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anthropologie du droit
ethnographie malgache

présentation
3 Éléments d'Ethnographie Réunionnaise
Mots clés : Créolité Ancestralité Citoyenneté Départementalisation Patrimoine
Champs : Anthropologie du développement Anthropologie de l'image Patrimoine
Sociétés créoles Histoire postcoloniale Sociologie des institutions


1- Vingt ans après

2- Barreaux (en construction)
architecture créole

3- "Types de la Réunion" (en construction)
(don à la Société de Géographie du 6 novembre 1885)

4- Ancestralité, communauté, citoyenneté :
les sociétés créoles dans la mondialisation (dossier pédagogique)

5- Madagascar-Réunion :
l'ancestralité (dossier pédagogique)

6- Ethnographie d'une institution postcoloniale...


introduction : éléments d'analyse
présentation thématique
liste chronologique

Point "histoire et structure" à l'attention des collègues récemment recrutés à l'université


le 29 mai 1997

B. C.


Je dois à nos collègues récemment recrutés, m’a-t-on fait remarquer - du moins à ceux que cela intéresserait -, des explications sur les manquements répétés à la confraternité élémentaire par lesquels je me signale, bien maladroitement sans doute et, à coup sûr, sans plaisir, à l’attention des enseignants de la Faculté des Lettres.

Si je me suis permis de réagir, dans la lettre que j’ai adressée à [N11], ce 14 mai, pour lui faire part du regret que nous causait sa démission et d’intervenir dans un débat où je n’ai aucune ambition personnelle, c’est que j’ai été, d’autres ont eu plus de chance, et le témoin et la “victime” (soit dans mes projets scientifiques, soit dans l’organisation du département auquel j’appartiens) de ces pratiques qui ont convaincu notre collègue de retourner à ses études. J’espère ne pas être démenti par mes amis historiens en rappelant que pour comprendre une crise, il faut d’abord avoir recours à la “généalogie” pour en évaluer les attendus véritables. Ce sont donc quelques informations qui relèvent de la chronique de notre Faculté et qui intéressent directement la crise d’aujourd’hui, ayant bien conscience de n’apporter qu’un point de vue et me limitant à celles dont j’ai été l’acteur involontaire, que je me permets de rapporter ci-après.

J’ai été nommé à l’université de la Réunion en octobre 1991 par le C.N.U. (qui, à cette occasion, a inversé le classement opéré par la Commission de spécialistes locale). [...] Je suis donc arrivé à pied d’œuvre à la Faculté des Lettres où j’ai par hasard pris connaissance d’un “Plan de développement des Sciences de l’Homme et de la société” dont l’objet, alors qu’un expert du Ministère, de passage dans le département venait de rendre un avis recommandant instamment le développement de la filière d’Ethnologie (avis sur lequel [N0], le précédent président de l’université, n’a pas craint d’écrire de sa main son “étonnement”– mais à l’université de la Réunion, tout se tient, on le verra) ni plus ni moins que la suppression du Troisième Cycle d’Ethnologie au bénéfice d'[un] département, alors embryonnaire.

Il n’était pas bien difficile de comprendre que, sous l’intitulé, d’une naïve fraîcheur, de “montée en charge” le projet en cause n’était rien d’autre que le plan de carrière de ses trois auteurs [...]. Le premier, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, a été [recalé] par le C.N.U. après avoir été largement subventionné par l’URA 1041, le second prospère avec le bonheur que chacun peut constater et le troisième, sorti par le C.N.U. en 1991, est rentré par la fenêtre l’année suivante à la faveur de la modification de la procédure de recrutement donnant le dernier mot à la commission locale (c’est-à-dire à [N2]).

Il est peu chrétien de ne pas se réjouir de la bonne fortune de ses semblables. Mais les règles de la recherche et de la formation intellectuelle n’ont malheureusement que peu à voir avec les usages de la charité. Je vais en donner un exemple qui me paraît démonstratif du fait que notre responsabilité à tous est engagée dans la situation actuelle de la Faculté.

[ § repris du document daté du 16 mai 1997 : "Une étudiante est récemment venue me voir ...que tout ça ne prête guère à conséquence à la Réunion...]

