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1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...”
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5- L“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures
19- Enquête sur la forme humaine : 1
20- Enquête sur la forme humaine : 2
21- Enquête sur la forme humaine : 3-21.7


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SOMMAIRE

anthropologieenligne.com : unité de l’homme et diversité des cultures

Chapitre 21

La reconnaissance de la forme humaine :
figures de l'altérité, de la morale et du droit
(les "trente glorieuses" et les trente pleureuses)

Plan du dossier :

19.1 Exorde
19.11 "Et ta sœur !" Différence des sexes et territorialité : relevé des grafitti de la Sorbonne, mars 1982
19.2 Variations sur le prochain
19.3 Quand la théorie de la société est la théorie du marché
19.4 Les "30 glorieuses" et les 30 pleureuses
19.5 De Tati à Tati
19.6 Gradations dans l'expression de l'allophobie et dans son aveu
19.7 Territoire, proxémie, proximité : le proche et le lointain
19.8 Appartenance commune
19.9 Guetteurs au créneau
20.1 Othello, ou la tragédie de l'apparence
20.2 Phénotypes et stratification sociale : la naturalisation du droit
21.1
L'empire de la liberté : la techno-structure par l'exemple, neutralisation des fonctions et des genres
21.2 Loi du renouvellement technique et conséquences...
21.3 Hormones et territorialité : la dominance à l'épreuve de la valeur morale de la différence
21.4 L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (1) : liaisons
21.5
L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (2) : déliaisons
21.6 Logique du vivant, morale du vivant
21.7 Médialangue et culture-jeunesse, distance réfractaire et période réfractaire

IV - 21.7 Médialangue et culture-jeunesse, distance réfractaire et période réfractaire

Quelques données primaires de cette passion qui a le droit au sol pour système seront donc présentées ici, à titre de raccourci du parcours proposé, données que nous annoncerons par le fait suivant : le 4 juillet 1946, 42 Juifs rescapés des camps d'extermination, regroupés à Kielce, dans le sud de la Pologne et devant rejoindre la Palestine, étaient massacrés par la population : "II suffisait de crier : "C'est un Juif !" et la foule se jetait dessus". (Témoins, film de Marcel Lozinski, 1987 ; voir : Ionas Turkov, En Pologne, après la Libération, Calmann-Lévy, 2009).



"Le voyageur est un militaire refroidi" (J.P. Sartre).

Soldats français "ambassadeurs" (Le Monde du 3 janvier 1991)
YANBU, de notre envoyé spécial. Les militaires français ne doivent pas se contenter de savoir piloter un avion ou un char, tirer au canon ou au fusil ; les combattants du désert doivent aussi savoir manier, l'arme diplomatique. C'est ce qu'on leur apprend à leur descente de bateau, dans le port de Yanbu, sur les bords de la mer Rouge. Certes, des conseils de bonne conduite ont déjà été dispensés aux soldats avant leur départ de France et pendant la traversée. Mais, après le débarquement, c'est un sous-officier, parfait connaisseur des pays arabes, qui inculque aux nouveaux arrivants les règles élémentaires du savoir-vivre en Arabie Saoudite.
"Vous n'arrivez pas en pays conquis, bien au contraire, vous n'êtes que de passage dans un pays étranger. Vous repartirez chez vous, et eux resteront ici, car ils sont chez eux.” C'est la première leçon, le sous-officier parle debout, devant les hommes en treillis, assis en cercle à même le sol, au bout du quai du port de Yanbu. "Soyez corrects, soyez polis, c'est tout ce que l'on vous demande, et tout ira bien", conseille l'éducateur, avant d'aborder le délicat chapitre de la religion : "Pour la première fois de votre vie, vous n'allez plus entendre le son des cloches, mais l'appel a la prière par des muezzins... Même si vous ne comprenez pas, ne dites rien, soyez respectueux", explique le sous-officier, précisant que tout ricanement ou geste déplacé à l'encontre d'hommes ou de femmes en prière "peut être considéré comme une provocation".
Bouteilles à la mer...
Il ne s'attarde pas sur les questions d'alimentation ou de boisson. Au terme d'une ultime vérification des paquetages avant le débarquement, les bouteilles d'alcool ont été jetées è la mer. "Ne perdez surtout pas de vue que vous êtes des ambassadeurs de la France ici. Et que la France sera jugée à partir de votre comportement. Sur la faute d'un seul d'entre vous, c'est la France qui ramassera", insiste l'instructeur.


