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anthropologie du droit
ethnographie malgache

présentation
3 Éléments d'Ethnographie Réunionnaise
Mots clés : Créolité Ancestralité Citoyenneté Départementalisation Patrimoine
Champs : Anthropologie du développement Anthropologie de l'image Patrimoine
Sociétés créoles Histoire postcoloniale Sociologie des institutions


1- Vingt ans après

2- Barreaux (en construction)
architecture créole

3- "Types de la Réunion" (en construction)
(don à la Société de Géographie du 6 novembre 1885)

4- Ancestralité, communauté, citoyenneté :
les sociétés créoles dans la mondialisation (dossier pédagogique)

5- Madagascar-Réunion :
l'ancestralité (dossier pédagogique)

6- Ethnographie d'une institution postcoloniale...


introduction : éléments d'analyse
présentation thématique
liste chronologique

Demande d'information (restée sans réponse)
au nouveau président de l'université


Le 1er août 2002


Monsieur le Président [N24] et Cher Collègue,


Le succès de votre candidature – la circonstance d’un universitaire pourvu de titres scientifiques (si l'on en juge par le CV que vous avez fait circuler), élu pour représenter les intérêts scientifiques de son université (renouant avec l’époque où le président de l’université, tel [X], était aussi un chercheur reconnu dans sa discipline) – laisse espérer que le mandat qui commence sera plus faste pour le crédit scientifique de l’université de la Réunion et pour la discipline qui est la mienne, l’Ethnologie, que celui qui s’achève.

Comment expliquer (je commence par ma " paroisse ") que le département d’Ethnologie de l’université de la Réunion, dont les Experts de la Commission Nationale d’Évaluation (quoi qu’on puisse dire par ailleurs de cette instance dont on aimerait qu’elle fonctionne comme les commissions d’évaluation des universités américaines et non comme une occupation de retraités) viennent d’écrire qu’il a une " reconnaissance internationale " se soit trouvé amputé, d’un seul coup et sans contrepartie, de deux postes d’enseignants titulaires ?

Il y a à cela des explications conjoncturelles, mais aussi des causes plus profondes qui tiennent à l’histoire propre de notre université et qui font que les plans de carrière et les intérêts personnels peuvent passer avant les intérêts scientifiques et pédagogiques. Je ne suis pas le seul à souhaiter que votre élection mette un terme à ces pratiques de style néo-colonial.

L’objet de cette lettre est :
1°) de vous demander de faire en sorte que le département d’Ethnologie retrouve les deux postes dont il vient d’être amputé.
2°) Il est aussi, et c’est au fond la même chose, de formuler le souhait qu’une évaluation scientifique soit enfin pratiquée chez nous et que les crédits de recherche soient attribués en fonction d’expertises dignes de ce nom.

1°)


- Le premier poste que nous avons perdu sans contrepartie, vous le savez, est celui de [N14], dont j’ai appris par un procès-verbal du Conseil de Faculté du 29 mars 2001 qu’il avait été autorisé par ce Conseil à quitter l’université de la Réunion " avec son poste ", privant ainsi notre filière du tiers de son potentiel enseignant. (Sans que rien, strictement rien, n’ait été programmé pour compenser ce départ – et sans qu’aucun enseignant du département d’Ethnologie n’ait d’ailleurs été avisé au préalable et de ce départ et de ce quitus.)
- Le second poste est celui de [N22] qui a été autorisé, lui, par le Conseil scientifique de l’université, malgré un avis contraire de la Commission de spécialistes, à changer de section et donc, aussi, à partir avec son poste.

