir lorsque la laïcité était menacée; ils ne peuvent pas, sans se renier, ne pas réagir devant la menace que fait peser sur la République la " Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ".

René Andrau.

Remarques supplémentaires, par B. Courcelle.

Note de lecture : Vers un nouvel ordre " ethnique " ?

 

Article de L. Boissou, " Humanisme ", no 232-233, mars 1997, dossier: Europe, l’espoir et le réel.



Cet article montre comment l’idéologie volkisch, c’est à dire de la recherche des racines que le IIIième Reich a mise en pratique de la manière que l’on sait, est promue par des lobbies très actifs, avec le soutien constant et discret de l’Allemagne. Il décrit le fonctionnement de la FUEV (Union fédérale des minorités européennes), de l’INTEREG (Institut international de droit ethnique et de régionalisme) dont la revue commune s’intitule Europa Ethnica, et du Centre Européen pour les questions de minorités. Ces organismes, accrédités comme ONG et financés principalement par l’Allemagne, sont animés par des personnalités de droite et d’extrême-droite. Ils n’hésitent pas à considérer les bretons, les corses, les alsaciens, etc... comme des minorités opprimées par l’Etat Français, et visent explicitement la destruction de l’unité de la République Française, au profit d’une Europe des peuples et des régions. La FUEV " a été le maïtre d’oeuvre de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qu’elle a réussi à propulser sur le devant de la scène médiatique en Europe ".

Autres observations.

 

L’article 1 de la Charte stipule :

" Au sens de la présente charte, par l’expression " langues régionales ou minoritaires ", on entend les langues pratiquées traditionnellement sur un territoire d’un Etat [...] et différentes de la ou des langues officielles de cet Etat; elle n’inclut ni les dialectes de la ou des langues officielles ni les langues des migrants [...] "

La fin de l’article 1 contient une autre référence à la tradition.



Je ne vois pas pourquoi les lois devraient aider les traditions à se maintenir. La pratique des langues régionales est de toutes manières possible, et pas seulement en famille; l’organisation de spectacles en ces langues est autorisée, éventuellement même subventionnée. Je ne vois pas qu’il soit besoin d’en faire plus. C’est plutôt l’apprentissage des " grandes " langues autres que l’anglais qu’il faudrait promouvoir, et il faut éviter de constituer des ghettos linguistiques. D’autre part, ce sont les migrants et non les bretons, corses etc... qui ont besoin d’aide linguistique. Ces deux points montrent bien l’inspiration réactionnaire de ce texte.

Le breton est en fait un ensemble de dialectes et les locuteurs de divers coins de Bretagne ne se comprennent pas. C’est donc une langue artificielle que l’on veut enseigner. Mêmes remarques pour le basque. Plutôt que d’enseigner l’alsacien, c’est le Hochdeutsch qu’il faudrait enseigner en Alsace. Les lycées bilingues français-allemand sont certainement très utiles.

L’actualité nous donne raison.

 

Avant même que la Charte soit ratifiée, elle est utilisée comme prétexte pour financer illégalement un lycée privé. Il s’agit d’offrir de nouveaux locaux au lycée privé Diwan, où l’enseignement se fait en breton. Le financement local prévu dépassant les 10% autorisés par le dernier article de la loi Falloux, le préfet s’y est opposé par un recours au tribunal administratif. Le président de la région réplique: " Quelle que soit l’issue [du recours] le Conseil Régional continuera à soutenir [...] les actions menées par Diwan pour le développement de la langue et de la culture bretonnes. " En seigneur local, il ne tiendra donc pas compte de la légalité républicaine! Il est soutenu par les élus socialistes au nom de la Charte des Langues régionales, non encore ratifiée. Le projet en question couterait 15 MF pour 90 élèves! (Le Monde, 17.4.1999, Charlie-Hebdo, 14.4.1999)

Régionalisme et idéologie :

 

Un collège " Diwan " (à Relecq-Kerhuon) a été baptisé du nom de Roparz Hémon, collaborateur condamné à 10 ans d’indignité nationale (il animait une radio dirigée par les allemands et tenait des propos antirépublicains et antisémites) mais considéré comme promoteur du breton. Ça sauve tout! (Charlie-Hebdo 19.5.1999). Libération du 13.5.1999 mentionne que dans ces établissements, des surveillants veillent " au strict usage du breton dans la cour de récréation ". Ainsi ces écoles privées mais subventionnées sur fonds publics développent une approche communautariste que nous refusons catégoriquement.

La Bretagne pratique la préférence régionale : Pour bénéficier de certaines aides de la Région de Bretagne en matière de formation professionnelle, il faut être né en Bretagne ou y résider depuis au moins deux ans. Des primes spécifiques sont attribuées à des personnels parlant breton. (Charlie-Hebdo 19.5.1999).

La Corse fait école : Un attentat à l’explosif a fait sauter le perception de Cintegabelle (ville de L. Jospin) deux jours après la décision du Conseil Constitutionnel de rejeter la Charte. Il a été revendiqué par l’ARB (Armée Révolutionnaire Bretonne). Il est bon d’avoir présent à l’esprit que ces régionalistes n’ont eu que 3,2% des voix aux élections régionales de 1998, et que moins de 10% des gens parlent " breton ". Et d’ailleurs, le " breton " n’existe pas. Il existe une multitude de dialectes et une langue " unifiée et purifiée " dans les années 40 par le mouvement Kuzul Ar Brezhoneg soutenu par les nazis. (Charlie-Hebdo 23.6.1999; voir dans ce numéro l’exposé d’autres collusions entre régionalistes bretons et extrême-droite.)

 

Sur l’abandon (définitif ?) de la Charte suite à la décision du Conseil Constitutionnel.

Mouvement " Europe & Laïcité " : Etudes et points de vue:

3. La Charte des Langues Régionales : Ce que la France accepte et nos critiques (seconde partie)

 


Mise à jour: 20 juin 1999

Pour la première partie (ce que la France a signé et présentation du Conseil de l’Europe).


Du nouveau: Le Conseil Constitutionnel rejette la Charte des Langues régionales (le 15.6.1999). La Charte ne sera pas ratifiée. Extraits de son communiqué de presse :

En revanche, sont contraires à ces normes tant le préambule de la Charte, qui proclame un " droit imprescriptible " à pratiquer une langue régionale ou minoritaire non seulement dans la " vie privée " mais également dans la " vie publique ", que certaines dispositions de la partie II, notamment les dispositions de l’article 7 selon lesquelles :

" En matière de langues régionales ou minoritaires, dans les territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées et selon la situation de chaque langue, les Parties fondent leur politique, leur législation et leur pratique sur les objectifs et principes suivants : ...b le respect de l’aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un obstacle à la promotion de cette langue régionale ou minoritaire ; ...d la facilitation et/ou l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée...

En définissant leur politique à l’égard des langues régionales ou minoritaires, les Parties s?engagent à prendre en considération les besoins et les voeux exprimés par les groupes pratiquant ces langues. Elles sont encouragées à créer, si nécessaire, des organes chargés de conseiller les autorités sur toutes les questions ayant trait aux langues régionales ou minoritaires ".

Ces clauses sont en effet contraires aux principes d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français dans la mesure où elles tendent à conférer des droits spécifiques à des " groupes " linguistiques à l’intérieur des " territoires " dans lesquels ces langues sont pratiquées.

Elles sont également contraires à l’article 2 de la Constitution dans la mesure où elles tendent à conférer le droit d’employer une langue autre que le français dans la " vie publique ", notion dans laquelle la Charte inclut la justice et les " autorités administratives et services publics ".

D’autre part, il observe dans les attendus de la décision:

Considérant qu’en vertu de l’article 2 (§ 1) de la Charte, " chaque Partie s’engage à appliquer les dispositions de la partie II ", comportant le seul article 7, " à l’ensemble des langues régionales ou minoritaires pratiquées sur son territoire, qui répondent aux définitions de l’article 1 " ; qu’il résulte de ces termes mêmes que la partie II a une portée normative propre et qu’elle s’applique non seulement aux langues qui seront indiquées par la France au titre des engagements de la partie III, mais à toutes les langues régionales ou minoritaires pratiquées en France au sens de la Charte.

Autrement dit, cet article 7 devrait être appliqué aux 75 langues parlées sur le territoire français et non seulement aux 6 ou 7 langues évoquées lors de la signature.

 

Nos commentaires (sur les articles signés).

(Ces notes ont été rédigées avant que soit publiée la décision du Conseil Constitutionnel)

Les engagements du gouvernement sont présentés comme la reconnaissance d’un pluri-culturalisme français qui a été pendant longtemps ignoré par la République. Il s’agirait de redonner la vie aux langues et cultures régionales. Malgré leur apparente innocence ces engagements risquent d’ébranler encore un peu plus l’unité de la République.

De ce point de vue l’article 14 est le plus dangereux: il offre une voie royale à des revendications autonomistes, comme par exemple au Pays Basque, région linguistique transfrontalière.

Quelle mise en pratique en sera faite?

 

Un rapport officiel a identifié 75 langues parlées sur le territoire français (en tenant compte des DOM-TOM). D’autre part les langues régionales en France métropolitaine ne sont pas parlées par plus de 5% des personnes des régions concernées (Le Monde, 7.7.1998). A partir de quel pourcentage de pratique et pour quelles langues sera-t-il justifié de réaliser les dépenses (sur fonds publics) prévues par les alinéas signés de la Charte?

Personne semble-t-il ne remet en cause l’article 2 de la Constitution selon lequel le Français est la seule langue officielle. Cela implique que le Français est supposé connu des citoyens et que c’est la seule langue administrative et légale. Il n’y a donc pas lieu de traduire les lois et décrets, contrairement à l’article 9. Ces traductions pourraient donner lieu à interprétations divergentes et donc contestations et alourdissement du travail des tribunaux.

L’enseignement

 

Les langues régionales sont déja enseignées dans les lycées. D’autre part, les rapports sur l’enseignement notent que 20% au sortir de l’enseignement primaire ont des difficultés de lecture et encore plus, d’écriture.

Les signataires s’en prennent aussi à l’enseignement de l’Histoire, qui devrait laisser de la place à l’histoire et à la culture locales (art. 8 al. 1 g). Veut-on créer un " nationalisme régional " à l’heure de l’Europe Unie et de la mondialisation? Il est plus urgent de présenter les diverses cultures européennes, arabes, orientales. Les gens intéressés pourront utiliser leurs loisirs pour étudier l’histoire de leurs villages.

Tandis que les valeurs laïques occupent bien peu de place dans la formation initiale et permanente des enseignants (dans les IUFM), une formation serait aménagée afin de préparer les enseignants à l’utilisation des langues régionales à l’école!

A l’heure de la mondialisation, il faut promouvoir un enseignement efficace des langues étrangères utiles, l’anglais bien sûr, mais aussi les autres. N’est-il pas plus important pour un élève d’apprendre, le plus tôt possible, l’anglais que le breton, l’espagnol que l’occitan ou le basque, l’allemand que l’alsacien? Sauf à accepter la mystique en vogue des " racines ", la réponse va de soi.

Médias et culture

 

L’encouragement à l’utilisation des langues régionales dans les médias et les oeuvres culturelles risque de pénaliser l’expression en Français pour des raisons budgétaires et risque de mettre à l’écart des personnels ne connaissant que le Français. Ces décisions ne vont pas faciliter la diffusion d’émissions scientifiques, techniques et philosophiques à une époque où le progrès scientifique est omniprésent. Et, donc à un moment où les citoyens ont besoin de vulgarisation scientifique pour se positionner sur des problèmes éthiques posés par les technologies nouvelles, et réfuter les pseudo-sciences et autres discours mystificateurs.

L’interdiction d’interdire

 

Il devient interdit de " décourager l’usage des langues régionales ou minoritaires dans le cadre des activités économiques ou sociales " (Art. 13 al. 1 d).

Sous couvert de tolérance, c’est ouvrir la porte à la propagande régionaliste, à la constitution de clans à base linguistique. En particulier, dans les services publics, l’emploi des langues régionales sera encouragé.

Une intention politique

 

Que les langues régionales soient pratiquées ne constitue pas en soit une atteinte à l’unité de la République mais que les institutions républicaines reconnaissent et facilitent l’utilisation de ces langues est d’une toute autre portée. Il s’agit en fait d’attribuer des moyens et des privilèges à des " comunautés " à base linguistique. C’est totalement contraire à l’esprit de la Constitution.

De même que l’Etat doit être neutre vis à vis des religions, il n’a pas lieu de reconnaître de façon particulière, des bretons, des basques, des corses, des occitans, etc... sinon cela en serait terminé de l’unité de la République. La République laisserait la place à une mosaïque de Provinces (comme sous l’ancien régime) et ouvrirait la porte à une balkanisation de l’Ouest de l’Europe. Il ne peut y avoir de citoyenneté fondée sur le communautarisme. Elle ne peut s’appuyer, se construire et se développer que sur des valeurs communes à tous et intégrées par tous dans le cadre d’une éducation laïque et républicaine, et d’institutions laïques et républicaines.


E. Cossevin, B. Courcelle.

(Nous avons utilisé l’article de X. Pasquini : Charlie-Hebdo, 17.5.1999)

 

L’abandon de la Charte des Langues Régionales

1. Mercredi 23 juin 1999: J. Chirac refuse la révision constitutionnelle qui serait nécessaire pour que la charte soit ratifiée.

 


D’après une dépêche de Reuters:

[...] Jacques Chirac estime, en s’appuyant sur l’avis du Conseil Constitutionnel que " la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires " va " très au delà " du soutien et de la reconnaissance des langues régionales. " Dans ces conditions, le président de la République ne souhaite pas prendre l’initiative d’une révision constitutionnelle qui porterait atteinte aux principes fondamentaux de notre République ". Le chef de l’Etat estime néanmoins que les langues régionales contribuent à la " richesse culturelle " du pays et doivent à ce titre " être reconnues et soutenues ", " sans qu’il soit nécessaire de modifier (la) constitution et sans remettre en cause l’unité de la Nation ". Il fait ainsi savoir qu’il souhaite " que l’on développe (...) sur une base volontaire ", l’enseignement, la connaissance et la pratique de ces langues.


[...]

 

2. Commentaires de B. Courcelle

 


Il est heureux que Chirac refuse la révision constitutionnelle! Néanmoins cette affaire est scandaleuse. Remarquez le " timing " soigneux: on signe le 7 mai, avant les élections européennes du 13 juin. On renonce à la ratification après ces élections,

sur avis du Conseil Constitutionnel rendu le 15 juin! De toutes manières aucun débat n’a été organisé avant la signature. Toujours le " fait du Prince " et le mépris de la démocratie. Pour des motifs électoralistes ou, au minimum, par lâcheté politique, J. Chirac et L. Jospin ont signé le 7 mai, sans craindre de relancer des discussions " identitaires " dont on sait bien qu’elles n’engendrent que haine et violence. L’avis du Conseil Constitutionnel aurait du être demandé avant la signature,

et non après. Lorsque L. Jospin demande à J. Chirac de faire réviser la Constitution, il sait que cela sera refusé, et c’est sûrement ce qu’il souhaite pour éviter un débat explosif.


3.Une pétition que nous avions proposée.