La toute-puissance de l'"étranger" sur un sol qui n'est pas sien est une provocation. "Trop de youtres milliardaires en France" (Bibliothèque Sainte-Geneviève). Pour les Tunisiens réceptifs à la radio de la "Haine sacrée" qui émet de Lybie, il n'est pas mauvais de savoir les Juifs sur le qui-vive. "C'est courant, dit Khamous [à propos de ceux qui se sont précipités à l'aéroport pour s'embarquer par le premier avion, après le raid israélien sur le quartier général de l'O.L.P.] beaucoup d'entre nous ont toujours en poche leur billet d'avion, une sorte d'assurance en cas de drame." (Le Monde du 15 novembre 1985) Les étrangers se regroupent et se retrouvent pour préserver et ressaisir une identité incommodée ou inquiétée par la maîtrise du premier occupant. Le nombre, même contenu par la loi, lève l'inhibition du dépaysement. Décontenancé, l'étranger recouvre une assurance dans la multiplication de sa propre image. Avant de représenter la force du nombre, le nombre représente la force d'une image. L'expression "génocide par substitution", relevée dans le discours de l'extrême-droite française, est en réalité d'Aimé Césaire. Elle vise un peuplement qui aurait privé les Noirs des Antilles de la souveraineté naturelle du nombre. Défaite par le nombre, la "souveraineté naturelle" est formellement suspendue par l'égalité juridique et spécifiquement par la morale à laquelle celle-ci est supposée laisser libre cours.

Un renversement des positions de dominance
Nous avons envisagé le problème de la reconnaissance par un abord symbolique, celui de la relation frère-sœur. L'examen de cette relation permet de mettre en évidence l'existence d'un code que la modernité entend ignorer et que sa morale rend honteux. La persistance d'un tel code dans une société contre-nature révèle l'activité d'une nature non policée dont la considération peut être – c'était notre hypothèse de travail – une voie d'approche de la société dominante. Il est (hélas !) assez courant de voir sur les murs des villes : "La France aux Français", plus rarement : "La France aux Arabes" (métro Châtelet, bibliothèque Sainte-Geneviève... – probablement par antiphrase). Quand la proclamation : "La France aux Français" est suivie de la réplique : "Et ta sœur aux Arabes !" on perçoit que la sœur, ventre mou de l'identité, occupe une position stratégique ou symbolique dans une telle conception de la maîtrise. Pour comprendre ce que peut signifier la liberté de la sœur et l'indifférence du frère à cette liberté, il faut s'interroger sur la nature de cette société où la différence des sexes est, idéologiquement au moins, sans conséquence, etc... (ce qui a été tenté dans les pages qui précèdent). La définition de la forme humaine résultant de l'économie du système en cause s'exprime dans une loi qui laisse libre cours au processus de la reconnaissance. Pour caractériser la morale, nous nous sommes aidé du paradoxe d'une morale sans souci du réel, par opposition à un réalisme (d'ailleurs économiquement inopportun) sans souci de morale. L'actualité socio-politique des années quatre-vingt nous a donné l'occasion de préciser cette opposition. Au début de la période considérée, les slogans et professions de foi constituant ce florilège de l'intolérance n'étaient que propos d'exaltés et de minoritaires plus ou moins honteux. "En 70, dit l'humoriste Guy Bedos, le type qui parlait par ma bouche était inimaginable. Maintenant, il a son représentant à l'Assemblée nationale. Vous voyez l'influence que j'ai..."

Reprenant la question de la souveraineté élémentaire telle que les conflits politiques et les débats d'idées en donnent une illustration, on peut voir – la constatation est banale – que l'exercice de la faculté morale est mesuré dès lors que le "moraliste" voit sa propre souveraineté mise en cause ou dès lors que le monde tel qu'il se le représente paraît imploser. On pourrait en effet marquer une évolution de la société française à la fin des années quatre-vingt à partir de la résurgence des archaïsmes territoriaux et du revirement de spécialistes de l'a priori moral qui affirmaient que la considération de l'autre ne pouvait être soumise à aucun critère de réalité et qui tiennent désormais que "des problèmes se posent" – non sans affirmer, d'ailleurs, qu'ils ne sont pas moins moraux qu'hier. L'enquête avait pour objet de tenter de préciser un caractère élémentaire de la morale : "Le fondement de l'acte moral a pour condition la reconnaissance de la forme humaine".

Précisons par l'exemple suivant une valeur de cette reconnaissance. À propos d'un point de vue, paru dans Le Monde du 16 décembre 1985, dénonçant l'"invasion" de la culture américaine en France (l'invasion des "barbares") un lecteur écrit : "Imaginons un instant le tollé si le mot "américain" était remplacé dans cette prose par africain, maghrébin, ou oriental, même en se situant du strict point de vue "culturel". Le procès pour incitation à la haine ne serait pas loin. Je ne pense pas que Le Monde eût alors publié ce texte, même dans la rubrique "Débats""(Le Monde du 26 décembre 1985). Il apparaît ici, du point de vue de la morale commune, qu'il est loisible d'accabler le puissant, mais qu'il est interdit d'injurier le faible. En considération des signes émis par la faiblesse, et par opposition à la dépréciation de la puissance et du puissant qui arme son propos, on pourrait donc définir cette constante : "La morale, c'est la loi du plus faible".