S’agissant du poste de [N14], j’ai reçu récemment de Bordeaux II l’information que cette université venait d’allouer un crédit compensant les 192 heures de cours dont nous avons été privés par ce départ (et que, pour partie, j’ai assumé bénévolement : étant titulaire de la Prime d’encadrement doctoral et de recherche, je ne peux effectuer d’heures complémentaires). Mais ceci ne remplace évidemment pas le poste disparu… Le départ de [N14] ne peut donc être compensé que par la création d’un poste en remplacement. Je vous demande donc de bien vouloir enregistrer ma demande de création d’un poste de Maître de conférences en 20° section pour compenser la perte que la Faculté des Lettres vient d’enregistrer.

[N22], lui, souhaitait – légitimement – accéder au rang de Professeur. À la Faculté des Lettres, il n’y a que des généraux (comme dans l’armée mexicaine) et l’on ne voit pas pourquoi il aurait été le seul à partir à la retraite avec le rang de Maître de conférences… Mais quelle nécessité y avait-t-il pour cela se fasse au détriment du département d’Ethnologie ? Le poste qui vient d’être créé pour lui n’étant pas un poste d’Ethnologie, il serait donc logique – et moral – que le poste de Maître de conférences qu’il occupait soit restitué au département d’Ethnologie. – Sauf à lui permettre de réussir une opération d’une particulière adresse puisque, visant un poste, il en aura obtenu deux (j’ai été récemment affranchi sur le prochain titulaire du poste de Maître de conférences, devenu un poste de 15° section, qu’il libère en devenant Professeur…)

Je demande donc que le Conseil d’administration se prononce sur la création d’un poste de Maître de conférences en Ethnologie et sur la restitution du poste de Maître de conférences occupé par Barat au département d’Ethnologie.

Dans l’immédiat, le crédit qui vient d’être alloué par Bordeaux II (celui des 192 heures que [N14] a effectuées là-bas) doit permettre au département d’Ethnologie de recruter un Chargé de cours pour l’année qui commence et d’assurer dans de meilleures conditions la continuité de l’enseignement. Ce qui n’a été possible que par des sacrifices personnels au cours de l’année qui vient de s’achever devrait, grâce à ce crédit, pouvoir se faire de manière plus régulière cette année. (Quand [N14] et [N22] ont quitté le département d’Ethnologie, je venais moi-même d’obtenir un congé sabbatique, par la voie nationale, et j’ai dû, non seulement effectuer des heures qui ne m’ont pas été rétribuées, mais aussi renoncer à des recherches de terrain pour lesquelles j’avais obtenu ce congé sabbatique ; un collègue médecin, le docteur [X], a lui aussi assuré bénévolement une charge d’enseignement d’anthropologie médicale.)

2°)

Bien qu’ils ne soient pas comparables, ces deux cas ont d’évidence quelque chose en commun. Comment justifier – sans épiloguer davantage sur les équations personnelles – quand on sait le déficit en postes des universités, de la nôtre en particulier et la difficulté qu’il y a à obtenir de nouvelles dotations budgétaires, pareil préjudice causé au patrimoine de la Faculté des Lettres, la filière d’Ethnologie étant de surcroît, non seulement une des plus anciennes de la Faculté, mais aussi celle qui – selon une statistique parue dans un récent numéro de l’Observatoire de le Réunion – enregistre le plus grand nombre d’inscrits en DEA et en thèse (après le Droit pour les thèses), bien que nous soyons un département de dimension tout à fait modeste (28 inscrits en Licence et 30 en Maîtrise) et qu’il n’existe pas de formation initiale en Sciences humaines à la Réunion ?

Pour comprendre ce cas de figure, inédit à ma connaissance, il faut quelques mots sur l’histoire l’université de la Réunion. La situation dont vous héritez est le produit d’un passé dont il serait bien impossible de faire table rase et qu’il importe de connaître puisqu’il faut composer avec lui. C’est pourquoi je me permets de proposer quelques clés pour contribuer à cet état des lieux. Ces considérations résultent, en réalité, de l’expérience que j’ai moi-même pu acquérir de la fréquentation, à laquelle je n’étais pas préparé, d’une université… sans tradition universitaire.