Monsieur le Premier Ministre,

Il est question que la France ratifie la Charte Européenne des Langues Régionales ou Minoritaires. Je vous exprime par cette lettre mon hostilité profonde à cette ratification, hostilité motivée par les raisons suivantes :


1)?elle met en danger l’unité de la République Française, et l’égalité des citoyens devant la loi et les services publics,

2)?elle induira pour l’Etat des dépenses injustifiées.

3)?Enfin, il faut encourager les élèves et étudiants à apprendre les langues des pays européens où ils sont susceptibles de trouver du travail, et non des langues régionales que l’on cherche à faire revivre artificiellement pour la satisfaction d’une poignée d’intellectuels.


Je considère que l’Article 2 de la Constitution qui stipule que le Français est LA langue de la République Française doit être maintenu en l’état.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de mon dévouement à la République.

 

4. Réponses à des " réactions vives " de lecteurs.

En réaction à la proposition de pétition ci-dessus, j’ai reçu des messages très virulents m’accusant d’être un " nettoyeur ethnique ". Je précise donc brièvement quelques points, afin de dissiper les malentendus:


1)?Il n’est pas question d’interdire à qui que ce soit de parler ou de publier dans la langue de son choix. De même, la laïcité refuse la reconnaissance des religions par l’Etat, mais permet leur pratique.

2)?Comprendre et pratiquer plusieurs langues est une richesse culturelle qu’il ne s’agit pas de contester.

3)?Mais rares sont ceux qui peuvent pratiquer de nombreuses langues. Il y a donc des priorités à respecter. C’est conduire les jeunes dans une impasse que de leur faire apprendre une langue régionale, ce qui se fera forcément aux dépens d’une langue largement pratiquée, qui leur serait utile dans leur vie professionnelle. Ceux qui souhaitent investir du temps dans l’apprentissage d’une langue régionale pourront toujours le faire ultérieurement.

4)?Le marché du travail étant ce qu’il est, il faut inciter les étudiants à la mobilité en France et hors de France, et non au repli sur une région d’origine ou d’adoption.

5)?L’unicité linguistique française est un acquis de l’école républicaine qu’il ne faut pas brader, même si les méthodes utilisées à l’époque pour l’instaurer sont inacceptables de nos jours. Nous n’encourageons aucun pays à les pratiquer.

6)?Les lois, même rédigées en une même langue, sont sujettes à interprétations multiples. Cela serait encore pire s’il fallait confronter des textes (et des jugements qui font jurisprudence) rédigés dans des langues différentes. Des " droits locaux " risqueraient de s’installer (comme c’est le cas en Alsace-Moselle pour d’autres raisons), contrairement au principe républicain de l’unicité des lois, qui s’appuie sur l’unicité linguistique.

7)?Nous pensons que la ratification de cette charte est nuisible pour la France, compte tenu de la situation existante. Elle peut être justifiée dans d’autres pays.


B. Courcelle.

 

5. Pour vous faire plaisir, vous pourrez réécouter G. Brassens vitupérer " Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part "

 


La ballade des gens qui sont nés quelque part


Ce qu’ils sont plaisants tous ces petits villages

Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités

Avec leurs châteaux-forts, leurs églises, leurs plages

Ils n’ont qu’un seul défaut et c’est être habités

Et c’est d’être habités par des qui regardent

Le reste avec mépris du haut de leurs remparts

La race des chauvins, des porteurs de cocardes

Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part (bis).

Maudits soient ces enfants de leur mère patrie

Empalés une fois pour toute sur leur clocher

Qui vous montrent leurs tours, leurs musées, leur mairie

Vous font voir du pays natal jusqu’à en loucher

Qu’ils sortent de Paris ou de Rome ou de Sète

Ou du diable vauvert ou de Zanzibar

Ou même de Montcuq il s’en flattent mazette

Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part (bis).


[...]


Mon Dieu qu’il ferait bon sur la terre des hommes

Si on n’y rencontrait cette race incongrue

Cette race importune et qui partout foisonne

La race des gens du terroir des gens du cru

Que la vie serait belle en toutes circonstances

Si Vous n’aviez tiré du néant tous ces jobards

Preuve peut-être bien de votre inexistence

Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part (bis).

 

6. Communiqué d’E.Pion.

 


Nous avons reçu, par courrier électronique, une dizaine de réactions négatives, souvent insultantes, à propos de notre hostilité à la signature par la France de la Charte Européenne des Langues Régionales et de la proposition de courrier ci-dessus.

A contrario, dans toutes les réunions publiques, les tables rondes et les colloques auxquels nous avons été conviés sur ce thème, les auditoires rencontrés, (y compris dans les régions les plus sensibilisées en apparence au problème) ont toujours été très majoritairement hostiles, non aux langues régionales en elles-mêmes, mais aux prétentions contraignantes et revendicatives contenues dans le texte du Conseil de l’Europe. (Rapellons que ce conseil est un organisme non élu, qui ne s’intègre pas aux institutions officielles de l’Union Européenne et qui ne représente pas les mêmes états que le Parlement de Strasbourg, seul légitime.)


Communiqué

 

Dans le débat sur les langues et dialectes locaux, c’est en nous plaçant du point de vue de l’Europe en construction que nous précisons notre position. Nous devons aujourd’hui faire face à une double et ardente obligation:

* construire une Europe républicaine, démocratique, solidaire, sociale et laïque, et en même temps,
* empêcher que se diluent et que soient battues en brèche, les valeurs institutionnelles de la République Française.

Ces valeurs sont à bien des égards, et notamment en matière de laïcité, garantes de notre cohésion nationale. Elles constituent l’apport constructif de la France à l’édification communautaire européenne et nous ne saurions y renoncer, ni pour nous-mêmes, ni pour l’Europe en devenir. L’idée républicaine, en tant qu’éthique, est indissociable d’une saine vision de la future Europe.

L’attachement à la " chose publique " (la res-publica) implique, c’est évident (et chacun en est bien d’accord) l’éclosion d’une cohésion citoyenne civiquement harmonieuse. Les fondements de toute citoyenneté sont la volonté de vivre ensemble, le sentiment d’une appartenance à une communauté d’intérêts et les potentialités d’une cohésion culturelle la plus large possible. Or l’Union Européenne souffre à l’évidence d’un handicap culturel de départ: c’est le plurilinguisme qui empêche les éventuels et futurs citoyens européens de se comprendre, de se découvrir, de se connaître et de vivre ensemble en symbiose civique.

Dans l’Europe contemporaine telle qu’elle se présente, une dizaine de langues nationales officielles sont parlées et ce pluralisme de départ obère les chances d’éclosion de toute cohésion citoyenne sans laquelle il n’y aura jamais de véritable conscience civique européenne. C’est un des défis des promoteurs lucides du mouvement européen d’avoir eu conscience de ce handicap, et d’avoir dit, en substance : " nous pourrons pallier cette indéniable difficulté par le jeu de la culture,

de l’instruction et par la pratique d’un bi- ou d’un trilinguisme fondé sur les langues nationales les plus parlées en Europe. Cela permettra aux citoyens d’Europe de se comprendre, aidés en cela par l’apport des technologies nouvelles de communication. "

Ce vaste problème ne sera pas aisé à résoudre, tant au niveau de la locution orale qu’en matière d’édition et de productions journalistiques. Le problème est aggravé par le légitime souci, pour de nombreux européens, de ne pas se laisser dominer par une anglophonie envahissante qui mettrait inévitablement l’Europe en état de soumission à l’égard de la culture anglo-américaine. Faute de cette résistance culturelle, les Européens en viendraient inévitablement à se soumettre aux conceptions politiques et économiques anglo-saxonnes et à leur idéologie dominante.

Et certains viennent aujourd’hui nous dire et prétendre que c’est en ré-officialisant des dialectes ancestraux, délaissés en France depuis de multiples décennies, qu’on va enrichir la culture commune des opinions publiques et des peuples européens ! Que deviendra l’indispensable volonté de cohésion citoyenne européenne ??

Quelle aberration, ou quelle inconscience ?! Quel avenir civique et professionnel dans l’Europe de demain pour un jeune montagnard ou pêcheur basque, un breton receltisé, une génération insulaire enfermée dans sa corsitude, un Alsacien empêtré dans son dialecte, un savoyard réinventant un patois oublié par l’histoire, une jeunesse méridionale réoccitanisée ?

Les uns et les autres redevenus des locuteurs culturellement folklorisés, et privés d’une maîtrise suffisante des langues vivantes étrangères, pourront-ils s’épanouir comme citoyens d’une Europe délivrée de ses barrières frontalières ? Est-ce grâce aux vertus des dialectes locaux minoritaires que les jeunes s’intégreront aux réalités socio-professionnelles de l’emploi, telles qu’elles se mettront en place aux quatre coins de l’Europe, ouverte à la mobilité de l’emploi ?

" Vivre et mourir dans sa province ", est-ce une revendication réaliste et progressiste ?

Un autre aspect du problème ne peut être passé sous silence parce qu’il est lourd de conséquences : quelle vision de l’Europe se dessine en filigrane de ce mouvement en réalité authentiquement réactionnaire ?

 

Le but recherché est évident et difficilement niable : c’est l’Europe des régions et des sous-régions concurrentes qui se prépare. En fragmentant encore davantage, sur le plan linguistique, l’entité européenne, les règles du dogme libéro-capitaliste se heurteront à une moindre opposition et à des résistances affaiblies parce que fractionnées.

L’encouragement aux résurrections du régionalisme d’antan est le fait de tous ceux qui veulent que disparaissent les spécificités nationales les plus modernes et progressistes, gages et outils de cohésion civique : la laïcité, la sécularisation, la solidarité sociale, les refus des soumissions monétaristes, la promotion des services publics. Consciemment ou non, ils font le jeu de ceux pour qui ces valeurs sont les ennemis à abattre. Sous couvert de récusation (injustifiée) d’un jacobinisme défiguré et caricaturé, on nous célèbre les vertus imaginaires d’un retour du passé, un fractionnement général de la cohésion républicaine. La mosaïque linguistique que nous préparent les régionalistes, sera le meilleur moyen de rendre infirmes sur le plan civique européen les futures générations. Si, par malheur des législateurs laxistes, avides de grapiller quelques dixièmes dans les sondages d’opinion électorale, se laissaient aller à cette lâche démagogie, pour concurrencer notamment les influences perverses des listes " Chasse, pêche et tradition ", ils aggraveraient ainsi inévitablement la déstructuration et la désharmonisation de l’opinion publique. Veut-on faire de la France une nouuvelle Belgique, aujourd’hui à la veille de l’éclatement ? une nouvelle Yougoslavie ? Veut-on multiplier les désordres irrépressibles tels qu’on les constate en Corse, au pays basque espagnol, et dans quelques autres pays eux aussi menacés ?

Et bien sûr, derrière ce détestable projet, faussement anodin et présenté comme une défense de droits naturels que personne ne nie, derrière cette vaste offensive déstructurisante en France, se dissimule le projet que ne soit surtout pas instituée une législation européenne à caractère républicain, parce que cette perspective est inévitablement liée à la diffusion des idées laïques et de la sécularisation des consciences. Le fractionnement linguistique est le dernier avatar des intégrismes, des cléricalismes et des communautarismes déstabilisateurs. On voit déjà se profiler toutes les revendications des minorités confessionnelles, ethniques, dogmatiques et sectoïdes qui justifieront leur virulence au nom du droit de leur micro-culture d’enfermement, à être prise en compte non seulement par les états nationaux qu’ils combattent, mais aussi par les institutions européennes qu’ils espèrent gangréner.

La Laïcité est en cette affaire gravement menacée, là où elle existe ainsi que là où son éthique marque des points en Europe. Le retour à la tradition masque souvent la nostalgie du passé et le refus du progrès. Et, bien sûr, la plupart des Eglises, les clergés, les communautaristes de toutes sortes, guettent avec avidité la légalisation officielle des langages fractionnels afin d’accroître leur reconquête des opinions publiques, trop sécularisées à leur goût..

Respectons les usages folkloriques lorsqu’ils sont culturellement épanouissants, mais ne les laissons pas porter atteinte à la prospective républicaine. Les langues minoritaires, d’origines ancestrales ou étrangères, appartiennent à la sphère privée. C’est vrai dans le cadre d’une nation linguistiquement solidaire: ce le sera encore davantage dans une Europe résolue à s’unifier et à s’harmoniser culturellement.

Pour toutes ces raisons de lucidité, de volonté progressiste et d’espérance harmonisatrice, le Mouvement Europe et Laïcité exprime à nouveau son opposition totale et résolue au contenu de la Charte Européenne des Langages Régionales ou Minoritaires. C’est un texte dangereux, incompatible avec les fondements républicains actuels (pour la France) et à venir (pour l’Europe).

Le Conseil de l’Europe (qui est à l’origine de cette Charte) n’est pas le Parlement Européen. Il n’est pas une instance élue et ses composantes ne correspondent pas à celles de l’Union Européenne. Ses incitations et ses suggestions sont dénuées de tout caractère d’obligation dans leur éventuelle mise en pratique.

La démocratie européenne et la citoyenneté républicaine qui se cherchent ne doivent pas se laisser dénaturer par des improvisations irresponsables.

 

Droit des minorités versus cohésion nationale

Libération, le lundi 5 juillet 1999

"Libération" a reçu un très abondant courrier après le refus de Jacques Chirac de modifier la Constitution.

"Rien ne justifie que l'on aille jusqu'à admettre d'autres langues officielles que le français. Ce serait inévitablement encourager des mouvements indépendantistes aujourd'hui très marginaux."

Texte signé par 25 députés de droite? ?

25 députés DL-UDF-RPR pour les langues régionales "sans défaire la France"

Le Conseil constitutionnel, saisi par le président de la République, a jugé que la charte européenne des langues régionales ou minoritaires ne pouvait pas être ratifiée par la France sans une révision préalable de la Constitution. Cette décision a déclenché une de ces querelles idéologiques dont notre pays a le secret et divisé artificiellement la France en deux camps, opposant une fois de plus les Girondins et les Jacobins. En réalité, si l'on veut bien avoir l'honnêteté de lire la décision du Conseil constitutionnel, elle est très équilibrée et dessine les lignes d'un compromis autour duquel peut se rassembler l'immense majorité des Français.



Contrairement à une interprétation sommaire et inexacte, le Conseil constitutionnel affirme d'abord que tous les engagements concrets pris par la France en référence à la charte peuvent être mis en œuvre par le gouvernement sans modification de la Constitution. Contrairement à la pratique actuelle du gouvernement, le texte fondateur de nos institutions doit être remis en cause uniquement quand on ne peut faire autrement. Il s'agit de renforcer le rôle et la pratique d'une dizaine de langues correspondant aux langues régionales actuellement enseignées en France en développant leur enseignement à l'école, de la maternelle à l'université, et leur place dans les médias et les manifestations culturelles. En outre, la France s'engage à rendre accessibles en langue minoritaire les principaux textes législatifs ou émanant des collectivités locales. Enfin, dans la vie économique et sociale, les mesures retenues ont pour objet de garantir la possibilité d'utiliser les langues régionales dans les rapports d'ordre privé.