La stratégie de la non-violence, telle que Gandhi l'a mise en oeuvre, serait l'exploitation systématique de cette loi : la démonstration de valeurs et de signes qui imposent la reconnaisssance. Son efficacité est évidemment fonction de la morale du dominant, puisqu'il faut que la révolte qui lui est opposée manifeste un sens qui lui soit intelligible. En parfait connaisseur du droit britannique, Gandhi sut faire la preuve d'une égalité déjà inscrite dans les principes dont le colonisateur se réclamait. Si la morale est bien la loi du plus faible, la situation que nous considérons serait caractérisée par un renversement des positions de dominance. L'autre qui émouvait ou qui se trouvait en position de protégé devenant, en quelque manière, un "danger". "Vous comprenez, on veut bien les considérer, les faire bénéficier de générosités, voire nous priver pour eux – tous actes d'une souveraineté plus ou moins condescendante – mais en faire des égaux, dès lors qu'ils ont les moyens de cette égalité, jamais". A fortiori si ces égaux sont en situation de concurrence ou de dominance. "Ils sont là pour cirer nos pompes, pas pour baiser nos filles." A partir du moment où s'est manifestée la conscience de ce "danger", tout devient simple : la couleur, l'aspect physique, le nom de la différence, font barrage à toute reconnaissance de la personne. Le moraliste devient le thuriféraire du "réalisme" (vide supra 21.6 : "Le rêve évanoui" ; "Il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures").

Quelques "problèmes de société" mesurés à l'aune de la loi du plus faible

• Nord/Sud


Zvonimir Lefco, Oslobodenje, 1976, Yougoslavie

Punt, Belgique


Marie Marcks, Allemagne


"The pacific coexistence. Hey be careful !!"
Eduardo del Rio, Magazine El, 1973, Mexique


Bjorn Hinders, Metallarbetaren, 1976, Suède


Vladimir Zemunic, Mir, 1983


Eugen Taru, Urzica, 1976, Roumanie


Norman B. Isaac, Rempi Today, 1976, Philippines


Plantu
L'aide généreuse du Nord au Sud n'est pas seulement un juste retour.
La représentation qu'en donne le dessinateur expose la structure familiale de cette générosité – et de cette prédation.
(voir : Que signifie "Porter la bonne parole" ? Mission et colonisation
)

Souveraineté naturelle et concurrence économique
Deux partis s'opposent, on l'a vu, dès qu'il est question d'immigrés. Le parti de ceux qui revendiquent l'exercice, à leurs dépens, de la souveraineté naturelle et le parti de ceux qui réclament le bénéfice de la reconnaissance – de l'égalité juridique – à leur endroit. Entre ces deux positions réflexes, il y a des politiques qui programment et composent. Le 21 novembre 1985, le Président de la République déclare dans une conférence de presse : "Si je vais chez vous, si n'importe quelle personne entre chez vous et que vous la recevez, surtout si vous l'avez invitée, vous leur dites très souvent : "Cher ami, cher Monsieur, ou chère Madame, vous êtes ici chez moi, donc vous êtes chez vous [...] Je dis que les immigrés en France sont chez eux. Quiconque tient un autre raisonnement tient le raisonnement de la haine ou de la ségrégation, raciste [...]". Un sénateur R.P.R. qui devait devenir ministre de l'Intérieur réplique : "Les immigrés, ne sont pas ici chez eux. Ils sont chez nous. Nous n'avons pas à nous plier à eux, mais eux doivent respecter nos lois." (Le Monde du 23 novembre et du 4 décembre 1985) L'homme qui fait preuve d'intolérance à l'égard des immigrés opposera probablement à l'argument du devoir d'hospitalité le fait que ce n'est pas lui qui les a invités, les immigrés (vide supra : 19.4). La situation d'invité oblige, d'ailleurs. Il y a, chez l'hôte, un code de conduite, une symbolique que respecte l'"immigré rêvé", mais que n'est nullement tenu de respecter l'immigré informé de ses droits.

Interrogés quelques jours avant la conférence de presse en question, 45 % des sondés estiment : "Chaque fois qu'un étranger occupe un emploi en France, c'est un Français qui en est privé", et 68 % que "si on ne fait rien pour limiter le nombre des étrangers, la France risque de perdre son identité nationale." (Le Monde du 23 décembre 1985). Un sondage Figaro-Sofres du 10 décembre 1985 révèle que 71 % des Français sont favorables à l'expulsion des immigrés illégaux. Un sondage B.V.A.-Europe 1-Le Point, présenté dans Le Monde du 5 juin 1985, que l'opinion attend de la justice une sévérité particulière à l'égard des délinquants étrangers. Le durcissement de l'attitude par rapport au cambrioleur, s'il est étranger, est particulièrement sensible : - dans l'électorat communiste : le choix de la détention provisoire, passe de 37 % pour un non étranger à 49 % pour un étranger ; – dans l'électorat UDF : relativement modéré à l'égard d'un non étranger (38 % pour la détention provisoire), il est majoritairement favorable à cette détention provisoire pour un étranger : 54 % ; - l'électorat du Front national est de loin le plus sévère dans les deux situations (52 % et 58 % d'attitudes favorables à la mise en prison avant jugement).