Dans un premier temps, le Centre universitaire, puis l’Université de la Réunion ont été administrés par des enseignants-chercheurs venus de métropole (de l’université d’Aix, le plus souvent) qui, après ce séjour dans l’île, ont rejoint, pour la plupart, leurs universités respectives. L’université se développant rapidement et les postes mis au concours restant souvent sans candidat, le recrutement s’est alors fait sur place et fréquemment – c’est une donnée essentielle – en dépit des règles qui président au recrutement des enseignants-chercheurs. Cette circonstance a ainsi permis l’intégration à l’université de métropolitains ayant déjà fait le voyage, enseignants du primaire ou du secondaire qui ne seraient jamais devenus universitaires s’ils n’avaient eu l’heureuse idée de poser leur sac à la Réunion, ainsi que de rescapés de la Coopération africaine qui auraient été réintégrés dans le secondaire s’ils étaient rentrés en métropole.

Ce sont ceux-là qui, dans un deuxième temps, vont venir " aux affaires ". Lorsqu’on regarde les titres scientifiques des Présidents et des Doyens successifs, on constate, de fait, une chute régulière des qualifications par rapport à la première période. L’université se développe alors très largement en fonction des plans de carrière des métropolitains recrutés dans les conditions que je viens de dire. On recrute au plus proche – et surtout pas des enseignants-chercheurs qui pourraient vous faire de l’ombre et vendre la mèche de votre bonne fortune.

Dans un troisième temps, il apparaît, notamment avec la loi de Décentralisation, que l’université ne pourra rester une enclave métropolitaine dans un univers de responsabilité créole. Il faut partager. Les métropolitains fixés à la Réunion ne peuvent donc aujourd’hui prospérer qu’en se conciliant les intérêts locaux.

La création et le développement du département de Sciences de l’éducation sont emblématiques de cette troisième époque. Cette création répond évidemment à un besoin réel, lié aux circonstances historiques et linguistiques propres à la Réunion, mais il a donné lieu – mauvaise conscience des uns souhaitant sincèrement servir la cause créole et suffisamment exonérés par cette création, démagogie des autres voyant là un moyen de se maintenir ou de parvenir – à une évidente dérive. Les premiers étant aujourd’hui à la retraite, ce sont les seconds qui décident. Toujours est-il que le " ticket " des fonctions représentatives dans cette troisième époque de notre jeune université est donc devenu ce tandem " créole-métro " qui caractérisait la configuration de la liste " Faculté des Lettres " pour les dernières élections.

Dans ce plan pour faire en monter en puissance la visibilité créole – qui répond, je le répète, à une légitime aspiration –, le département de Sciences de l’éducation était idéal, puisqu’il permettait à la fois de recruter des enseignants locaux, plus aptes a priori à résoudre les problèmes éducatifs liées à la langue, et des étudiants locaux en quantité politiquement significative puisque la Licence de Sciences de l’Éducation permet d’inscrire sans DEUG et sans formation initiale, l’expérience professionnelle (l’expression n’est pas limitative) en tenant lieu. Plusieurs centaines d’étudiants sont ainsi venus s’inscrire, chaque année, et l’université a dû, pour faire face à cet afflux, créer des postes de Maître de conférences et un poste de Professeur en Sciences de l’éducation – et maintenant deux.

Seul un Réunionnais était en mesure d’occuper ce poste, l’enseignant métropolitain qui avait conçu la maquette s’étant désengagé dès la première année de fonctionnement et ayant pris sa retraite. Mais pour permettre à cet enseignant-chercheur nécessaire d’occuper ce poste de professeur, créé et gelé pendant plusieurs années pour lui, il fallait lui faire passer une HDR et le faire qualifier. Son dossier scientifique étant " vide ", selon le mot d’une expertise rendue pour la Commission des spécialistes locale, son dossier administratif se devait d’être plein. Il fallait pouvoir le présenter comme l’" inventeur " des Sciences de l’éducation à la Réunion et démontrer sa capacité d’animation pédagogique et scientifique. Mais comment faire habiliter un laboratoire en Sciences de l’éducation, essentiel à cette démonstration, quand on n’est pas soi-même habilité à diriger les recherches ?