En revanche, le Conseil constitutionnel a souverainement jugé que le préambule et certains articles de la charte étaient contraires à la Constitution, au motif qu'ils conféraient des droits collectifs à des minorités linguistiques à l'intérieur des "territoires" sur lesquels ces langues sont pratiquées. Certaines dispositions tendent en effet à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la "vie privée" mais aussi dans la "vie publique", à laquelle la charte rattache la justice, les autorités administratives et les services publics. Sur la base de ces dispositions, il y avait un risque sérieux de contentieux devant la Cour européenne des droits de l'homme, afin par exemple d'imposer à la justice française l'obligation de traduire les actes d'un procès dans la langue choisie par le requérant. On comprend dans ces conditions que le Conseil constitutionnel ait estimé que la charte était incompatible avec plusieurs des principes fondamentaux de la République, définis aux articles 1 et 2 de la Constitution, selon lesquels "la France est une République indivisible... Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens... La langue de la République est le français".



Personne ne conteste sérieusement la nécessité d'encourager et de promouvoir des langues qui font partie de notre patrimoine culturel. Il est incontestable que, sous l'emprise d'un jacobinisme trop dogmatique, la République, de la Révolution jusqu'aux années soixante, a tout fait pour étouffer, voire interdire, la pratique des langues régionales. Tout le monde a en mémoire la sévérité avec laquelle les instituteurs de l'école de Jules Ferry, hussards noirs de la République, imposaient la pratique du français à des enfants dont ce n'était pas la langue maternelle. On ne peut donc que se réjouir de la renaissance de certaines de ces langues et de leur vitalité, tout particulièrement dans le domaine culturel. Ce mouvement s'inscrit dans une aspiration plus large à préserver son identité et ses racines dans un monde en voie de globalisation. On peut être attaché à ses racines bretonnes ou créoles et être passionnément français, comme tant d'exemples illustres en témoignent. Il est de l'intérêt bien compris de la France d'encourager la renaissance des identités régionales nécessaires à notre rayonnement en Europe.



Mais la construction de l'Europe des régions doit se faire dans le respect de la cohésion nationale. La France n'a pas la même histoire que la Belgique, l'Espagne ou l'Italie. Depuis les ordonnances de Villers-Cotterêts, prises par François Ier, l'unité de notre pays s'est faite d'abord autour de la pratique d'une même langue. Il serait donc absurde d'aller vers un modèle catalan ou flamand d'inspiration fédérale. Rien ne justifie que l'on aille jusqu'à admettre d'autres langues officielles que le français. Ce serait inévitablement encourager des mouvements indépendantistes aujourd'hui très marginaux.

Dépasser les limites d'un jacobinisme étroit et dogmatique qui n'a plus sa place dans l'Europe d'aujourd'hui, sans pour autant remettre en cause l'unité nationale, telle est la voie à suivre. Il serait absurde et dommageable de s'enfermer dans une querelle stérile entre "nationaux républicains" et "régionalistes". Il faut sans tarder mettre en œuvre les mesures concrètes favorisant la promotion des langues régionales sans remettre en cause ni les principes fondamentaux de la République, ni la Constitution. Faire l'Europe des régions sans défaire la France, tel est le chantier passionnant qui s'ouvre à nous.

Henri Plagnol (UDF/Val-de-Marne) et Pierre-Christophe Baguet (UDF/Hauts-de-Seine), Jean-Louis Bernard (UDF/Loiret), Yves Bur (UDF/Bas-Rhin), Gilles Carrez (RPR/Val-de-Marne), Pascal Clément (DL/Loire) Marc-Philippe Daubresse (UDF/Nord), Dominique Dord (DL/Savoie), Franck Dhersin (DL/Nord), Renaud Dutreil (UDF/Aisne), Nicolas Forissier (DL/Indre), Hervé Gaymard (RPR/Savoie), Michel Herbillon (DL/Val-de-Marne), Pierre Hériaud (UDF/Loire-Atlantique), Didier Julia (RPR/Seine-et-Marne), Pierre Lasbordes (RPR/Essonne), Jacques Le Nay (UDF/Morbihan), Jean Marsaudon (RPR/Essonne), Yves Nicolin (DL/Loire), Paul Patriarche (App. DL/Haute-Corse), Dominique Perben (RPR/Saône-et-Loire), Marc Reymann (UDF/Bas-Rhin), Georges Tron (RPR/Essonne), Gérard Voisin (DL/Saône-et-Loire) et Michel Voisin (UDF/Ain).

 

 

La France intégriste

1. L'intégrisme français dit "jacobin" et, en réalité historique, bonapartiste, se trouve légitimé par le Conseil constitutionnel. Cette décision se situe dans la logique installée par la révision constitutionnelle de 1992. En déclarant que "la langue de la République est le français", le législateur a placé une marque d'identité culturelle sur un pied d'égalité avec les principes majeurs de la République: le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple et la devise "Liberté, Égalité, Fraternité". La dérive était dès lors prévisible: la France n'est plus pensée comme le résultat d'une volonté de vivre ensemble, mais comme le partage de marques d'identité. Sous prétexte de sauvegarder l'identité de la France, on remet en cause les caractéristiques universalistes du modèle républicain français.



Nous sommes bien en présence d'une dérive du droit, qui est susceptible de remettre en cause les libertés fondamentales de notre République. Le Conseil constitutionnel donne une interprétation du concept de "droits collectifs contraires à la Constitution" tellement large qu'on peut se demander où s'arrêtera cette vigilance répressive. Aujourd'hui, ce sont les libertés linguistiques qui sont visées, demain n'importe quelle forme d'expression publique d'une différence pourra tomber sous la censure constitutionnelle!


2. Le refus opposé à la charte remet en cause la place de la France dans l'Europe démocratique. Les tentatives hégémoniques pour imposer une langue unique à l'ensemble des peuples européens ont jeté un discrédit durable sur l'idée, encore présente dans l'entre-deux-guerres, que l'Europe aurait besoin d'une langue commune pour s'imposer sur la scène du monde. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe s'est bâtie sur le respect des différences linguistiques et culturelles de ses peuples et de ses nations.



La charte européenne des langues régionales ou minoritaires s'inscrit dans cette logique. Le respect de la pluralité culturelle ne peut s'arrêter au plurilinguisme des langues officielles des Etats. Le Conseil de l'Europe a ainsi élaboré un texte permettant de prendre en compte cette diversité sans pour autant mettre en question les Etats. Cette approche, éloignée de tout communautarisme, constitue une avancée majeure de la démocratie. La charte protège les langues en évitant soigneusement de traiter les groupes loyaux envers telle ou telle langue régionale ou minoritaire comme des "minorités", dont la reconnaissance pourrait entraîner une mise en question des Etats nations.


Il est piquant d'observer que l'adhésion à cette charte est requise désormais des pays candidats au Conseil de l'Europe: la France se trouverait aujourd'hui exclue de l'institution qui joue un rôle majeur dans la démocratisation des Etats postcommunistes! La responsabilité prise par le Conseil constitutionnel dépasse, on le voit, nos petites querelles franco-françaises...



Demain, les Etats qui voudront se débarrasser de leurs minorités linguistiques trouveront une justification facile dans la décision de la Cour constitutionnelle de la "patrie des droits de l'homme". Soyons clairs: il n'est pas possible de continuer longtemps à tenir ainsi un double langage. Ce n'est pas la nostalgie postcoloniale d'une francophonie impériale qui assurera le rayonnement international de la langue française. Celui-ci sera beaucoup mieux assuré lorsque les peuples du monde pourront de nouveau y associer l'image d'une nation et d'un Etat respectueux des droits de l'homme mettant en œuvre, sur son territoire, l'ensemble des droits qui définissent une démocratie moderne.



C'est désormais, à l'heure de l'émergence d'une démocratie européenne, le pluralisme de la société française qu'il faut refonder, par un large débat débouchant sur une réforme radicale de notre Constitution.

Henri Giordan et Robert Lafont

Le premier a rédigé un rapport au ministre de la Culture sur les langues régionales, Démocratie culturelle et droit à la différence, la Documentation française, 1982. Le second est l'auteur de nombreux essais sur l'identité française, notamment Sur la France, Gallimard, 1968.

Et le latin?

Je suis d'origine gallo-romaine. Je vis dans une région qui, avant l'occupation par les peuplades venues d'outre-Manche, ne s'appelait pas Bretagne. Le débat actuel sur les langues régionales me concerne d'autant plus que mon amour de la vie me donne envie de comprendre et de parler toutes les langues de l'univers. Que faire aujourd'hui? Dois-je me battre pour que le latin, composant éminent des civilisations des pays de France, obtienne un statut de langue officielle de la République? Dois-je me battre pour avoir le droit d'émettre des chèques en latin,et pour obtenir que, dans chacune des quelque 30 000 communes de l'Hexagone, il y ait un fonctionnaire capable de les interpréter?

Henri Néron de Surgy (Brest)

 

Une charte pas faite pour la France

Je suis étonnée de lire les réactions outrées des défenseurs de la charte européenne des langues régionales devant le refus du président Chirac de la signer. On ne peut pas en effet comparer la situation de la France à celle de ses voisins: il existe en Allemagne, en Italie et en Espagne, à côté de la langue officielle, des langues régionales vraiment vivantes, c'est-à-dire qui n'ont jamais cessé d'être transmises ni d'être parlées. A l'exception de l'alsacien, du corse et peut-être du basque, il apparaît qu'en France la plupart des langues régionales sont mortes, qu'il y eut rupture de transmission, qu'on ne les transmet plus de parents à enfants. Qu'on puisse les étudier en classe paraît très important, et c'est possible aujourd'hui dans les régions concernées. Il existe d'ailleurs six Capes (certificats d'aptitude à l'enseignement secondaire) de langues régionales, et un certain nombre d'étudiants sont en train de passer les oraux: 2 en basque, 4 en breton, 2 en catalan, 3 en corse, 14 en occitan-langue d'oc, 3 en tahitien-français. On remarquera que la langue régionale la plus vivante aujourd'hui, l'alsacien, ne figure pas dans cette liste. Il est en effet très difficile de l'écrire car il ne se prononce pas de la même façon du nord au sud de l'Alsace, et les journaux locaux sont en fait traduit en allemand. Mais si la France signe la charte, les régions devront traduire "les lois les plus importantes" dans ces langues, publier "dans la mesure où cela est raisonnablement possible" des textes officiels dans ces langues, rédiger dans ces langues les consignes de sécurité dans les entreprises. On voit l'intérêt, le gaspillage d'énergie et d'argent. Il est clair que cette charte n'est pas faite pour la France et que ce n'est pas vouloir "assassiner" les langues régionales que de refuser de la signer, mais faire preuve au contraire d'un solide bon sens, qui semble avoir déserté bien des esprits.

Mireille Grandval (Paris)

 

 

Quel langage commun pour les Européens?

On pourrait imaginer, en faisant abstraction de tous les nationalismes épidermiques, que l'Europe adopte dans un délai quelconque le principe que l'une de ses langues soit le véhicule linguistique officiel de tous. Mais c'est très probablement une utopie irréalisable tant il est dans les esprit, malheureusement, que changer de langue, c'est s'asservir à une autre culture (pourtant, le gaulois me semble une langue peu parlée en France aujourd'hui). De toute façon, on peut penser que l'espace économique européen ne peut que déboucher sur la naissance d'une langue commune, au moins pour les "élites". Mais la "vraie Europe" ne peut exister si elle ne se constitue qu'à l'échelle des décideurs et pour eux: on peut même penser que ce serait faire là le lit de tous les nationalismes populistes futurs. Alors, il faudrait imaginer rapidement un développement systématique de la qualité d'un vrai enseignement des langues - et des langues parlées en premier lieu - et du polylinguisme dès le plus jeune âge et pour tous. Nous en sommes loin, mais ce serait déjà un vaste progrès et un vaste projet que d'aborder la question de cette manière: comment favoriser à très court terme et de façon prioritaire l'enseignement des langues comme véhicules de communication courants? Pour tous? Pourquoi ne pas imaginer que les trois langues européennes les plus parlées dans le monde ne soient aussi les trois langues véhiculaires de l'Europe?


Il y a d'autres manières d'aborder cette question. Et, certes, la question des langues touche une fibre nationale bien présente. Il suffit de se rappeler ce ministre de la Culture qui n'était pas opposé à ce que de nouveaux mots apparaissent en français... sous réserve que ce ne soient pas des mots anglais. Mais si cette question des langues est épidermique, c'est en même temps une bonne question: comment, pour nous, millions de citoyens européens, s'entendre vraiment, dans tous les sens du terme, sans parler un (ou des) langage(s) commun(s)? N'est-ce pas une question un peu plus importante et plus urgente à débattre que celle des langues régionales?

Michel Polge (Paris)

Des lambeaux de mysticisme

La Révolution, comme le catholicisme, est d'essence universaliste, phare autoproclamé pour les autres nations. L'outil par excellence de l'universalisme de la République française est la langue française, langue de la clarté et de la raison; le ciel bleu de Touraine ("Là où le français est le plus pur") s'opposant aux sombres forêts germaniques dont les ténèbres ne pouvaient qu'engendrer des parlers obscurs, faits en même temps d'à-peu-près et de mots rudes, voués à l'efficacité immédiate. Le français, que sa clarté emporte sur les ailes du Progrès, s'opposerait également aux langues régionales, empêtrées dans leurs lourds sabots, embrumées de superstitions, repliées sur un passé obscurantiste.



Un gosier français se doit d'être réfractaire aux langues étrangères. Parler correctement une autre langue est le signe révélateur d'un cosmopolitisme suspect. Le Pen prononçait "Kovèt" pour "Koweït", Sarajevo dans la bouche de Mitterrand devenait "Saragévo". On affiche ainsi clairement sa francité, sa glorieuse incapacité à assimiler tout autre code phonétique, qui ne peut être qu'impur. Tout francophone devient automatiquement l'objet d'attentions particulières. Les Québécois sont choyés et fêtés. On retrouve dans leur accent les échos du terroir français. Qu'importe, cette fois, qu'ils passent par-dessus la Révolution. On veut ignorer que le Québec a été longtemps un pays dominé par les jésuites, antisémite et terre d'accueil pour les dignitaires de Vichy après la Seconde Guerre mondiale.



Le symbole utilisé par l'Etat français de Pétain était celui de la terre, cette terre "qui ne ment pas" (phrase écrite pour le maréchal par l'"israélite" Emmanuel Berl!). Terre nourricière et tombeau des ancêtres, qui peut à l'occasion réclamer le sang de l'ennemi ("qu'un sang impur"...). Ce symbole, qui n'a pas la nature abstraite de la Révolution, n'a pas besoin d'être entretenu. Il resurgit tout armé aux détours de l'histoire de notre pays. Le récent succès électoral de la liste Chasse, Pêche, Nature et Tradition en est le dernier avatar.



Les réactions disproportionnées sur la question des langues régionales marquent bien le désarroi devant la fragilité d'un symbole dont on se refuse de reconnaître la nature faite de bric et de broc. Ainsi l'universalisme de la langue française, que l'on veut consubstantiel à celui de la Révolution, a été célébré avec éclat par un royaliste convaincu, Rivarol, qui a dû s'exiler de France. Le débat sur les langues minoritaires peut être salutaire s'il permet de faire le tri parmi les lambeaux de mysticisme dont on veut faire croire qu'ils constituent l'étoffe de l'identité française.

Gabriel Krom, professeur d'anglais (Reims)

 

Des ponts linguistiques

Contrairement à ce qu'affirment M. Sarre et ses amis, les langues et dialectes régionaux sont souvent bien loin d'être "inutiles économiquement", puisqu'ils peuvent constituer de véritables "ponts linguistiques" avec nos voisins européens. C'est le cas de l'alsacien par rapport à l'Allemagne, du flamand par rapport aux Flandres belges et aux Pays-Bas, du breton par rapport au pays de Galles, du basque par rapport aux provinces basques d'Espagne, du catalan par rapport à la Catalogne espagnole et, enfin, du corse par rapport à l'Italie.