"La préférence nationale : réponse aux prédateurs" (Métro Jussieu). S' il est possible de s'établir dans les pays développés, c'est que cette liberté doit servir à quelque chose ou à quelqu'un. Mais pas à ceux qui écrivent de tels slogans. Les ennemis des "prédateurs" doivent être eux-mêmes des proies. Pour comprendre le sens de telles réactions, il faut se mettre dans la peau de celui qui n'a que la couleur de sa peau ou la phonétique de son nom à opposer à l'adversité, qui voit son image en passe de devenir une exception dans son propre pays et qui pourrait dire, avec l'humoriste : "Nous mourrons dans un monde dans lequel nous ne sommes même pas nés". A l'opposé de ces hommes en situation de défense, convaincus du dévoiement des lois, il y ceux qui estiment, à l'inverse, que la discrimination de fait qui frappe l'étranger, en dépit de l'égalité juridique, doit être corrigée par des lois spécifiques ou des actes spécifiques. Que la reconnaissance de la forme humaine implique une une considération d'autant plus scrupuleuse qu'elle est meurtrie ou maltraitée.

Quel peut être le point de rencontre entre ceux qui, comme la mère de ce jeune chômeur de Chateaubriant (supra) déclarant, à propos des immigrés : "On n'avait pas de conversations sur ces gens-là. Nous les ignorions. Nous voulions seulement travailler. Nous ne demandons que notre place dans la société" (Le Monde du 26 septembre 1985) voient, plus ou moins clairement, une relation entre la présence des immigrés et le déni de reconnaissance dont ils sont victimes, et ceux qui sont supposés plaider pour des "circonstances atténuantes" au bénéfice de la "criminalité étrangère" ? Dans son "Heure de vérité" du 16 octobre 1985, J.M. Le Pen entreprit de démontrer que l'immigration coûtait, chaque année, cent huit milliards de francs au budget de la nation. Démonstration aisée : il y a un million cinq cent mille travailleurs immigrés en France (dont quatre cent mille chômeurs) et six millions d'immigrés. Le coût social de l'immigration résulte de cette disproportion entre le nombre des immigrés qui travaillent et le nombre de ceux qui vivent, nécessairement, aux frais du contribuable (écoles, hôpitaux, prisons). La vérité de cette démonstration est corroborée par l'observation (par l'évidence) suivante : pourquoi se presseraient-ils à nos frontières si la situation qui leur est faite était celle dont s'indignent les moralistes ? "En venant en France, ils sont assurés de gagner plus, sans travailler, que s'ils restaient chez eux, en travaillant".

Avec cette "démonstration", J.M. Le Pen se flatte d'avoir "levé un tabou". Grâce à lui, il serait désormais possible de poser cette question, vitale pour le sort de la nation, du coût de l'immigration. Ce qui est ici dénommé "tabou" c'est le caractère inconditionnel d'une ouverture qui par réflexe ou par principe, donne, veut donner, ou croit donner à l'immigré plus que ne le réclame la simple réciprocité et qui interdit d'en considérer l'"utilité". Il apparaît, en effet, une telle injustice dans la condition de l'immigré, comparée à celle du "propriétaire", qu'il n'est même pas pensable d'envisager ce que peut coûter cet homme sans souveraineté, assigné aux besognes les plus rudes et les moins rémunératrices. Cette ouverture est une réponse à certains signes. Son contraire n'est pas l'objectivité – même si l'objectivité est susceptible, moyennant une conversion psychologique, d'en démontrer l'"erreur", l'"excès" ou les "conséquences funestes" – mais le déni de cette pitié spécifique, fermeture inconditionnelle qui a nom xénophobie ou racisme.

• Nationalité
Soit la question de la naturalisation. On a rappelé de quelle manière un esprit moderne pouvait envisager la citoyenneté, à la Gorgias (vide supra : chapitre 7 : Rire et démocratie 7.4), comme une simple convention. Les politiques sont plus prudents, mais non moins convaincus quant à la conception du bien. Un club proche du pouvoir socialiste propose, par exemple, d'élargir le droit d'accès à la nationalité française : "II est temps de faire un pas en avant". Il s'agit de combattre les propositions restrictives formulées par l'extrême-droite et, depuis peu, par l'opposition parlementaire." (Le Monde du 9 octobre 1985) "Pas de socialisme sans morale", peut-on lire dans une tribune du Monde du 28 décembre 1985. "La gauche se trahirait si elle n'affirmait pas clairement que les immigrés non clandestins ont le droit de rester en France et d'y être respectés, et aussi que les Français ont le devoir de les y aider."