C’est ici que mon collègue ethnologue qui est parti à Bordeaux II avec son poste s’est révélé l’utile fourrier de ce plan de campagne. Habilité en 20° section, il demande, au terme du précédent Plan Quadriennal, l’habilitation d’une jeune équipe dans laquelle il se trouve être le seul enseignant-chercheur en Ethnologie et dans laquelle il fait essentiellement fonction de prête-nom pour les Sciences de l’éducation.

Voyant arriver deux demandes d’habilitation en 20° section, la nôtre (celle du laboratoire créé en 1985 par Paul Ottino, le CAG, et celle de [N14], le CIRCI), le Ministère demande aux représentants de l’université de choisir entre le CAG et le CIRCI. Compte tenu de ce que je viens d’exposer, le choix ne fait évidemment aucun doute… Faut-il compter, parmi les " services rendus " dont il est fait état dans le procès-verbal du Conseil de Faculté qui justifie le départ de [N14] avec son poste, la part prise par mon collègue dans ce montage ayant permis l’habilitation à diriger les recherches et la qualification d’un enseignant-chercheur au dossier scientifique inexistant mais au destin nécessaire ?

Dans un tel environnement, un chercheur qui fait son travail honnêtement (qui publie et qui demande à ce que l’évaluation scientifique s’exerce aussi dans sa propre université) est presque nécessairement un gêneur et il est vraisemblable que la facilité avec laquelle [N22] a obtenu son changement de section, malgré l’avis contraire de la Commission des spécialistes (contribuant ainsi, de fait, à la quasi-liquidation du département d’Ethnologie), soit à comprendre dans cette continuité.

C’est ainsi que l’Ethnologie, malgré les atouts dont cette discipline peut disposer à la Réunion en raison de la situation géographique et de l'histoire de notre île, se trouve aujourd’hui amputée et de son laboratoire et de deux de ses trois postes d’enseignant-chercheur. L’université de la Réunion a été la première université française à délivrer la Licence d’Ethnologie et notre filière a aussi été la première à pouvoir encadrer des thèses à la Réunion. Pour parler du présent, je me bornerai à rappeler que les deux dernières expertises en réponse à des appels d’offres internationaux dont la Faculté des Lettres a bénéficié l’ont été grâce au département d’Ethnologie. Notre projet en réponse à l’appel d’offres du Secrétariat à l’Outre-Mer (2001) est le seul à avoir été retenu parmi les onze projets soumis par l’université de la Réunion et notre programme sur Madagascar a été le seul à avoir été retenu par l’Agence Universitaire de la Francophonie pour la zone " Océan indien " (PAS 2001). Ce qui n’est pas, soit dit en passant, sans faire contraste avec les réponses régulièrement négatives que nous recevons, chaque fois que le Conseil scientifique de l’université de la Réunion se prononce sur nos programmes de recherche…

C’est là, je pense, dans une évaluation scientifique authentique, que se jouera le crédit de l’université de la Réunion. Qu’on ne peut être juge et partie ; qu’un projet doit être évalué en fonction d’une production scientifique préalable avérée du demandeur ; qu’une évaluation a priori et a posteriori doit systématiquement être faite par des experts indépendants chaque fois qu’un crédit est attribué, etc… Le problème est que l’observation de ces règles banales – qui permettrait d’utiliser à bon escient cet argent public que le Ministère nous attribue pour faire de la recherche et non pour autre chose – engagerait chez nous, compte tenu de ce que le passé nous lègue (la litote me vient bien à propos), une véritable révolution.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président et Cher Collègue, à l’expression de ma considération distinguée.


B. C.


Annexes :
- Dossier [N14]
- Dossier [N22]






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