Jean-Dominique Seta (Vincennes)

 

 

Rendre la parole à ceux qui l'ont perdue

Quel Sartre, Barthes ou Saussure guiderait ma lanterne dans le brouhaha des sons, la Babel des langues, pour retrouver ma parole? Celle que j'ai aperçue une fois sur le visage d'une grand-mère qui la dissimulait sous forme de tatouages sur des joues bien ridées. Quand je me suis rapproché, elle a fait tomber son tchador par peur d'un vieux sous un grand turban qui prêchait la bonne parole. J'ai admiré ces signes, un autre jour, sous les couleurs vives des teints de la résistance sur un tapis de l'Atlas que personne ne voulait me vendre. "Chut, on ne vend pas son histoire", chuchota un vieux dans mon oreille.

Alors, tel un écran géant qui s'impose à un enfant ébahi, j'ai vu des figures s'animer. Celles d'ancêtres arpentant les traboules de l'histoire entre le Rif, l'Atlas et les Hoggars pour cacher cette parole que d'autres s'acharnaient à réduire en cendres.

Ma Parole. Une parole que j'ai donnée, prêtée à tous les passants venus de Rome, de Médine et de Paris. Ils m'ont tous promis de mieux la traiter si j'apprenais leurs paroles. Alors, j'ai appris toutes les langues du monde et j'ai oublié la mienne: ma propre parole. Sous sa forme douce, c'est Bob Marley avec les pieds en Jamaïque, la tête en Afrique et la langue qui coule sur la Tamise. Le tout sur un nuage de fumée de ganja dopant toute une jeunesse à une idéologie basée sur les mythes de substitution, la haine du Blanc et du père. L'usage de l'anglais chez Marley ferait trembler le noble British qui s'acharne à préserver la tradition honorable de sa langue universelle en serrant le cul et la lèvre supérieure. Qui de Marley ou du noble a rendu le plus service à la langue anglaise? La purification est l'autre versant du cauchemar. Purifier la langue, la culture, l'ethnie, et pourquoi pas l'espèce humaine?

Le rêve serait de pénétrer toutes les langues du monde au point où elles deviennent toutes maternelles. Le rêve est de rendre la parole à ceux qui l'ont perdue.

Nass Hassani (Vaulx-en-Velin)

 

 

Les écoles de langues, ouvertes et tolérantes

Dans ce débat de juristes, il convient de souligner que la réalité du catalan et des autres langues minorisées de l'Hexagone ne coïncide pas avec une vision communautariste des nostalgiques d'une République napoléonienne et jacobine. Dans les écoles catalanes comme la Bressola ou dans les écoles bretonnes ou basques, les places ne sont pas du tout réservées aux Catalans, aux Bretons ou aux Basques. On y trouve des élèves de toutes origines et de toutes classes sociales. Des petits Parisiens apprennent tout naturellement le catalan ou le breton, et y trouvent des racines qu'ils ont souvent perdues dans les grandes métropoles. Dans les écoles catalanes, on trouve des petits Anglais, des gitans, des Hollandais, etc. Les élèves de ces écoles deviennent bilingues ou même trilingues. En tout cas, ils ont beaucoup de facilité au moment d'apprendre une langue nouvelle: nous sommes à l'opposé d'une langue fermée: le catalan, ici, est la langue de l'ouverture. Loin de la vision communautariste, les écoles en langue dite "régionale" sont des écoles d'esprit laïque, démocratique, tolérant et, bien entendu, adaptées à l'ouverture sur l'Europe et le monde.

Le monolinguisme institutionnel favorise-t-il l'intégration républicaine? Au vu des résultats, le doute est plus que permis. Les citoyens ne se sentiront véritablement intégrés que dans une république basée sur la tolérance, qui respecte leur langue et leur culture. Que les Bretons, les Alsaciens, les Catalans, les Occitans, les Corses, les Basques se sentent exclus, et c'est là que l'on verra apparaître des forces centrifuges puisqu'ils ne se sentiront pas considérés comme des citoyens à part entière.

Le général de Gaulle a prononcé une partie d'un de ses derniers discours de chef d'Etat en langue bretonne, peu avant le référendum (perdu) sur la régionalisation. Comment certains peuvent-ils se réclamer de lui pour combattre les langues des citoyens de la République? Les enquêtes le montrent, en Catalogne, en Bretagne et ailleurs. La demande des familles pour un enseignement en catalan ou en breton augmente chaque année. Les citoyens savent aujourd'hui que, contrairement à l'opinion de ceux qui voulaient séquestrer la République, les langues et les cultures sont un patrimoine de tous. Ces langues sont en danger, et avec elles l'esprit de tolérance et d'ouverture indispensable pour construire une nouvelle civilisation dans un monde ouvert. Ce dernier aspect, pour les Catalans qui ont une langue transfrontalière, est de plus en plus évident, puisque, au-delà d'une langue strictement "culturelle", ils disposent d'une langue dont l'intérêt économique va croissant. Est-il nécessaire de souligner le ridicule des personnes qui qualifient notre langue d'idiome alors qu'il s'agit d'une langue officielle dans plusieurs territoires: la Catalogne du Sud, les Baléares, le Pays Valencien, l'Andorre (dont c'est l'unique langue officielle) avec droit de cité aux Nations unies, et qui représente 11 millions de locuteurs.

Nous n'obligeons pas les monolingues qui veulent le rester à parler plusieurs langues! Mais qu'ils ne nous obligent pas à enfermer nos enfants dans un pauvre monolinguisme qui ne pourra, à terme, déboucher que sur le "tout-anglais".

Joan Pere Le Bihan, directeur général des écoles catalanes la Bressola, Perpinyà (Perpignan)

 

 

Le pluralisme vaut aussi à l'intérieur de nos frontières

Le modèle républicain est fondé sur une conception de l'universalité issue de l'héritage révolutionnaire, et induit une définition de la nation et de la citoyenneté. La République est une et indivisible, et, dès lors, ne connaît que des individus, jamais des groupes. La "crise" de ce modèle s'explique par un certain nombre de facteurs: l'affaiblissement du rôle de l'Etat sous les effets à la fois de la décentralisation, de la construction européenne et de la mondialisation; les difficultés, peut-être plus transitoires que définitives, de l'intégration-assimilation à la française; le déclin de l'Etat-providence; l'évolution de la société et la montée des mouvements culturels et de l'individualisme.



Pour résoudre cette crise, trois grandes orientations sont possibles.


La première est le communautarisme. Il s'agit non seulement de reconnaître à ces groupes des identités particulières, mais encore d'organiser leur autonomisation et leur juxtaposition en tant que groupes. Elle est clairement contraire à la tradition française, implique l'aliénation de l'individu au profit de l'émergence des communautés, ainsi qu'à terme la possible dissolution de la nation au profit d'intégrismes identitaires ou culturels. La promotion des langues régionales n'en est, notons-le, nullement la préfiguration. L'"ethnicisme" et la dérive identitaire, tels qu'observés dans l'ex-Yougoslavie ou d'autre pays de l'ancien bloc communiste, ne résultent pas d'un trop-plein d'identité, mais d'un manque de celle-ci, occultée par la chape de plomb des années de dictature.

La deuxième orientation est le retour aux sources de l'universalisme abstrait originel, incarné par les souverainistes. Il s'agit de refuser les différences, sauf dans la sphère privée. L'équité et le pluralisme culturel n'y ont guère droit de cité, pas plus que la société civile, puisque l'Etat seul, unitaire et centralisateur, oriente et choisit. La troisième peut s'énoncer de la façon suivante: la reconnaissance des différences au service du projet républicain lui-même. Lesdites différences ne sont pas niées ou gommées, mais assumées, tandis que les finalités du projet républicain ne sont pas abandonnées et que l'exigence de valeurs universelles perdure. C'est, au fond, la position adoptée par les pouvoirs publics actuels. Il s'agit non pas de trouver un laborieux compromis entre deux exigences, mais de changer pour rester soi-même.

Qu'est-ce que l'identité? Toute culture à une double dimension: l'universel et le particulier. L'oubli de la première conduit au repli sur soi, l'oubli de la seconde à la standardisation, qui fait, par réaction de défense, le lit du "tribalisme" et de l'exclusion de l'autre. Ce n'est pas un hasard si l'extrême droite s'est récemment emparée des racines et du terroir. Veut-on vraiment lui laisser le champ libre pour s'ériger en défenseur des identités menacées, interprétées à sa manière?



Qu'est-ce que la France? La France a été, et reste, assimilatrice et émancipatrice. Mais elle conjugue aussi aspirations à l'unité et aspirations à la diversité. Qu'est-ce donc que le combat pour l'exception culturelle, dont notre pays s'est fait le héraut, sinon la lutte pour le pluralisme à l'échelon mondial? Mais dès lors, comment peut-on ne pas admettre que le pluralisme vaut aussi à l'intérieur de nos propres frontières, dans le respect de la souveraineté nationale et de l'intégrité territoriale? La question de la diversité culturelle, bien loin d'être marginale, est décisive à l'aube du XXIe siècle.

Jacques Renard, professeur associé à l'IEP de Grenoble,

expert consultant du Conseil de l'Europe

 

 

Les langues régionales, patrimoine français

Alain Savary, ancien premier secrétaire du PS et premier ministre de gauche de l'Education nationale en mai 1981, avait introduit dans les écoles normales primaires une option "initiation au langues régionales et aux langues d'immigration", destinée à préparer les futurs instituteurs à enseigner ces langues dans le premier degré. Les écoles normales ont suivi, mais la classe politique (Jospin étant premier secrétaire du PS) a d'évidence laissé pourrir le projet. Projet très intéressant pourtant, puisque le croisement des deux listes (une quinzaine de langues régionales et une quinzaine de langues d'immigration répertoriées) reproduisait, par recoupements partiels, la liste des langues vivantes enseignées dans le second degré (y compris l'allemand, cité en lieu et place de l'alsacien), à l'exclusion significative de l'anglais. Le républicain que je suis n'y voyait qu'avantage: mieux vaut, à l'école élémentaire, s'initier à l'arabe, la langue du voisin comme disent les Allemands, qu'à l'anglais, que ceux qui en ont besoin apprendront de toute façon.

Par mes convictions républicaines, je suis obligé de me ranger parmi les souverainistes. Si le MDC était dirigé par Max Gallo, je m'y reconnaîtrais sans doute volontiers. Mais si j'ai voté non à Maastricht, je n'ai pas pour autant, lors des récentes européennes, voté Pasqua comme Max Gallo, j'ai voté Cohn-Bendit. Parce que les souverainistes ont perdu, et qu'il est de bonne démocratie dans ce cas de rechercher du côté des vainqueurs la solution alternative la plus honorable. Parce que, si l'on veut conjuguer correctement "le discours de la méthode" (la démocratie) et "l'esprit des lois" (la République), au moins Cohn-Bendit offre-t-il toutes les garanties en matière de "discours de la méthode": c'est le seul depuis des lustres (je souligne: le seul) qui fasse démonstration qu'il sait ce que ce débat contradictoire veut dire. Quant à "l'esprit des lois", j'ai bon espoir qu'il le respecte, même si nous sommes loin, lui et moi, d'en faire toujours et sur tous les points la même lecture.

Revenons aux langues régionales, en regrettant au passage que les langues d'immigration ne semblent mobiliser personne. Pourquoi donc la République "française et indivisible" - ce à quoi je tiens comme à la prunelle de mes yeux - se refuse-t-elle obstinément à accorder le même statut aux arrondissements de Bayonne (basque) et Dunkerque (flamand) par exemple, assorti d'une charte linguistique et culturelle qui pourrait s'appliquer tout autant au département des Pyrénées-Orientales (catalan) qu'aux régions d'Alsace ou de Corse, sans oublier la Bretagne, quand sera réglée la querelle d'appartenance de la Loire-Atlantique, ou encore à l'Occitanie tout entière? Le patrimoine culturel des langues régionales est à mes yeux un patrimoine "français", qu'il convient de reconnaître et développer comme tel, sans que soient mis en cause les caractères d'unicité et d'indivisibilité de la République. Cela veut dire que toute revendication "nationaliste" doit être exclue et combattue. La France et les Balkans n'ont pas la même histoire. Est-il difficile de s'entendre sur cela?

Jacques Poinsignon, inspecteur d'académie, inspecteur pédagogique régional de l'Institut universitaire de formation des maîtres de Lorraine

 

 

Reconnaître les histoires, les identités et les langues

Combien d'enfants, dans toutes les premières classes, montrent les exclusions et les malaises psychiques provoqués par la non-prise en compte des provenances territoriales et linguistiques des parents dits "étrangers"? Combien d'enfants ne se sont-ils pas sentis un peu mieux dans l'école française à partir du moment où quelques éléments de la langue de leurs parents venaient à être reconnus et non exclus du cadre de développement de la culture en France? D'où cette perplexité d'entendre, aujourd'hui, exprimées par des dirigeants politiques, des craintes quant à la République que provoqueraient les reconnaissances de pratiques linguistiques créatrices et créatives qui ont permis à cette République de ne pas être victime de sa propre représentation ethnique et exclusive. Si la France doit quelque chose à l'immigration, en plus des avantages économiques, c'est bien ceci: le dépassement de son archaïsme de représentation historique, linguistique et culturelle de ces immigrations. Aux enfances malmenées culturellement, non dignement reconnues dans le parcours de la scolarisation, répondront, parce que la scolarisation est une socialisation des valeurs culturelles et politiques, les violences futures de l'adolescence et de la maturité. Et si l'on veut aborder ce troisième millénaire en un autre sens que celui d'un retour historique des violences, peut-être est-il temps de comprendre cette charte de reconnaissance mutuelle des histoires, des identités et des langues.

M. Fares, écrivain, psychanalyste

 

La politique des langues régionales et minoritaires

 

Rappelons d’abord les langues minoritaires en usage sur le territoire de la métropole:

* L'alsacien


Langue d’origine germanique parlée par environ un million de locuteurs, principalement en Alsace et en Lorraine. La forme écrite retenue pour l'enseignement de la langue est l'allemand.


* Le basque


La zone bascophone (100 000 locuteurs) correspond au tiers sud-ouest du département des Pyrénées-Atlantiques. Elle prolonge l'aire d'extension du basque en Espagne où cette langue bénéficie d'un statut de co-officialité avec l’espagnol. L'enseignement du basque se développe dans le périmètre urbain de Bayonne, en plus des trois régions basques de Labourd, Soule, Basse-Navarre.


* Le breton


Le breton, parlée par quelque 800 000 locuteurs, est surtout enseigné dans la partie occidentale de la Bretagne, mais fait aussi l’objet d'un enseignement dans quelques villes de la partie non bretonnante (Rennes et département de la Loire-Atlantique et Paris).


* Le catalan


La zone catalanophone (260 000 locuteurs) occupe la quasi-totalité du département des Pyrénées-Orientales. Les locuteurs catalans de France tirent profit du dynamisme linguistique de cette langue en Espagne où ses intérêts sont protégés par la Constitution espagnole et la législation linguistique du gouvernement catalan.