Dans une pleine page du Monde du 6 octobre 1985, un placard publicitaire du R.P.R. annonce, parmi les "cinq mesures pour nos libertés" : "Contrôler l'immigration. Les Français veulent que la France reste une nation". Quant au Front national, qui entend appliquer une "politique de salut public pour faire rayonner sur le monde le message d'humanisme que l'Europe porte en elle depuis deux mille ans" (Le Monde du 3-4 novembre 1985), son projet de société se limite presque exclusivement à la question de l'immigration. On peut s'étonner que le destin universel de l'humanisme européen puisse être lié à un fait aussi contingent que la présence de travailleurs immigrés sur le sol français et on a fait remarquer que, sans l'immigration, J.M. Le Pen serait un pompier au chômage et un politicien sans électeurs. Mais qu'il faille deux mille ans de profondeur historique pour préserver la souveraineté de "vrais Français", cela indique, comme on le voit aux images requises, le caractère vital, au sens le plus biologique et au sens le plus civilisé du mot (religieux, si ce terme peut concerner la part "biologique" de l'identité – et la métaphore de l'extrême-droite est par privilège biologique), de la souveraineté en cause : "II existe une araignée qui pond ses œufs dans le corps de sa proie insensibilisée ; c'est la situation actuelle de notre pays : non seulement nous sommes l'objet d'une véritable invasion, mais nous l'encourageons". Ce dernier "nous" visants "la bande des quatre" (supra) qui porte "la responsabilité de vingt ans de laxisme." "Nous assistons à une véritable spoliation. Une vague déferlante et conquérante, dont on peut mesurer matériellement la progression. Un jour, c'est un commerce qui tombe ; un autre jour, c'est un immeuble. Nous assistons à une véritable marabunta. La marabunta, c'est la marche des colonnes de fourmis géantes dans la forêt vierge qui balaient tout ce qu'elles trouvent".

Le Front national se donne donc pour objectif la refonte complète de la législation relative aux étrangers au bénéfice du principe de la "préférence nationale" ainsi défini : "Réaffirmer, par la voie d'un référendum populaire, le principe général et fondamental selon lequel les nationaux français ont dans leur pays des droits supérieurs à ceux des ressortissants étrangers, à commencer par le droit imprescriptible du respect de leur identité". Etre Français : "un honneur qui se mérite". La loi sur la naturalisation serait amendée : "On supprimerait ainsi les articles 23 et 24 du code de la nationalité (cas des enfants nés en France de parents étrangers, eux-mêmes nés en France ou en Algérie française), les articles 44 à 51 (cas des enfants nés en France de parents étrangers nés à l'étranger) et on reverrait une série d'autres articles pour rendre notamment plus difficile l'acquisition de la nationalité par mariage avec un Français et élargir les possibilités de perte et de déchéance" (Le Monde du 24 septembre 1985). Ces mesures étant d'ailleurs susceptibles de rétroactivité : "Les gens qui sont aujourd'hui français par naturalisation ne le seront peut-être plus après l'arrivée de la droite au pouvoir parce qu'ils ne satisferont plus aux exigences avec effet rétroactif que nous édicterons." (Le Monde du 19 juin 1985)

L'"accroche" des bébés roses
"La semaine dernière, un beau visage de bébé à l'œil humide et tendre a regardé les passants du haut des panneaux publicitaires. Dans un coin de l'affiche quelques lignes "62% des Français pensent qu'il y a un problème de natalité", selon un sondage IPSOS" (Le Monde du 13 août 1985)". "Ce placard sybillin n'est pas une nouvelle campagne d'une association nataliste. Mais une accroche, un "coup""comme on dit, de deux premières sociétés d'affichages publicitaires". "Le sondage montre que le thème était bien choisi, puisque, en effet, il confirme la préoccupation des Français de toutes les catégories socio-professionnelles (même si les plus élevées sont les plus convaincues) de tous âges et de toutes régions sur la diminution de la natalité. Consensus encore plus large (74 % des personnes interrogées) pour considérer que "davantage de Français devraient avoir un ou des enfants". Un accrocheur professionnel, en somme, profitant du creux publicitaire estival, veut attirer l'attention sur son nom en intéressant le public avec un sujet qui l'intéresse.

Voici la réaction d'une lectrice de Paris qui écrit notamment au journal : "Sur les murs de notre capitale, un regard d'une intensité extraordinaire se pose sur les passants. Impossible de l'éviter. Ce bébé qui nous demande s'il a l'air d'un problème métaphysique est partout. Ici, il nous affirme que le sexe n'est pas tout dans la vie, là il ne dit rien mais simplement nous regarde ; et partout c'est le miracle de la vie qui nous fixe de son évidence." Quand le miracle est une évidence, quand cette évidence vous fixe avec "une intensité extraordinaire", quand on ne peut s'y soustraire, quand la simple reproduction d'une forme peut vous faire fondre d'émotion, voilà bien l'œuvre, dans une de ses plus intenses modalités, de cette reconnaissance que nous cherchons à caractériser. Le message du visage du tout-petit s'analyse prosaïquement comme l'effet d'un rapport déterminé de l'oeil et de la face, de la face et du front – rapport qui rend si irrésistible la frimousse des enfants asiatiques et si pitoyable le visage chiffonné, avec leurs grands yeux tristes, de ces enfants dont la détresse, affichée sur les murs des villes, sollicite la charité des nantis – mais son effet subjectif, en humanité, est indicible.