Il est évident que de telles carrières ne peuvent prospérer que dans un environnement favorable et dans la mesure où ceux qui sont censés être les garants de la légalité des actes administratifs ne sont pas à la hauteur de cette tâche – quand ils ne participent pas eux-mêmes à la curée. Ces données “anecdotiques” (je n’ai évidemment, je le répète, aucune inimitié personnelle envers les protagonistes que je cite ici) sont révélatrices de cette réalité structurelle qui explique les crises à répétition de la Faculté des Lettres. Pour montrer, s’il est besoin, que l’histoire que je viens de rapporter n’est malheureusement qu’une conséquence inévitable des recrutements et des promotions qui ont trop souvent eu cours à l’université de la Réunion, il suffit d’ouvrir les archives de la Faculté.

L’objet – légitime – d’une habilitation, c’est bien entendu d’endosser l’“habit” de professeur, le plus sûr étant de s’en tailler un sur mesure. Ici l’affaire se complique un peu, car [N0] qui a jusqu’alors soutenu le plan de carrière de [N2] fait savoir qu’il trouve que ça suffit et la création du poste de professeur [convoité] disparaît de la liste établie par le Conseil d’administration. Qu’à cela ne tienne ! Prenant sa plus belle plume, l’intéressé écrit le 30 octobre 1992 aux “Directeurs de département de la Faculté” pour les alerter sur la “gravité de la situation” et demander une réunion d’urgence : “Vous n’êtes pas sans ignorer (sic)”, explique-t-il, que la décision du Conseil d’administration “interdit l’ouverture de la maîtrise information-communication à la rentrée prochaine” ! [N3], conscient sans doute, lui aussi, de la “gravité de la situation”, défère immédiatement à cette urgence puisque la dite lettre de [N2] précise qu’il a demandé à “Monsieur le Doyen [...] de réunir dans un premier temps les directeurs de département. Ce qu’il a fait, ce jour, en nous convoquant ce jeudi 5 novembre”. Au cours de la réunion en cause, d’autorité (si je puis dire) et sans aucun vote ni concertation, [N3] déclassait un poste de Techniques d’expression au bénéfice du poste qu’occupe aujourd’hui [N2]. Ouf ! les futurs candidats à la maîtrise pouvaient respirer... J’ai pour ma part aussitôt déposé une lettre chez le Doyen pour demander que soit consignée au procès-verbal de cette réunion la question de la régularité de cette procédure. (Le procès-verbal en cause, s’il a jamais existé, n’a bien entendu pas été diffusé).

Nos jeunes collègues ne peuvent pas savoir non plus à quelle période d’intense bouillonnement intellectuel a donné lieu le mot d’ordre qui avait cours alors de “réorganiser la recherche” et dont le principal objet était d’imposer la création d’un nouveau centre de recherche à la Faculté très modestement [et oraculairement] autoproclamé. Il faut dire qu’à cette époque [N3] avait dans sa manche un joker particulièrement efficace en la personne [du] Conseiller d’établissement (sorte de proconsul représentant le Ministère dans plusieurs universités) [enseignant dans un] IUT, en réalité, et tenant sa situation de son engagement politique (il en faut) qui a donc été, et qui reste, puisqu’un amphithéâtre porte son nom, le génie tutélaire de notre Faculté. Le ticket gagnant à cette époque – il faut le savoir pour comprendre aujourd’hui – était [N3 - N4 - N21] soit au moins deux de nos bons docteurs de l’“appel à tous les personnels de l’UFR Lettres” “préoccupés” de la situation à la Faculté...

Est-il besoin d’ajouter qu’une telle structure, propice aux plans de carrière, l’est assez peu aux projets scientifiques ? Puisque c’est mon expérience de la Faculté que je rapporte ici (et j’ai parfaitement conscience, encore une fois, de ne livrer qu’un point de vue) je dois dire qu’il a fallu que je vienne à l’université de la Réunion pour savoir ce qu’était la censure. C’est ainsi qu’en mars 1994, j’ai appris [que le Doyen N3] avait saisi les originaux d’une correspondance scientifique que j’adressais à un collègue mauricien et dont j’avais demandé à Madame [X] d’assurer la transmission par télécopie. Il s’agissait d’un programme de recherche qui devait être parvenu à Montréal avant le 15 mars. C’est par un coup de téléphone, reçu chez moi le lundi de Pâques et émanant d’un membre du jury qui devait classer les projets, que j’ai appris que notre dossier – et pour cause – n’était pas arrivé à destination. (Le dossier m’a été restitué, l’an passé, par [N11]). [... ]C’est ainsi encore que, comme en témoigne la note annonciatrice de l’article que j’ai publié dans le numéro 2 de Travaux & Documents, j’ai dû résister aux pressions multiples et répétées du Doyen pour conserver une illustration dont la légitimité scientifique s’était pourtant imposée à tous les membres de la rédaction de la revue...