* Le corse


Le corse (85 000) fut longtemps considéré comme une forme dialectale de l'italien. Aujourd'hui, le corse est la seule des langues minoritaires "françaises" à bénéficier d'un statut particulier, lui-même étroitement lié au statut administratif de l'île. À l’extérieur de la Corse, l’enseignement est dispensé dans les villes d’Aix-en-Provence, Marseille, Nice et Paris.


* L'occitan


L’occitan (env. sept millions de locuteurs) ne correspond pas à une langue uniformisée. L’aire occitanophone occupe la plus grande extension géographique de toutes les langues minoritaires de France. En effet, l’occitanophonie est étendue à toute la partie sud de la France. Selon les régions, l’occitan est appelé provençal, auvergnat, limousin, languedocien, gascon, béarnais, etc. On enseigne l’une ou l’autre des variantes de l’occitan dans les villes de Nice, Grenoble, Aix-en-Provence, Marseille, Clermont-Ferrand, Montpellier, Toulouse, Limoges, Bordeaux etc.


* Les langues d'oïl


Les locuteurs des parlers d’oïls sont aujourd’hui peu nombreux et la plupart de ces langues ont pratiquement disparu. Cependant, certaines parlers régionaux tels que le picard (au nord, près de la Belgique), le gallo (à l'ouest, près de la Bretagne), le poitevin, le saintongeais, le normand, le morvandiau, le champenois, et d'autres encore, constituent aujourd’hui des formes régionales du français. Dans certains établissements, ces parlers régionaux bénéficient d'un horaire spécifique sous l’appellation de "langues régionales".


Hors de France, on doit rappeler également les langues vernaculaires des territoires français du Pacifique et les créoles des départements français d’outre-mer. Il s’agit principalement des langues polynésiennes, notamment le tahïtien, et mélanésiennes (les langues kanaks), puis des créoles parlés en Guyane, en Guadeloupe, en Martinique, à l’île de la Réunion, etc. Exception faite du tahïtien en Polynésie française, ces langues ne bénéficient d’aucun enseignement dans les écoles.



La législation linguistique en matière de langues régionales et minoritaires est récente dans l’histoire de la France. Pour la période contemporaine, quatre lois méritent d'être relevées: la loi Deixonne de 1951, la loi Haby de 1975, la loi Bas-Lauriol de 1975 et la loi Toubon de 1994. Il a semblé important de rapporter les législations obsolètes dans la mesure où elles ont contribué à la politique linguistique actuelle.



 

1 La loi Deixonne de 1951 (abrogée)

La loi no 51-46 du 11 janvier 1951, relative à l'enseignement des langues et des dialectes locaux, dite loi Deixonne — du nom de Maurice Deixonne, alors rapporteur de la commission parlementaire de l'Éducation nationale, avait présenté le projet de loi —, vise deux objectifs: d'abord défendre la langue française, ensuite protéger les langues régionales. Cette loi apparaît comme une loi linguistique et une loi scolaire. Elle constitue une reconnaissance officielle du droit à l'existence des langues régionales (art. 1):

Le Conseil supérieur de l'Éducation nationale sera chargé dans le cadre et dès la promulgation de la présente loi, de rechercher les meilleurs moyens de favoriser l'étude des langues et dialectes locaux dans les régions où ils sont en usage.



Cependant, la loi a donné un contenu précis et restrictif au concept des langues régionales. À l'article 2, elle autorise les maîtres "à recourir aux parlers locaux dans les écoles primaires et maternelles chaque fois qu'ils pourront en tirer profit pour leur enseignement, notamment pour l'étude de la langue française." En vertu de la loi, tout enseignant du primaire peut se référer à la langue locale dans le cadre d'un enseignement normal, y compris l'apprentissage du français. Autrement dit, l'enseignant n'est pas obligé d'utiliser la langue régionale, mais il peut le faire à la condition qu'il en fasse la demande; si celle-ci lui est accordée, il pourra prélever une ou deux heures par semaine sur le temps consacré aux "activités dirigées" (art. 3):

Tout instituteur qui en fera la demande pourra être autorisé à consacrer, chaque semaine, une heure d'activités dirigées à l'enseignement de notions élémentaires de lecture et d'écriture du parler local et à l'étude de morceaux choisis de la littérature correspondante.



Cet enseignement est facultatif pour les élèves.

Non seulement l'enseignement est limité à une ou deux heures par semaine, mais il n'est pas obligatoire. On constate aussi que, si les élèves ne sont pas tenus de suivre des cours en langue régionale, les professeurs ne sont pas plus obligés de les dispenser ni l'administration de les offrir. De plus, la loi ne touche pas la totalité des langues minoritaires pouvant exister en France. Le texte de loi (art. 10) limite cet enseignement à quatre langues: le breton, le basque, le catalan, l'occitan. Le législateur tenait expressément à limiter l'enseignement à quatre langues par crainte que la loi serve à autoriser l'enseignement de l'allemand, qui fut ajouté l'année suivante pour les Alsaciens. La loi Deixonne est perçue aujourd'hui comme étant extrêmement limitative, mais elle a fourni à toutes les minorités l'occasion de revendiquer un enseignement dispensé en langue régionale. C'est ce que l'on appelle un effet de cascade.



 

2 La loi Haby de 1975

La loi no 75.620 du 11 juillet 1975 relative à l'éducation, dite loi Haby — du nom de M. René Haby, alors ministre de l'Éducation nationale qui avait présenté le projet de loi —, constitue aujourd'hui le texte fondamental qui régit tout l'enseignement en France. Un seul article a trait aux langues régionales. C'est l'article 12 formulé ainsi:

Un enseignement des langues et des cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité.

Il résulte d'un amendement que le Parlement a ajouté à la loi scolaire présentée par le gouvernement. Combiné avec la loi de 1951, ce texte juridique implique pour les administrateurs scolaires l'obligation d'organiser un enseignement pour toutes les minorités régionales qui en font la demande. Cet article a complètement modifié l'enseignement des langues régionales par la suite. Il a fallu refaire les programmes et les grilles-horaires, préparer des stages de formation pour le personnel enseignant. À partir de 1975, la loi reconnaît donc officiellement une place aux langues régionales, modeste et limitée à l'enseignement. Néanmoins, le cadre administratif est en place et il sera étendu et généralisé après l'adoption de la loi Bas-Lauriol.



 

3 La loi Bas-Lauriol de 1975 (abrogée)



La loi no 75-1349 du 31 décembre 1975 relative à l'emploi de la langue française, dite loi Bas-Lauriol — ainsi nommée en l'honneur des deux proposeurs de la loi: Pierre Bas et Marc Lauriol —, a donné lieu a des débats acrimonieux à l'Assemblée nationale parce qu'elle ne porte pas sur la protection des minorités, mais sur la protection de la langue française.



Selon la loi Bas-Lauriol — abrogée par la loi Toubon de 1994 —, le français est obligatoire dans l'affichage public et la publicité commerciale, écrite et parlée. Le recours à tout terme étranger ou à toute expression étrangère est prohibé lorsqu'il existe une expression ou un terme approuvés dans les conditions prévues par le Décret (no 72-19) relatif à l'enrichissement de la langue française. Toutefois, le texte français peut se compléter d'une ou de plusieurs traductions en langue étrangère. Voici comment est formulé l'article premier de cette loi maintenant abrogée:

Dans la désignation, l'offre, la présentation, la publicité écrite ou parlée, le mode d'emploi ou d'utilisation, l'étendue et les conditions de garantie d'un bien ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue française est obligatoire. Le recours à tout terme étranger ou à toute expression étrangère est prohibé lorsqu'il existe une expression ou un terme approuvés dans les conditions prévues par le décret no 72-19 du 7 janvier 1972 relatif à l'enrichissement de la langue française. Le texte français peut se compléter d'une ou plusieurs traductions en langue étrangère.



Les dispositions de la loi s'appliquaient à tous les bâtiments publics, à tous les véhicules de transport en commun et à tous les parcs ou lieux publics. Dans les bâtiments et dans les lieux fréquentés par le public, ainsi que dans les véhicules de transports en commun utilisés par des étrangers, il est permis de compléter les inscriptions françaises par une ou plusieurs traductions en langue étrangère. Cette législation visait avant tout à protéger le consommateur contre les abus de l'unilinguisme (anglais) sur les produits de consommation, mais servait également à protéger le français.

Même si aucune disposition de la loi Bas-Lauriol ne porte sur les droits linguistiques des minorités, les parlementaires ont élargi le débat. Par la suite, le gouvernement acceptera ?? sans l'appuyer par une législation ?? de généraliser l'enseignement des langues régionales et d'étendre cette protection au domaine de la radio-télédiffusion.



 

4 Les services audiovisuels

Avant 1982, seule la langue française avait droit de cité sur les ondes, à l'exception de quelques courtes heures en langue régionale. Depuis la loi du 29 juillet 1982 relative à la communication audiovisuelle, ce mode d'expression est devenu libre. L'article 5 de cette loi assigne notamment aux services publics de télévision l'objectif de soutenir l'expression des langues et des cultures régionales.

La régionalisation de la radio-télévision a favorisé le breton, l'occitan, le basque, le catalan, le corse et l'alsacien qui se sont vu accorder quelques heures hebdomadaires à la radio et à la télévision. En général, on concède une ou deux heures par semaine, mais selon les langues régionales ce temps peut être réduit ou étendu. Pour beaucoup de Français, les langues minoritaires ne reçoivent que la partie congrue des heures de diffusion des programmes de radio et de télévision nationale. Mais l'avènement des radios libres et privées a favorisé une floraison de petits émetteurs s'adressant presque exclusivement aux groupes minoritaires.

 

5 La loi Toubon de 1994 (actuellement en vigueur)

La loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française ne traite pas des langues régionales sauf à l’article 21 pour préciser que cette loi ne s’oppose pas à la législation en vigueur au sujet des langues régionales de France:

Les dispositions de la présente loi s'appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s'opposent pas à leur usage.



 

6 La politique du statut différencié dans l'enseignement

Dans tous les rouages de l'appareil de l'État, le français reste l'unique langue véhiculaire: Parlement, administration, justice, enseignement, affichage, etc. Juridiquement, c'est un peu comme s'il n'existait pas de minorités en France. Néanmoins, certains droits sont reconnus dans les faits.

Si les premières années qui ont suivi l'adoption de la loi Deixonne se sont révélé décevantes pour les personnes, physiques ou morales, favorables à l'enseignement des langues régionales, les décennies ultérieures ont transformé cet enseignement. La protection juridique n'a pas suivi, mais la pression populaire a légitimé l'enseignement des langues minoritaires. Plusieurs communautés, essentiellement bretonne, corse et basque, ont même multiplié les actes de dissidence, voire les actes violents, afin de revendiquer le statut de minorité.

À l'heure actuelle, l'enseignement en langue régionale n'est pas obligatoire. Il est fondé sur le volontariat aussi bien pour les élèves que pour les professeurs. Néanmoins, le gouvernement n'ose plus contester ce droit à l'enseignement minoritaire. Au fur et à mesure que la pression populaire s'accentuait, le gouvernement français s'est vu dans l'obligation, pratique et non juridique, d'instaurer un système d'enseignement généralisé en langue régionale. À l'école primaire, cet enseignement peut être organisé sous la forme d'un enseignement d'initiation (une à trois heures par semaine) ou d'un enseignement bilingue (par lequel la langue régionale est à la fois langue enseignée et langue d'enseignement). Dans certains collèges un enseignement facultatif de langue et culture régionales d'une heure de la 6e à la 3e peut être proposé. En outre, en prolongement de l'enseignement bilingue dispensé à l'école des sections de langues régionales sont mises en place. Ces sections offrent un enseignement de langue et culture régionales de trois heures hebdomadaire (minimum) ainsi qu'un enseignement d'une ou deux disciplines dans la langue régionale.

De fait, l'enseignement s'est étendu à plusieurs langues régionales. Ainsi, sur près de 10 millions d'élèves, environ 110 000 reçoivent un enseignement partiel en basque, en breton, en catalan, en corse, en occitan, en alsacien, en picard, etc. Toutefois, l'accès à cet enseignement reste très inégal selon les communautés. Si 56 % des élèves occitans reçoivent un enseignement partiel dans leur langue maternelle, on n'en compte que 23 % pour les enfants bretons, 8 % pour les Corses, 5 % pour les Catalans, etc. Le nombre d'heures au primaire est passé de une heure par semaine à trois heures; une heure est permise au secondaire. Il est possible de dispenser cet enseignement dans le cadre de l'horaire normal, mais il est difficile de trouver des professeurs.

Présentement, les langues bénéficiant d'une certaine extension du droit d'enseignement sont les suivantes: l'occitan, le catalan, l'alsacien, l'allemand, le breton, le corse, le basque. Mais ce sont les écoles privées (subventionnées par l'État), notamment en breton et en basque, qui réussissent à donner un enseignement assez complet en langue régionale. Ce statut d’écoles privées a été défini par le ministère de l'Éducation nationale en 1994. Il correspond au contrat d'association, comme pour les écoles confessionnelles. Ces écoles associatives s'appellent Diwan en breton, Ikastola en basque, Calandreta en occitan, Bressola en catalan, ABCM Zweisprâchigkeit en alsacien. Cela dit, les écoles dites associatives connaissent souvent de lourdes difficultés, notamment financières, en matière d'investissement et de fonctionnement. Si elles sont "privées" par leur statut, elles demeurent associées à l'État français par leur contrat, et elles sont considérées comme "spécifiques" par les méthodes pédagogiques employées et "militantes" dans la mesure où les parents et les enseignants s'engagent beaucoup dans toute la vie de leur école.

Le régime pédagogique ne consacre aucunement un bilinguisme scolaire, à l'instar des États-Unis, par exemple; en 1986, on ne comptait encore que 167 classes bilingues pour toute la France. Si le statut réel de l'enseignement des langues régionales n'est plus totalement négatif, il demeure encore inférieur à celui des langues étrangères, notamment de l'anglais. Certaines forces hostiles à cet enseignement se manifestent périodiquement; on craint l'éclatement de la nation. Il est vrai que les langues patrimoniales peuvent maintenant être enseignées comme "langues régionales", mais cette possibilité n'est pas beaucoup exploitée par les populations scolaires en cause, si bien que des "langues identitaires" comme l'hébreu ou "lointaines" comme le chinois remportent plus de succès auprès des élèves et parents d'élèves du secondaire que les soi-disant "langues maternelles" des populations concernées. Peu importe l'intérêt que l’on porte sur le maintien de l'usage de ces langues régionales, elles sont partout en recul et le problème du plurilinguisme dans l'État fortement unitaire français concerne davantage le problème des langues d'immigration que celui des langues de substrat.

Pour ce qui est des langues parlées par les immigrants, la France a signé des accords internationaux avec plusieurs pays étrangers (Portugal, Italie, Espagne, Maroc, Yougoslavie, Turquie, Algérie), afin de prévoir des cours de langue étrangère intégrés dans les horaires d'enseignement. On compte présentement un peu moins de 200 classes, ce qui signifie que l'enseignement des langues d'origine demeure marginal. En fait, la politique linguistique de la France à l'égard des minorités nationales et des minorités immigrantes en est une, au mieux, d'indifférence, au pire, de pourrissement.