"Ce miracle de la vie qui nous fixe de son évidence" suscite pourtant, de l'avis d'un économiste qui en informe Le Monde, un "malaise général". La raison de ce malaise tiendrait en deux points : une absurdité (économique) et un préjugé (moral). "Derrière la dramatisation du besoin d'enfants se cache donc ou une absurdité économique ou un refus, conscient ou non, du métissage." Un préjugé moral qui se conforte d'une absurdité économique. En effet : la dénatalité ne mettra pas en cause le financement des retraites, car l'accroissement de la productivité, 4% l'an, y suppléera. (Cette "absurdité économique" constituait le sujet proposé aux candidats au baccalauréat B d'économie en juin 1987.) Mais voici le corps du délit plus précisément désigné : quand la lectrice citée s'émerveillait d'un "petit bonhomme joufflu", l'économiste s'interroge : "Les roses rondeurs de ces bébés n'auraient-elles été [...] mobilisées que pour répondre aux badges de leurs frères et sœurs : "Touche pas à mon pote" ? Ils seraient en droit, dans quelques années, d'en demander réparation". Économiquement biaisée mais moralement inattaquable, cette argumentation qui place au cœur de la réflexion le visage de l'enfant et la question de la reproduction de l'identité illustre, dans sa maladresse péremptoire, le démembrement de la "famille humaine" et, comme le montrent les réactions suscitées, les obstacles à sa recomposition.

Des lecteurs du Monde ont en effet cru nécessaire d'écrire leur désaccord avec ce point de vue (regroupés dans le "Courrier des lecteurs" du 13 septembre 1985). Le démographe Alfred Sauvy parle d'"intoxication de l'opinion". "L'analyse béate de l'article, développe-t-il, est basée sur l'erreur de fait" qui consiste à confondre le taux de croissance de la productivité nationale (1% par an) et celui de la productivité dans les secteurs d'avant-garde, erreur qui permet de démontrer que la chute de la natalité ne met pas en cause les retraites futures. Un lecteur parle de "propos ahurissants et peut-être provocateurs (à la manière de Renaud ou de Coluche)". Un autre relève : "Si effectivement il y a non pas des millions, mais des centaines de millions d'Indiens, de Pakistanais, d'Africains, de Maghrébins, etc., qui souhaiteraient immigrer en France, ce n'est pas du tout pour devenir français, ce qui implique des devoirs d'amour de son pays, de respect de ses règles, de ses traditions, des usages de sa population pouvant aller jusqu'au sacrifice de sa vie pour le défendre si nécessaire, mais simplement pour y vivre, ce qui est tout à fait différent [...]". "Si cette campagne [d'affichage] veut subrepticement mobiliser l'opinion contre le métissage, demande un professeur d'histoire, est-ce donc si choquant et répréhensible ? Ne serait-ce donc pas le droit des gens et des peuples de disposer d'eux-mêmes, de préserver leur identité, leur personnalité et de refuser de se mélanger ? Serait-ce devenu un crime ? Et serions-nous racistes à vouloir rester français, blanc et européen ?" Un lecteur, incrédule, s'interroge de même : "Pourquoi les Blancs n'auraient-ils pas – chez eux – le droit de "s'autopromouvoir" sans s'exposer aux sarcasmes ? Doivent-ils – si l'on peut dire – rougir d'être blancs ?" La réponse de l'"économiste" à ces réactions qui "ne font que confirmer [ses] pires soupçons sur la campagne nataliste" est la suivante : Pourquoi perpétuer l'injustice alors qu'il y aura "des milliers de femmes et d'hommes de par le monde, jeunes et fertiles qui ne demanderont qu'à devenir français ?"

C'est évidemment la position relative de dominant et de dominé qui interdit, du point de vue du moraliste, factionnaire de la loi du plus faible, de charger l'opprimé. Car l'étalage de cette innocente roseur noircit davantage encore la condition du "basané". Pour la morale née de cette indifférence fonctionnelle à la forme humaine, aucune souffrance ne saurait être indifférente et la religion de l'économiste ("Des annonceurs peuvent avoir une religion. Mais l'économiste ne peut laisser passer le reste sans réserves" énonce le point de vue cité), sinon l'économie, lui commande cette correction de l'inégalité que l'égalité juridique ne réalise pas. Si la blancheur est la couleur de l'injustice, même sa forme désarmante (puérile et rose) a valeur de provocation. Défendre cette couleur, c'est faire preuve de racisme, du seul "vrai racisme", le blanc (supra), puisque les autres "racismes" sont le fait de cultures – d'ailleurs dominées – où l'autre n'appartient pas à la catégorie du semblable. Bien que cela n'ait aucun intérêt, le moraliste étant une "fonction", on peut trouver des explications à la vocation morale : des dispositions à ce travail social spécifique. Une phrase de l'article sur l'"accroche des bébés roses" paraît désigner l'exception comme la "cause" ou l'exutoire du mal : "Les juifs polonais n'ont vraiment pas eu de chance..." "Métisse-toi toujours et encore, c'est le seul espoir. Notre seul espoir" développe une tribune du Monde du 27 mars 1985 à propos de la Nouvelle-Calédonie. Si le Blanc signifie l'injustice – qui ne saurait durer et que l'infériorité numérique condamne – un réflexe de survie commande de se fondre dans le gris. L'exception est une incitation à la vindicte majoritaire.