On imagine que dans de telles conditions il soit difficile aussi de faire avancer une cause qui n’a pour elle que son intérêt pédagogique. Pour commencer par un exemple qui concerne la filière des Sciences humaines, comment justifier, alors que les enseignants ont été recrutés a cet effet depuis plusieurs années le report constant de l’ouverture du DEUG de sciences humaines pour conduire aux trois Licences qui existent déjà (Ethnologie, Communication, Sciences de l’éducation) ? Vraisemblablement parce qu’il existe des intérêts plus pressants... (et aussi parce que l’un de ces postes programmés au plan quadriennal a été détourné de son objet et est aujourd’hui occupé par un enseignant du département... de [...]). Alors qu’il serait utile, étant donné le taux d’échec et le niveau des étudiants de créer une année zéro et de professionnaliser l’enseignement, la Faculté voit chaque année fleurir D.E.S.S., D.E.A. et autres formations - dont on apprend d’ailleurs la création à la radio ou dans les journaux -, et dont la principale finalité semble d’être d’asseoir la carrière de leurs responsables. La valeur de ces diplômes gérés comme des feuilles de tôle est évidemment assez problématique... On inscrit chaque année cinq cents étudiants en géographie. Qui se soucie de cette absurdité ? La seule préoccupation des Conseils est d’obtenir du Ministère les créations de postes nécessaires pour faire face à cet afflux insensé...

Pour briser avec cette narration qui, je le crains, doit faire un peu prêchi-prêcha, j’en résumerai la teneur par un mot attribué au général de Gaulle. Passant en revue, à la Libération, un groupe de partisans et remarquant l’impressionnante proportion de gradés, il arrive au bout du rang et serre la main à un homme qui ne porte, lui, aucun galon. Il le regarde droit dans les yeux et lui dit : “Alors quoi ? vous ne savez pas coudre, vous ?” A l’université de la Réunion, non seulement on sait coudre, mais on sait aussi tailler - ayant eu la bonne fortune de pouvoir tailler, de surcroît, dans la pleine étoffe des filières et des postes à créer...

Maintenant, quelle issue ? Autant le diagnostic est aisé, autant les remèdes sont incertains. Car ce n’est pas seulement, on s’en doute, à Faculté des Lettres que la nature des recrutements et des promotions est en cause. Nous serons ainsi vraisemblablement prochainement représentés, puisque le mandat présidentiel s’achève, par un enseignant qui a pour tout titre scientifique une thèse de 3ème Cycle et qui est passé professeur à la faveur d’un artifice législatif. Une condition préalable me semble toutefois être une motion de défiance envers le présent Conseil de Faculté (sans doute régulièrement élu - je présume -, mais en réalité, on le sait, sorti du chapeau de [N3). Je serais le premier à me réjouir s’il suffisait de dire : “Bon, on efface l’ardoise et on recommence !” pour donner des titres scientifiques et pédagogiques à ceux qui n’en ont pas ou guère. Quand j’étudiais aux Etats-Unis (c’était avant l’ère du SIDA) une blague avait cours qui demandait : “Quelle différence y a-t-il entre l’amour et l’herpès ? Réponse : - L’herpès, c’est pour toujours !” Quand on est fonctionnaire, c’est aussi pour toujours... Qu’est-il possible d’avoir et de faire en commun avec ceux qui déclarent en Conseil de D.E.A. “Lettres et Sciences sociales” qu’“on peut écrire une excellente thèse en ignorant que Stendhal est l’auteur de la Chartreuse de Parme” ? ou avec ceux qui usent du label universitaire pour vendre leur cuisine en ville ?

Rappelant, pour conclure, qu’il est beaucoup plus agréable et beaucoup plus naturel de dire du bien de ses semblables que de jouer les "imprécateurs" – on dit en ethnologie que la pollution du crime rejaillit toujours quelque peu son dénonciateur –, et ayant pris, pour rédiger cette note, sur le temps que j’emploie habituellement à écrire des contes pour mes enfants – je m’en excuse auprès d’eux tout en me demandant si cela valait bien la peine – j’espère malgré tout que ces informations seront utiles au débat.


B. C.

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