 

7 Les différents services gouvernementaux

La langue de 15 millions de minoritaires en France reste encore trop souvent une affaire limitée au domaine privé. Le secteur de la JUSTICE est l'un des rares domaines de l'État à tolérer le fait minoritaire. Le basque, le corse, l'alsacien et l'allemand peuvent être utilisés dans les tribunaux, sans interprète, mais ce n'est pas un droit: il faut que le juge connaisse la langue des parties. Il est même possible d'utiliser la langue régionale dans les conseils municipaux à la condition que les procès-verbaux soient rédigés en français.



Dans les SERVICES GOUVERNEMENTAUX, le français est obligatoire pour tous les documents écrits, mais les fonctionnaires peuvent utiliser oralement la langue régionale s'ils la connaissent. Encore une fois, ce n'est pas un droit, mais comment interdire, par exemple, à deux Alsaciens de parler alsacien entre eux? C'est une simple question de bon sens. Du côté des postes françaises, l'État permet aux Bretons, aux Basques, aux Occitans, etc., de rédiger les adresses en langue minoritaire.

En ce qui concerne la SIGNALISATION ROUTIÈRE, l'unilinguisme est de règle, mais une campagne de barbouillage des panneaux de signalisation a, il y a quelques années, tellement fait de bruit que le gouvernement a assoupli sa réglementation à ce sujet; on commence à apposer des inscriptions bilingues sur les panneaux de signalisation des agglomérations bretonnes, alsaciennes, corses ou autres.



Les minorités linguistiques en France manifestent beaucoup d'insatisfaction à l'égard de leurs droits, et ce, dans tous les domaines: législation, justice, administration, enseignement, affaires, médias, culture, affichage, etc. Ce n'est pas pour rien que beaucoup d'observateurs considèrent l'attitude de la France scandaleuse à cet égard. Il ne faut pas se surprendre que la déception des minorités se soit exprimée par la recrudescence de la violence et de mouvements extrémistes: l'Iparretarrak au Pays basque français, l'Armée révolutionnaire bretonne, le Front nationale de libération de la Corse, etc.

Force est de constater que la politique linguistique de la République française n’est pas très généreuse à l'égard de ses minorités. Ce n’est pas un hasard si ce pays n’a pas encore adhéré à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires de 1992. La France est loin du compte sur les mesures (cf. la Partie III de la Charte) à prendre pour favoriser l'emploi des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique: l'enseignement (art. 8), la justice (art. 9), les autorités administratives et les services publics, les médias (art. 11), les activités et équipements culturels (art. 12), la vie économique et sociale (art. 13) et les échanges transfrontaliers (art. 14). Il n'est pas dû au hasard non plus que, dans la plupart des colloques internationaux portant sur l'aménagement linguistique, les Français sont non seulement peu nombreux, mais ils ont peu à dire sur la question des minorités.

Toutefois, cette situation pourrait prendre fin dans les prochaines années. D’une part, l’opinion publique européenne risque de prendre parti contre la France qui hésite toujours à adhérer à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, d’autre part, les associations pour la promotion et la reconnaissance des langues régionales se font de plus en plus entendre, que ce soit à Bayonne (pour le basque), à Rennes (pour le breton) ou à Strasbourg (pour l’alsacien). D’ailleurs, au printemps 1998, le Comité républicain pour les langues de France organisait des manifestations dans tout le pays afin de faire modifier l’article 2 de la Constitution et pour demander la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Le gouvernement français aurait tort de ne pas prendre au sérieux ces manifestations de grogne populaire et de continuer à croire que la place des langues régionales est au musée. Jusqu’ici, l’attitude la France en fut une de démission. Le jour où le Royaume-Uni signera la Charte européenne pour les langues régionales ou minoritaires, la France n’aura plus le choix. D’ailleurs, le 29 mai 1996 à Quimper (en Bretagne) le président de la République (Jacques Chirac), s’est déclaré ouvert à la signature par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée par le Conseil de l'Europe (en juin 1992). À l’automne 1998, le premier ministre (Lionel Jospin) a, lui aussi, annoncé l'intention du gouvernement français de signer cette charte. Plusieurs dirigeants français trouvent même honteux d’entendre ou de lire dans la presse française ces propos de Jordi Pujol, président du gouvernement de la Catalogne en Espagne:

Il faut trouver un équilibre entre la défense de notre identité et notre ouverture vers l'extérieur. Nous avons d'abord besoin de protéger notre culture. Idéalement, nos enfants devraient savoir parler le catalan, l'espagnol, l'anglais et le français. Il ne s'agit donc pas d'une attitude d'isolement et mes nombreux voyages à l'étranger le prouvent. Mais nous ne voudrons jamais, jamais, que notre culture et notre langue catalane connaissent le même sort qu'en France.

Pour le moment, il est encore impossible pour la France de signer la charte du Conseil de l’Europe en vertu de la Constitution de 1958. En effet, lors d’un avis en date du 24 septembre 1996, le Conseil d'État a déjà confirmé l’incompatibilité de la protection des langues régionales avec l’article 2 de la Constitution qui déclare que "la langue de la République est le français". Néanmoins, le Conseil d’État reconnaît que 35 paragraphes de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires sont conformes au droit constitutionnel français. Il laisse entendre aussi que la ratification de la Charte par la France serait sans portée réelle au plan de l'enseignement, de la culture et des médias, puisque les dispositions de ce traité correspondent à "un statut déjà largement assuré par le droit interne".



Il n’en demeure pas moins que la Constitution a été votée en 1958, c’est-à-dire en pleine décolonisation de la guerre d'Algérie. Pour beaucoup de Français, cette Constitution n'est plus adaptée aux nouvelles réalités. Aujourd'hui, c'est l'Union européenne, c'est Internet, c'est la mondialisation mais aussi la régionalisation. Certains députés ne s’en cachent plus: il faut modifier la Constitution de 1958 pour qu’elle donne toute sa place aux Régions, avec les transferts de compétences indispensables et les moyens adéquats les concernant, en particulier en matière d'enseignement, de culture, de médias.

Au plan international, la France aimons bien défendre le multilinguisme afin que l'anglo-américain ne devienne pas le maître linguistique de la planète. Or, le crédit de la France paraîtrait plus fort et surtout beaucoup plus cohérent si elle s’engageait dans une réelle reconnaissance de la diversité culturelle et linguistique sur son propre territoire.

 

 

 

La révision de la Constitution a des partisans à droite et à gauche.

Les langues régionales deviennent un enjeu politique

 

Le refus de l'Elysée de ratifier la Charte européenne des langues minoritaires suscite un débat passionné.

Par ÉRIC AESCHIMANN

Libération, le lundi 5 juillet 1999

"Le Premier ministre a fait ce qu'il a pu. Pour nous, l'épisode est clos." Une source à Matignon

La guerre des langues régionales aura-t-elle lieu, cet automne, à l'Assemblée nationale? Dix jours après la décision de Jacques Chirac de ne pas réviser la Constitution pour ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, on commence à entendre le cliquetis des sabres que l'on affûte. De tous bords, les députés favorables à la charte s'interrogent sur le moyen de contourner le niet élyséen. Et le dossier suscite beaucoup de passions, comme l'atteste l'important courrier reçu par Libération. Que le président du groupe PS, Jean-Marc Ayrault, ait annoncé qu'il déposerait en septembre une proposition de loi constitue un indice. Les langues régionales sont devenues un enjeu politique. Le 23 juin, Lionel Jospin pensait s'être débarrassé du dossier. Le Conseil constitutionnel venait de censurer la Charte européenne. Le Premier ministre proposait d'ajouter dans la Constitution un article 53.3 autorisant la France à ratifier ladite charte. Et il mettait Chirac au pied du mur. Soit le chef de l'Etat acceptait et les deux hommes feraient front commun pour contrer les souverainistes de tous bords. Soit il refusait, assumant le risque de se mettre à dos les régionalistes. La deuxième option s'est réalisée et, depuis, Matignon répète à l'envi: "Le Premier ministre a fait ce qu'il a pu. Pour nous, l'épisode est clos." Voire. Car l'activisme de la droite met la gauche en porte-à-faux. Le député UDF Jean-Jacques Weber a annoncé une initiative. Le sénateur centriste Jean Arthuis réclame une mission d'information. Démocratie libérale a déposé une proposition de loi reprenant en gros le texte de Jospin. Le conseil régional d'Alsace et le conseil général des Pyrénées-Atlantiques, présidé par François Bayrou, ont voté des motions en faveur de la charte. 25 députés, emmené par l'UDF Henri Plagnol, approuvent au contraire l'arbitrage du Conseil constitutionnel . Bref, l'opposition mène le débat. Pour les élus de la majorité militants des langues régionales tel le PS Jean-Yves Le Drian, c'est rageant. Mardi dernier à Matignon, lors du petit-déjeuner hebdomadaire des dirigeants du PS, Jean-Marc Ayrault a tenté de convaincre Jospin de bouger. Ce dernier, qui a eu à traiter le dossier quand il était à l'Education nationale, est réticent. Il a mis en place le Capes de corse, a approuvé l'idée de "peuple corse" inscrit dans le projet Joxe en 1991 et n'ignore pas qu'un peu de girondinisme peut contribuer à moderniser son image. Mais, pour l'heure, il ne voit pas le gain politique d'une bataille frontale avec le chef de l'Etat. Aussi a-t-il simplement autorisé Ayrault à élaborer sa proposition, avec l'appui d'un petit groupe de députés. Tout en réservant sa réponse sur le fond, probablement pour la rentrée. D'ici là, la pression pourrait monter. Mardi, en réunion de groupe PS, la discussion a été chaude entre pro et anti-charte. Pour éviter la révision constitutionnelle, qui nécessite l'accord du chef de l'Etat, une solution serait, en renonçant à la charte, d'en reprendre certaines de dispositions dans une grande loi sur les langues régionales. C'est ce que le ministère de la Culture suggère depuis longtemps. C'est également le schéma que Jacques Chirac a récemment recommandé à certains responsables de l'opposition. Mais, à Matignon, on craint de voir éclater un débat "symbolique et suranné" sur un sujet qui, juge-t-on, n'en vaut pas la peine. Comme toujours, Lionel Jospin arbitrera en fonction du rapport de forces. Les régionalistes vont devoir prouver qu'ils pèsent politiquement.

 

 

Un engagement prudent

 

Seuls 39 des 94 articles de la Charte européenne ont été retenus.

Par BÉATRICE VALLAEYS

Le lundi 5 juillet 1999

La charte "ne vise pas à la reconnaissance et à la protection de minorités, mais à promouvoir le patrimoine linguistique européen". Le gouvernement? ?

En paraphant, le 7 mai, la charte européenne pour les langues régionales et minoritaires, la France est devenue le 18e pays signataire (huit d'entre eux l'ont déjà ratifié) de ce traité international adopté en 1992 par le Conseil de l'Europe. L'engagement du gouvernement de Lionel Jospin, autorisé alors par le président Chirac, était accompagné d'une foule de précautions et de mises en garde: primo, la charte "ne vise pas à la reconnaissance et à la protection de minorités, mais à promouvoir le patrimoine linguistique européen; quant à l'emploi du terme de "groupes" de locuteurs, il ne confère pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires". Secundo cohérent, la charte ne met pas en cause le principe fondamental de "la France comme une république indivisible, laïque, démocratique et sociale". Tertio logique: le français demeure la langue officielle. Enfin, et ce n'est pas la moindre prudence: "Rien dans la présente charte ne pourra être interprété comme impliquant le droit d'engager une quelconque activité ou d'accomplir une quelconque action contrevenant aux buts de la charte des Nations unies ou à d'autres obligations de droit international, y compris le principe de la souveraineté et de l'intégrité territoriale des États."


Ces préambules étant posés, le gouvernement a retenu 39 articles sur les 94 (plus ou moins contraignants) qui composent la charte. Voici les engagements pris par la France.



Enseignement (art. 8). Prévoir que soient assurés, dans les langues régionales ou minoritaires concernées, une éducation préscolaire, l'enseignement primaire, secondaire, technique et professionnel, aux élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant. Prévoir aussi un enseignement universitaire et d'autres formes d'enseignement supérieur. Prendre des dispositions pour assurer l'enseignement de l'histoire et de la culture dont la langue régionale ou minoritaire est l'expression. Créer un ou plusieurs organe(s) de contrôle chargé(s) de suivre les mesures prises et les progrès réalisés dans l'établissement ou le développement de l'enseignement des langues régionales ou minoritaires et d'établir sur ces points des rapports périodiques qui seront rendus publics. Dans certains cas, ces enseignements devront faire partie intégrante du curriculum. Néanmoins, dans une déclaration formulée au moment de la signature, le gouvernement précise qu'il entend préserver "le caractère facultatif" de l'enseignement et de l'étude de ces langues.



Justice (art. 9). Rendre accessibles, dans les langues régionales ou minoritaires, les textes législatifs nationaux les plus importants et ceux qui concernent particulièrement les utilisateurs de ces langues. Cependant, seule la version officielle en langue française fera foi. De même qu'aucune procédure pénale, civile ou administrative ne pourra être menée dans une langue régionale, les actes liés à ces procédures devant être rédigés en français.



Autorités administratives et service publics (art. 10). Autoriser et/ou encourager la publication par les collectivités locales de textes officiels dont elles sont à l'origine dans des langues régionales. Mais la France ne permet pas aux autorités administratives d'accueillir le public dans ces langues. Les locuteurs des langues régionales ne sont pas non plus autorisés à s'adresser aux autorités administratives dans leur langue, ni par écrit ni oralement.



Médias (art. 11). Prendre les dispositions appropriées pour que les diffuseurs programment des émissions dans les langues régionales ou minoritaires; encourager et/ou faciliter la diffusion de programmes de radio et de télévision et la publication d'articles de presse dans les langues régionales ou minoritaires, de façon régulière; étendre les mesures existantes d'assistance financière aux productions audiovisuelles en langues régionales ou minoritaires; soutenir la formation de journalistes et autres personnels pour les médias employant les langues régionales ou minoritaires; garantir la liberté de réception directe des émissions de radio et de télévision des pays voisins dans une langue pratiquée sous une forme identique ou proche d'une langue régionale ou minoritaire. La France n'entend pas en revanche encourager la création de chaînes de télé ou de radio en langues régionales.



Activités et équipements culturels (art. 12). Encourager l'expression et les initiatives propres aux langues régionales ou minoritaires et favoriser les différents moyens d'accès aux œuvres produites dans ces langues; favoriser les différents moyens d'accès dans d'autres langues aux œuvres produites dans les langues régionales ou minoritaires en aidant et développant les activités de traduction, doublage, postsynchronisation et sous-titrage; favoriser l'accès dans des langues régionales ou minoritaires à des œuvres produites dans d'autres langues en aidant et développant les activités de traduction; favoriser la mise à la disposition des organismes chargés d'entreprendre ou de soutenir des activités culturelles, d'un personnel maîtrisant la langue régionale.



Vie économique et sociale (art. 13). Interdire l'insertion dans les règlements internes des entreprises et les actes privés de clauses excluant ou limitant l'usage des langues régionales ou minoritaires, tout au moins entre les locuteurs de la même langue; s'opposer aux pratiques tendant à décourager l'usage des langues régionales ou minoritaires dans le cadre des activités économiques ou sociales; réaliser dans le secteur public des actions encourageant l'emploi des langues régionales; rendre accessibles dans les langues régionales les informations fournies par les autorités compétentes concernant les droits des consommateurs.