(Edité par S.O.S. Racisme)




Insémination artificielle aux Etats-Unis
Le Monde du 11-12 mars 1990.

L'envie d'enfant, comme le manifeste l'adoption, déborde la reproduction du phénotype et démontre le caractère non restrictif de la reconnaissance. Une évolution sera consacrée quand le recours aux banques de sperme et d'ovules interdira les spécifications raciales et, davantage, quand ces spécifications seront devenues obsolètes ou anecdotiques. A l'inverse de ce qui prévaut quand des règles "pratiques et éthiques" (supra) répercutent les pseudo-spéciations. (Seules seraient prises en considération les incompatibilités biologiques.) Bien que les Dardanelles aient entamé quelques évidences – l'existence des groupes sanguins démontrant des histocompatibilités au-delà des "races" – les dogmes demeurent. On apprenait ainsi, vingt ans après, que le célèbre professeur Barnard, quinze jours avant de réaliser la première transplantation cardiaque avait refusé de greffer le cœur d'un Noir sur un Blanc.



• "Famille française" : un (inter)titre du Monde avec guillemets – ou pincettes – (dans le numéro cité infra)
Mais peut-on attendre du citoyen moyen, qui n'a pas vocation à racheter le déni d'humanité dont l'autre homme a été victime (déni dont il hérite sans le savoir), qu'il sacrifie son exception sur l'autel de la justice, alors même qu'il voit dans l'immigré la couleur de l'adversité ? Il réclame, au contraire, et en dépit de la loi, le bénéfice de la territorialité. "A l'U.D.F. : vifs échanges sur l'immigration" titre le Monde du 29 septembre 1984. Il a suffi que M. Bernard Stasi affirme que "l'installation définitive" des immigrés vivant en France était une nécessité absolue en raison du déclin démographique préoccupant que connaît la France", pour nourrir une dispute entre des hommes appartenant pourtant à la même formation politique. "Plus virulent encore que certains de ses collègues, M. Etienne Dailly (proposé pour faire suite à M. Badinter à la Justice, mais récusé par le chef de l'Etat, cet homme convaincu voulait mettre les condamnés à de longues peines sous la protection des requins - Le Figaro du 17 avril 1986) a répliqué : "On ne peut pas accepter d'entendre qu'il faut compter sur les travailleurs immigrés pour améliorer la démographie ! Il faut mener une politique sérieuse de la famille française. C'est tout."