Échanges transfrontaliers (art. 14). Appliquer les accords bilatéraux et multilatéraux existants pour favoriser les contacts entre les locuteurs de la même langue, dans les domaines de la culture, de l'enseignement, de l'information, de la formation professionnelle et de l'éducation permanente.


 

 


EDITORIAL

Crispation

Par GERARD DUPUY

Le lundi 5 juillet 1999

Disons-le d'entrée: l'idée de consacrer une séquence "Evénement" de Libération aux langues régionales nous a été soufflée par l'ampleur exceptionnelle des réactions que nous avons reçues après le double coup de force du Conseil constitutionnel, puis de Chirac, contre leur reconnaissance officielle. Ce qui domine dans ces réactions, c'est moins la révolte ou le dépit qu'un sentiment d'incompréhension - et une blessure qui perdure.


La police nationale du langage a été depuis des siècles une des activités les plus rudimentaires des Etats, le patois du roi (ou de ses substituts prétendus "républicains") prenant force de loi à force de forces de l'ordre. Hors l'anglais de la reine et le français de Chartres, point de salut! L'Europe et ses centaines de parlers sont passés à travers cette Moulinette. Un peu de bon sens a pourtant fini par aboutir à un cessez-le-feu. Sauf en France, où on aime toujours tirer une dernière cartouche contre le dernier volatile qui a le toupet de battre des ailes.



Les jacobins à gauche, les monarchistes à droite et les napoléoniens un peu partout sont unanimes entre eux: le petit peuple doit marcher droit et rester poli avec ses maîtres, qui savent ce que parler veut (et doit) dire. Leur crispation commune sur un autoritarisme monoma-niaque et centripète les porte à un fascisme linguistique (au sens bêtement mussolinien du mot). La langue française, qu'ils pratiquent pourtant avec une maladresse risible, est pour eux l'équivalent d'un revolver; celui, fameux, qu'on voit jaillir quand on s'essaye à parler de culture.



La survie des derniers restes des dialectes qui ont historiquement occupé l'aire géographique de la France ne menace rien ni personne. La paranoïa gaullo-chevènemento-lepéniste est dérisoire sur ce sujet comme sur tous les autres où ces opinions convergent (et ils ne manquent pas). Leur brutalité sadique à l'égard des parlers locaux n'est que le revers misérable mais logique de leur panique infantile devant les langues étrangères.



Une bande de vieux ringards aux mœurs d'adjudants de caserne s'arroge le droit de prendre en otages le reste de leurs compatriotes. Cela se passe à six mois du troisième millénaire, Jospin, de Cintegabelle, étant consul...

 

 

 


La France s'exprime en 75 langues

 

Un linguiste a dressé l'inventaire des parlers du pays.

Par BÉATRICE VALLAEYS

Le lundi 5 juillet 1999

"Pour les principes républicains français, la langue appartient au patrimoine national; le corse n'est pas propriété de la région de Corse, mais de la nation." Bernard Cerquiglini? ?

Qu'est-ce qu'une langue minoritaire ou régionale? Selon la Charte européenne, ce sont "les langues pratiquées traditionnellement sur un territoire d'un Etat par des ressortissants de cet Etat qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l'Etat". Par "territoire", la charte entend "l'aire géographique dans laquelle cette langue est le mode d'expression d'un certain nombre de personnes justifiant l'adoption de différentes mesures de protection". La charte reconnaît aussi l'existence de "langues dépourvues de territoires" et les définit comme celles "pratiquées par des ressortissants de l'Etat, mais qui, bien que traditionnellement pratiquées sur le territoire de l'Etat, ne peuvent être rattachées à une aire géographique particulière". Partant de cette définition, le professeur Bernard Cerquiglini, directeur de l'Institut national de la langue française (CNRS), avait été chargé par Matignon de dresser l'inventaire de ces "langues de la France" susceptibles de bénéficier de la protection de la Charte européenne. Dans son rapport remis en avril, le linguiste recense 75 langues parlées sur le territoire français (métropole, départements et territoires d'outre-mer). Au terme de "langues sans territoires", le Pr Cerquiglini préfère celui de langues "historiques". En clair, les langues de l'immigration récente: "De nombreux citoyens des départements français d'Afrique du Nord parlaient l'arabe ou le berbère, explique-t-il. Certains, pour des raisons sociales, économiques ou politiques (en particulier les harkis), se sont installés en France métropolitaine, sans cesser d'être des ressortissants français; ils vivent encore, et parlent leurs langues, ou bien leurs descendants ont conservé une pratique bilingue. Cette situation semble correspondre exactement à celle des langues régionales ou minoritaires visées par la charte." Et d'insister sur l'un des objectifs de la fameuse charte: "Le berbère n'est protégé par aucun pays, il est même menacé." Ces ressortissants français ne doivent pas être confondus avec d'autres, issus d'une immigration plus lointaine: Italiens, Portugais, Polonais, Chinois, dont la langue obéit encore à la transmission familiale, mais qui, selon Bernard Cerquiglini, "ne sont pas à retenir ici. Outre que rien ne les menace, elles sont enseignées comme langues vivantes étrangères dans le secondaire et le supérieur". La réalité du créole. Restent les langues "territoriales", qui impliquent l'idée d'"enracinement historique". Une notion que le chercheur désapprouve: "Ce désir d'une assise géographique des langues régionales s'oppose, estime-t-il, aux principes républicains français, qui tiennent que la langue, élément culturel, appartient au patrimoine national; le corse n'est pas propriété de la région de Corse, mais de la nation." Quant à la justification scientifique, poursuit-il, elle est "d'ordre statistique, et de peu d'intérêt: elle revient à distinguer la zone qui, à l'heure actuelle, connaît le plus de locuteurs d'un parler donné. En d'autres termes, le vrai territoire d'une langue est le cerveau de ceux qui la parlent". Ce principe, conclut-il, est en contradiction avec "la réalité sociolinguistique, qui rappelle que la mobilité sociale contemporaine est telle que l'on parle les différentes langues "régionales" un peu partout. Le créole est une réalité linguistique bien vivante de la région parisienne". Transmission maternelle. Quelles langues régionales auront donc la chance d'être choisies pour profiter de la charte? Le Pr Cerquiglini se garde d'en donner la liste, laissant ce soin aux politiques. Pour lui cependant, la question de la transmission maternelle constitue un critère fondamental: "Entre les créoles, langues régionales sans doute les plus vivantes, essentiellement parlées, pratiquées maternellement par plus d'un million de locuteurs, et le bourguignon-morvandiau, langue essentiellement écrite et que n'utilisent plus que quelques personnes et sans transmission maternelle au nourrisson, les divers cas de figure prennent place." Il insiste aussi sur "la présence ou l'absence d'une forme écrite (norme linguistique, orthographe, littérature, etc.) pour chaque idiome considéré". Bernard Cerquiglini regrette, pour finir, "combien faible est notre connaissance de nombreuses langues que parlent des citoyens français". Avec cette remarque, malicieuse: "La dernière grande enquête sur le patrimoine linguistique de la République, menée il est vrai dans un esprit assez différent, est celle de l'abbé Grégoire (1790-1792)" .

 

 

L'ennemi des langues, c'est la langue

 

 

Par Henri Meschonnic

Professeur émérite de linguistique à l'université Paris-VIII

Mis à jour le vendredi 2 juillet 1999

La Charte des langues européennes, sa signature suivie de son rejet, ont été l'occasion d'un beau psychodrame qui montre à quel point à la fois tout ce qui touche à la langue remue d'investissements passionnels et d'absence de pensée, à force de confusions généreusement distribuées chez presque tous les adversaires.



Pas un faux débat, mais un entassement de faux débats. Une division non seulement pour rien, mais parce qu'on ne sait même pas de quoi on parle. On a volé au secours de la nation, pour défendre le français " ciment unificateur " contre le spectre du communautarisme. On a réentendu parler des " patois " et de la " langue unique ". On allait " balkaniser la France ". Mais ce n'était qu'en apparence la clarté contre la confusion : la confusion était des deux côtés.

Ce serait si simple, l' " esprit jacobin centralisateur et réducteur " contre la diversité et la liberté. La nation contre les régionalismes. Le sécuritaire s'est fixé sur la langue-nation. Deux fantômes l'un contre l'autre. Une égale ignorance. L'idéologie médiologisée l'a emporté sur l'intelligence. Clochemerle, une fois de plus.



On a fait un faux procès à la reconnaissance des langues régionales ou minoritaires. Les articles de la Charte retenus n'enlevaient aucune prérogative au français langue officielle. En faisant comme si c'était le cas, on s'est replié sur une notion archaïque d'unité. Ce qui montre aussi la nationalisation du mot " peuple " : le rejet du terme de " peuple corse ". Au lieu qu'en réalité l'unité est un multiple interne. Ce qui ne gêne ni en Italie, ni en Espagne, ni aux Etats-Unis. Mais en France, si. On a voulu croire que la pluralité est une atteinte à l'unité, alors que l'unité n'est faite que de pluralité.

Que l'identité soit multiple n'est pas seulement affaire de nombre de locuteurs : sept millions pour l'occitan, un million pour l'alsacien, huit cent mille en breton, deux cent soixante mille au catalan, cent mille au basque (qui a un statut en Espagne qu'il n'a pas en France) et quatre-vingt-cinq mille pour le corse. C'est une affaire non seulement de patrimoine mais de créativité. Et il y avait, de toute façon, des textes de loi, au moins sur le papier, des mini-chartes, en somme, de 1951, 1974, 1981, 1992.



Mais le problème majeur, autant de la part des défenseurs de la Charte que de ceux pour qui " la langue de la République est le français ", me semble une conception étroitement ethnique et communicationnelle de la langue. C'est cette conception inepte de la langue qui fait prendre à un ministre de l'éducation nationale la décision de couper l'enseignement des langues de l'étude de leur littérature. Comme si la langue n'était que de la langue. Ce qui tue les langues.



Car ni l'article 1 er ni l'article 2 de la Constitution n'étaient en cause. Pour le premier, une langue égale un peuple ; pour le deuxième (de 1992), il s'agit, avec " la langue de la République ", de la limite entre la " vie privée " et la " vie publique ". Or il n'y a pas seulement ici un " intégrisme jacobin " contre des régionalismes, il y a d'abord à savoir ce qu'est une langue. Et l'opposition entre le privé et le public n'est pas claire, parce qu'elle est à la fois légitime et insuffisante.



Légitime, pour tout ce qui touche aux actes officiels - et ici, l'acte fondateur n'est pas l'article 2 de la Constitution, mais l'ordonnance de François Ier à Villers-Cotterêts en 1539. Longue histoire. De France.



Mais l'’opposition est insuffisante, parce qu'elle met indifféremment la culture, et surtout la littérature, dans la " vie privée ". Or la littérature déborde infiniment le privé. Elle implique de repenser le langage et les langues. Ici, plus question de langue officielle. Et les rapports aux autres langues sortent de telles limites de pensée - comme, par exemple, le substrat arabe chez les écrivains maghrébins de langue française.



La démagogie est alors aussi pernicieuse que la " vision intégriste ". Un ancien ministre de l'éducation nationale (encore !) déclarait que " les langues de nos régions, le basque, le breton, le béarnais, l'occitan, le corse, le gascon, l'alsacien, le créole ont le droit à l'existence. C'est le même combat que la défense du français contre l'anglais " (François Bayrou, Le Monde du 19 juin). Et il souhaitait une " modification de la Constitution ". Position à pièges multiples : une " défense " passéiste, académique ; une politique culturelle du français à l'étranger disséminant ses moyens au lieu de les concentrer, une mauvaise attitude envers l'enseignement en France des langues dites mineures, et surtout l'incompréhension du lien vital entre langue et littérature dans l'enseignement des langues. Plus une défense pour rien car ce " droit " n'était pas en cause.



De sorte que l'ennemi du français n'est nullement l'anglais, mais l'inculture, à tous les niveaux, du langage et des langues, y compris le français. D'où ne reste qu'une attitude politicienne, qui ne peut donc plus faire que de la mauvaise politique.



On ne sauve pas non plus les langues comme on sauve des espèces animales ou végétales. Comparaison boiteuse avec l'écologie. Justement parce qu'il y a en elles des spécificités qui imposent de ne plus confondre l'universel et l'universalisation (du modèle occidental) : les " soixante-quinze " langues retenues ne peuvent pas être le " patrimoine culturel de la France , et donc de l'Europe " (Catherine Trautmann, Libération. 14 mai) - l'Europe, en Polynésie ? - car c'est justement alors confondre l'universel, toujours spécifique, et l'universalisation (naïvement néocolonialiste).



Le cas du breton montre, à sa manière, combien il est insuffisant de le " défendre " comme " patrimoine ", et même contre sa réduction territoriale. Et combien une langue est aussi autre chose qu'une langue. Car il entre dans sa revendication un travail de deuil non fait, non reconnu, justement au nom de la République une et indivisible : le non-oubli de la guerre de Vendée (on l'a bien vu lors du bicentenaire de la Révolution) et le ressentiment du drame spécifique de 1914-1918, d'une surmortalité par ignorance de la langue nationale. Travail de deuil qui ne pourrait se faire que si, comme pour ce qui a été fait à l'égard de Vichy et les juifs, la République reconnaissait son injustice.



Des écrivains, une fois de plus, ont volé au secours du " chef-d'oeuvre en péril " que serait la langue française : rien ne réussit mieux que le blocage de la pensée pour faire bloc. Rivarol avec nous. Jean-Marie Rouart ( Le  Figaro, 24 juin) : " Cette langue incomparable, dont Rivarol, dans son Discours sur l'universalité de la langue française , a montré le génie, est en elle-même un chef-d'oeuvre en péril et une lumière par sa subtilité, sa clarté, sa beauté, elle a donné naissance à des oeuvres universelles. Au moment où cette langue est abâtardie par des expressions anglo-saxonnes, c'était prendre le risque de la miner de l'intérieur que de la mettre en concurrence avec des dialectes et des parlers régionaux. "



Mais c'est cet amas de clichés-sottises, cette absence indécente de génie qui ruine l'objet de son culte. Car ce n'est pas la langue, avec ses qualités prétendues (et qu'elle serait seule à avoir), qui a " donné naissance " aux oeuvres. C'est l'inverse : ce sont les oeuvres qui ont fait de la langue, de toute langue, ce qu'elle est. Et c'est à la langue qu'on attribue les qualités des oeuvres. Qualités qui se trouvent, diversement, dans toutes les langues. Et qui, de plus, ne sont pas le fait de la langue, mais du discours. De systèmes de discours.



Quant à un pseudo-abâtardissement par les mots anglais, depuis le XVIIIe siècle, où commencent à entrer des mots anglais (avant, c'était de l'italien, de l'espagnol et d'autres), le français en sort toujours aussi vivace. Toutes ces criailleries pour rien. Aussi peu de sens de l'histoire que de sens du langage. Pourquoi les écrivains sont-ils si ridicules ? Ils devraient savoir, eux, ce qu'est le langage. Eh bien non.



Il faudra bien finir par comprendre qu'on ne peut pas à la fois vouloir la francophonie, la pluralité interne et externe du français, qui est sa vitalité (et les occitanistes universalistes de Toulouse, qui font chaque année la Fête des langues, le montrent bien) , et rester accroché à Rivarol.

Henri Meschonnic  est professeur émérite de linguistique à l'université Paris-VIII.

 

 

 


Langues régionales : un péril communautariste ?

 

par Henri Giordan, vice-président du Groupement pour les droits des minorités (Paris) et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique

Le Monde daté du samedi 3 juillet 1999

Mis à jour le mercredi 7 juillet 1999

Danièle Sallenave (Le Monde du 3 juillet), après Georges Sarre et quelques autres, se précipite au secours de la République prétendument menacée par une gauche qui braderait l' " héritage de la Révolution " en s'engageant, par la signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, à protéger la diversité linguistique de notre pays.



Il est important de remarquer que ce choix politique en faveur des langues régionales n'est pas le fait d'une gauche qui serait irresponsable. Il représente un courant d'opinion, majoritaire dans le pays, qui rassemble l'essentiel du PS, des Verts et du PCF, rejoints par Démocratie libérale et l'UDF. En réalité, ce débat sur la langue, dont l'ampleur est nouvelle en France, révèle une fracture profonde entre une opinion repliée frileusement sur une conception centraliste, figée sur des dogmes mal compris, et une France qui s'ouvre aux conditions actuelles de l'exercice des valeurs de la démocratie et de la liberté.



La crispation hargneuse de certains propos défend fort mal les valeurs républicaines et laïques dont leurs auteurs se réclament. Il n'est pas exact de faire remonter la " persécution " des langues régionales de France au début de la IIIe République et d'en faire la condition d'un progrès " en matière de justice, d'émancipation, de liberté individuelle " (Danièle Sallenave).



La dévalorisation des langues autochtones différentes du français est bien plus ancienne. Son origine n'a rien à voir avec la volonté de protéger les citoyens de la République de je ne sais quel obscurantisme qui aurait été véhiculé par l'occitan ou le breton ! On la trouve, par exemple, dans le projet culturel et politique conçu au XVe siècle par un certain Claude de Seyssel, conseiller influent de Louis XII, qui engageait le roi à suivre, en faveur du français, l'exemple " du peuple et des princes romains " qui, lorsqu'ils dominaient le monde, " n'ont trouvé de moyen plus sûr de rendre leur domination éternelle que de magnifier, enrichir et sublimer leur langue latine... et de la communiquer aux pays et provinces et peuples par eux conquis "... Ce choix politique concernant le rôle de la langue dans la consolidation du pouvoir royal n'a rien à voir avec l'émancipation des sujets du roi !



La révision constitutionnelle de 1992, qui déclare que " la langue de la République est le français ", s'inscrit dans cette logique d'hégémonie politique. La France est ainsi devenue le seul pays de l'Union européenne dont la constitution consacre la position privilégiée d'une seule langue officielle sans se référer au statut des autres langues historiquement implantées sur son territoire. Tous les pays qui abordent le problème linguistique dans leur Constitution font référence à l'ensemble des langues parlées chez eux.



Plus gravement, par cet acte, le législateur a placé une marque d'identité culturelle sur un pied d'égalité avec les principes majeurs de la République : le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple et la devise " Liberté, Egalité, Fraternité ". La dérive était dès lors prévisible : la France n'est plus pensée comme le résultat d'une volonté de vivre ensemble, mais comme le partage, au sein d'une communauté nationale, de marques d'identité. Sous prétexte de sauvegarder l'identité de la France, on remet ainsi en cause les caractéristiques universalistes du modèle républicain français. Nous sommes loin de la " communauté de citoyens " justement souhaitée par Dominique Schnapper. Une telle définition de la communauté nationale nous fait courir le risque d'une dérive " ethniciste ", aux antipodes de la tradition républicaine.



Le danger communautariste n'est pas là où on le redoute, dans une fragmentation de la société française. Il se situe désormais dans la conception de la France qui prévaut chez les souverainistes et se donne libre court aujourd'hui au RPF ! Ce n'est pas la France qui se trouve menacée de communautarisme. C'est la France qui, par son repli nationaliste, projette une fragmentation communautariste de l'Europe. La réalité est tout autre. Les droits à la langue et à la culture sont des droits individuels parfaitement intégrés dans le système des droits de l'homme. Ils ne projettent aucune segmentation de la société. C'est l'individu qui est sujet du droit et non un fragment de la population.



Il faut en finir avec une double hypocrisie. Celle qui consiste à souligner que les langues régionales sont librement parlées et enseignées, que personne n'a interdit Alan Stivell ou I Muvrini : cette tolérance n'a rien à voir avec une politique publique de protection, et les budgets de l'Etat consacrés aux langues régionales sont infimes. L'hypocrisie qui consiste à renvoyer, avec un mépris évident pour ces pratiques stigmatisées comme nostalgiques, l'exercice de ce droit à la sphère du privé : le droit de parler patois " à sa femme et à ses animaux ", les enfants étant à l'abri afin qu'ils réussissent à l'école.

Pour éviter que les valeurs de l'appartenance - nationale, communautaire ou minoritaire - ne priment sur les valeurs universelles des droits de l'homme, il est indispensable de fonder une politique de gestion du caractère multiculturel et multilinguistique de notre pays sur les principes du droit. Les droits de l'homme sont essentiellement créateurs et gardiens de ce que Hannah Arendt nomme " un espace vital pour la liberté ". La fonction du droit, dans cette perspective, est de garantir la possibilité de l'expression de valeurs identitaires dans l'espace privé, mais aussi dans l'espace public. Les droits des " minorités ", comme le droit au travail et celui de former des syndicats, le droit de grève, sont des droits dont la réalisation requiert une action, donc une liberté, collective. Ils requièrent la création d'institutions publiques. La plus haute tradition de la laïcité se trouve dans cette direction.

Henri Giordan est vice-président du Groupement pour les droits des minorités (Paris) et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique.

 

 

 

Chirac prend langue avec la charte

À Bordeaux, le Président a lancé l'idée d'une loi-programme.

Par GILLES BRESSON

Libération, le mardi 6 juillet 1999

"Quand on aura réformé la Constitution, il ne se passera plus rien pendant vingt ans. Si vous voulez des professeurs, voire appliquer les 39 mesures de la charte, faites une loi-programme."

Jacques Chirac ? ?

Bordeaux envoyé spécial

Chassé-croisé des départs en précampagne présidentielle, hier. Lionel Jospin est plutôt vin. Il était à Lille (lire page suivante). Très bière-bière-bière, Jacques Chirac, lui, était à Bordeaux. Pour se refaire une santé chez Alain Juppé, l'homme qui le rassure, à qui il avait songé après le fiasco de la droite aux européennes pour reprendre en main le RPR. Las, la Cour de cassation a laissé, la semaine dernière, l'ancien Premier ministre dans les rets de la justice. Qu'importe si ce "fidèle des fidèles" se retrouve plombé par l'affaire des emplois fictifs du RPR. Sur le champ de ruines de l'opposition, le chef de l'Etat garde toujours les mêmes tropismes. Il lui a dit "cher Alain". Et l'autre a répondu: "Votre présence est pour nous une très grande joie." Bonnes manières. Les deux hommes parlent "la même langue régionale". Et le béarnais en sus avec François Bayrou, président de l'UDF, venu apporter son aval au chef de l'Etat.



Contre-attaque. Cette question agite gauche comme droite depuis que Jacques Chirac a refusé, comme le lui demandait Lionel Jospin, de réviser la Constitution pour permettre la ratification de la charte sur les langues régionales. Accusé de faire le jeu des souverainistes, épinglé en Corse par le ministre de l'Education, Claude Allègre, le chef de l'Etat a jugé préférable de contre-attaquer. Dès son discours d'accueil à la mairie de Bordeaux, il a rappelé d'emblée sa "conviction ancienne et profonde" en faveur des langues régionales, qui font "partie de notre patrimoine culturel national". Puis il a expliqué que "de très nombreuses mesures contenues dans la charte européenne vont utilement dans ce sens, en particulier dans le domaine de l'enseignement, des médias, de la culture". En conclusion, il a proposé une "loi-programme pour le développement des langues régionales". Du coup, il a renvoyé la balle dans le camp du gouvernement et forcé Lionel Jospin à trancher.



Au cours du déjeuner républicain avec tous les élus basques, béarnais, gascons de la région Aquitaine qui a suivi, il a abordé d'emblée le sujet. A François Bayrou qui, à trois reprises au cours du repas, lui avait reproché de n'avoir pas accepté une modification de la Constitution, le président de la République a répondu: "Nul plus que moi n'est un défenseur des langues premières." Et de se lancer, en guise d'illustration, dans une longue digression sur les langues amérindiennes, le takiki en particulier, idiome brésilien parlé en Guyane, avant de remarquer: "Je m'intéresse passionnément à ces questions. Mais je m'intéresse à la réalité des choses, pas aux mythes et à une fausse querelle nationale dont les Français ont le secret. Quand on aura réformé la Constitution, il ne se passera plus rien pendant vingt ans. Si vous voulez des professeurs, voir appliquer les 39 mesures de la charte, faites une loi-programme." A la sortie, François Bayrou s'est félicité de cette "possibilité d'un accord plutôt qu'un affrontement". "Le chef de l'Etat était soucieux de convaincre Bayrou. Il est dans la continuité du respect de la Constitution", remarquait Gilbert Mitterrand, député-maire PS de Libourne. "Il est en précampagne, il est cool", rigolait Michel Suchod, député MDC de Dordogne, proche de Jean-Pierre Chevènement.



"Démocratie locale". Le chef de l'Etat pouvait difficilement éviter ce sujet sensible sans se retrouver en contradiction. A Rennes, en décembre dernier, il s'était fait le chantre de la "démocratie locale". Hier, il a repris pas moins de sept fois cette formule dans son discours à la mairie de Bordeaux. De la "fracture sociale" de la campagne présidentielle de 1995 à la "démocratie locale", avant-goût de sa prochaine campagne élyséenne? C'était, en tout cas, le principal message envoyé aux formations de l'opposition, incapables au niveau national de s'unir, de se rajeunir, de modifier leurs structures. Dans un duo à la Plick et Plock avec Alain Juppé, "Girondin" par la force des choses et faire-valoir pour l'occasion, Jacques Chirac a assené: "La démocratie doit respirer. Elle doit se renouveler, renouveler ses idées, promouvoir des femmes, des hommes nouveaux, s'ouvrir à de nouvelles générations."



Cette leçon était suivie d'une seconde, tirée des européennes avec une UDF ressuscitée, un RPR en capilotade et des souverainistes en pointe derrière Charles Pasqua: "Notre démocratie doit permettre un débat fécond, structuré entre des familles politiques clairement identifiées. Cela suppose que chacune de ces familles soit porteuse d'un projet de société cohérent, rassembleur. Cela mérite que l'on y investisse temps, capacité d'écoute." François Bayrou, qui se voit en "maçon" de la droite et défend l'idée d'"une fédération" de la droite "respectant les identités de chacun", s'est félicité de cette bénédiction du chef de l'Etat. Le Béarnais a constaté: "On est en train de voir se constituer un paysage à partir de familles politiques reconnues, respectées, dont l'option est de rassembler autour d'elles et de se rassembler plutôt que de se séparer." Le matin même, Alain Juppé sur Europe 1 avait jugé "indispensable" que la droite regroupe ses forces dans "une fédération" avec "la famille néogaulliste ouverte sur le monde et l'Europe, la famille libérale et démocrate-chrétienne". Du cousu main pour un dialogue à trois.



Des pics pour Jospin. Cette apologie de la "démocratie locale" permet aussi à Jacques Chirac de critiquer, en filigrane, la politique gouvernementale. Evoquant l'abstentionnisme élevé des dernières européennes et l'ampleur du vote protestataire, il a mis en cause "le décalage" qu'engendre "un Etat qui impose trop systématiquement sa loi à la société civile, qui entend régir dans ses moindres détails le développement de l'activité économique." Et cela au moment où, à Lille, Lionel Jospin et Martine Aubry évoquaient le bien-fondé des 35 heures et des emplois-jeunes, qui, selon lui, "ne peuvent se justifier que pour une action temporaire et répondre à une urgence". Habile!


Après s'être rendu au chevet des enfants hospitalisés au CHU de Bordeaux, où il a signé beaucoup d'autographes et s'est inquiété de l'état de santé de tous, Jacques Chirac devait dîner, hier soir, avec les Girondins de Bordeaux, champions de France de ballon rond. Aujourd'hui, place aux industriels et aux chercheurs, avant un "déjeuner populaire" à Saint-Emilion. Là, il sera difficile au Président de ne pas boire de vin.

mercredi 7 juillet 1999, 16h33

 

 

Langues régionales: le gouvernement veut rester maître du jeu

par Jean-Luc BARDET

PARIS, 7 juil (AFP) - Le gouvernement a rappelé mercredi sa "détermination" à oeuvrer en faveur des langues régionales, en affirmant sa volonté de rester maître du jeu, deux jours après la demande du chef de l'Etat d'une "loi-programme".



Lionel Jospin, qui dès son arrivée au pouvoir en 1997 avait lancé le processus d'adhésion à la Charte européenne des langues régionales, cinq ans après son adoption, n'entend manifestement pas être dépossédé des bénéfices de son engagement.



Il ne veut pas non plus se voir imposer les modalités de mise en oeuvre des mesures auxquelles la France a souscrit lorsqu'elle a signé la Charte le 7 mai. D'autant que plusieurs d'entre elles ne nécessitent pas de lois.



Le chef de l'Etat, qui avait donné son accord à la signature de la Charte, avait ensuite saisi le Conseil constitutionnel. Les Sages ayant jugé le texte contraire à la Constitution, M. Chirac a refusé d'accéder à la demande du Premier ministre d'une révision constitutionnelle permettant sa ratification.



Cette décision avait été vivement critiquée par les défenseurs des langues régionales et les élus des régions concernées, dont beaucoup de l'opposition, au delà du clivage droite-gauche.

"Jamais pris en défaut"

Lundi, en visite à Bordeaux, le président avait renvoyé la balle dans le camp du gouvernement en lui demandant une "loi-programme" pour l'application des mesures auxquelles la France a souscrit. Paris s'est engagé sur 39 des 98 articles de la Charte, qui concernent l'enseignement, la culture et les médias notamment.



Tout en réaffirmant son refus de modifier la Constitution au nom de "l'indivisibilité de la République", Jacques Chirac avait dit son attachement à "l'épanouissement" du patrimoine linguistique français.



La réponse est venue mercredi par la voix du ministre des Relations avec le Parlement Daniel Vaillant. "Toute initiative à caractère législatif est du domaine du gouvernement et du Parlement", a-t-il martelé.



"Certaines mesures concrètes doivent faire l'objet d'une application et le gouvernement y veillera", a-t-il affirmé en refusant de parler de "loi-programme". "Le gouvernement continuera d'avancer sur ce terrain concret pour favoriser les langues régionales", a-t-il dit.



Voulant souligner la différence d'attitude entre le président et le gouvernement, M. Vaillant a affirmé que "sur cette question, la détermination du gouvernement est totale et n'a jamais été prise en défaut". Après le refus du chef de l'Etat de réviser la Constitution, les socialistes avaient dénoncé son "incohérence".



M. Vaillant a enfin rappelé qu'outre le gouvernement, l'initiative des lois appartenait aussi au Parlement. Les socialistes, mais également les députés DL d'Alain Madelin, ont annoncé le dépôt de propositions de loi constitutionnelles, qui reprennent le projet du Premier ministre.