•Une incapacité congénitale à souffrir la lumière de la justice
Si tous les hommes sont véritablement frères, le Blanc peut légitimement apparaître comme une coupable exception de prospérité à la surface du globe. Le "malaise général" suscité par la campagne nataliste s'explique par le fait que cette campagne est ressentie par les moralistes comme un limitation du droit des pauvres à émigrer vers les pays riches. Qui fait campagne pour la natalité du riche est un "criminel" : c'est le qualificatif utilisé par l'agronome René Dumont, au cours d'un débat télévisé, à l'adresse de l'historien Pierre Chaunu. Le "retour de colonisation" réalise une justice immanente. Dans les ghettos de Liverpool ou de Birmingham, les Noirs du Commonwealth, à qui l'égalité formelle laisse le partage de la misère, prennent les commerces d'assaut en scandant des chants zoulous – invoquant la justice du nombre contre la loi de l'apartheid économique. Les images qui associent le blanc à la pureté doivent être bannies du langage moral. Le mot lui-même ne doit être employé que par antiphrase. Dans un tract du Parti communiste internationaliste (section française de la IVe Internationale) appelant à une manifestation contre l'apartheid en Afrique du Sud, il n'apparaît qu'une fois et flétri de guillemets. Comme l'expriment les "Confessions véridiques d'un terroriste albinos", de Breyten Breytenbach, l'albinisme n'est pas seulement une maladie de la peau et la condition de l'emmuré, c'est aussi un excès de blancheur qui fait apparaître le blanc comme la maladie morale, comme l'impossibilité de soutenir la lumière de la justice. L'albinos-écrivain (emprisonné sept années durant par le régime raciste) prend sur lui la culpabilité de ses frères de race. "Il y a en lui un Noir martyrisé, un Chinois né il y a cinq ou six siècles..." On filme un jeune Blanc qui visite Gorée, l'île aménagée par les négriers pour l'embarquement des esclaves vers les Amériques : il se sent "abject". Une phrase de Jean Cocteau, gravée sur une plaque, énonce : "II est noir au-dehors et rose au-dedans. Je suis blanc au-dehors et noir au-dedans" (T F 1, le 20 août 1985). A la station de métro Châtelet, sur une publicité pour les crèmes dessert Gloria, nom associé au lait pour enfants, qui annonce : "Gloria la crème dessert des beaux bébés" en exposant un adolescent prépubère allongé sur le ventre à la manière des photos de bébé d'autrefois – la photo ne serait pas déplacée dans une revue spécialisée – sur cette roseur provocante de prospérité joufflue, une main a écrit, non pas d'une écriture horizontale, mais de manière à couvrir toute la surface du corps : "Les Français sont sales ils colonisent les Caraïbes – Vive la propreté – merde à la saleté – honneur à la patrie". L'explorateur allemand Curt Von Morgen écrivait en 1893 : "Je trouve la peur des Noirs devant un Blanc tout à fait justifiée, au moins aussi justifiée que celle de chez nous devant un Noir. Au milieu des visages africains d'un noir bronzé, la couleur blanche de la peau évoque décidément quelque chose de pareil à la mort. Moi-même, en 1891, quand après n'avoir vu durant des mois que des gens de couleur, j'aperçus à nouveau près de la Bénoué les premiers Européens, je trouvai la peau blanche anti-naturelle à côté de la plénitude savoureuse de la noire" (Durch Kamerun von Süd nach Nord, Leipzig : F. A. Brockhaus, 1893, p. 113-114). On trouve un jugement voisin dans un roman contemporain (1992) intitulé Le métromane. Le métissage permettrait, sinon de se fondre dans le gris (21.3 : "Tous les hommes sont gris", chante Bashung ; supra : "Métisse-toi toujours et encore, c'est le seul espoir. Notre seul espoir"...), car la reproduction sexuée engendre une multiplicité d'expressions et ne produit pas l'uniformité attendue (le "gris"), à tout le moins de briser cette assimilation de la couleur et du statut et de remédier à l'"albinisme" dont il est ici question.

II y a donc deux vigies antagonistes de la société. Leur rôle d'alarme correspondant au double mouvement de rétraction et d'ouverture du corps social. Chacune de ces vigies est le porte-parole d'intérêts contradictoires dont nous avons cherché à préciser la logique. La morale serait ainsi cette force qui paralyse la force. Une inhibition de la force par la faiblesse. Oui, la morale paralyse ; c'est cet engourdissement de l'instinct de défense (capacité d'analyse et de riposte à la fois) que vise J.M. Le Pen (qui se définit comme "le guetteur au créneau" (le Monde du 15 août 1987) quand il dénonce cette "araignée qui pond ses œufs dans le corps de sa proie insensibilisée". Quand l'homme en position de souveraineté voit la détresse du semblable, l'homme en position de concurrence voit dans la simple présence de ces hommes démunis un déni de souveraineté. Acteur passif du développement industriel, il considère les usines frappées de nécrose et la vitalité désœuvrée de ces hommes rapportés. Mis hors jeu par la technostructure, il croit pouvoir récuser un monde qui l'exproprie en expropriant d'autres acteurs passifs qui ont le tort d'être différents de lui. Il se voit emporté par une évolution morale qui le fait archaïque ou paria et invoque en conséquence un droit naturel au-delà de l'artifice. Mais le système économique qui le condamne met en place une humanité qui n'est pas moins naturelle que celle qu'il entend ressaisir. Ce sont les lois de l'usine qui provoquent la rencontre, ce sont les lois de la nature qui la fixent. Une autre morale disqualifie désormais la qualité de naturel dont il se prévaut. Elle lui oppose une autre nature.


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Plan du dossier :

19.1 Exorde
19.11 "Et ta sœur !" Différence des sexes et territorialité : relevé des grafitti de la Sorbonne, mars 1982
19.2 Variations sur le prochain
19.3 Quand la théorie de la société est la théorie du marché
19.4 Les "30 glorieuses" et les 30 pleureuses
19.5 De Tati à Tati
19.6 Gradations dans l'expression de l'allophobie et dans son aveu
19.7 Territoire, proxémie, proximité : le proche et le lointain
19.8 Appartenance commune
19.9 Guetteurs au créneau
20.1 Othello, ou la tragédie de l'apparence
20.2 Phénotypes et stratification sociale : la naturalisation du droit
21.1
L'empire de la liberté : la techno-structure par l'exemple, neutralisation des fonctions et des genres
21.2 Loi du renouvellement technique et conséquences...
21.3 Hormones et territorialité : la dominance à l'épreuve de la valeur morale de la différence
21.4 L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (1) : liaisons
21.5
L'individu, sentinelle avancée de l'espèce (2) : déliaisons
21.6 Logique du vivant, morale du vivant
21.7 Souveraineté élémentaire et loi du plus faible




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